Sauf miracle, la décision des Etats de l’Alliance des Etats du Sahel de quitter la Cedeao est irréversible. Au même moment la mise en circulation de la monnaie unique de la CEDEAO, l’ECO prévue pour 2027 annonce la fin de l’UEMOA, l’organisation sous-régionale sur laquelle comptent les pays de l’AES pour accéder à certaines facilités. Quel sera le sort de l’Alliance avec trois états continentaux qui utilisent encore le franc FCFA garanti par Paris ? Suivons les explications de l’économiste malien Modibo Mao Makalou.
Le Témoin : Quels sont les objectifs de la création de la monnaie unique de la CEDEAO, l’ECO, et pourquoi son lancement a été plusieurs fois reporté ?
Modibo Mao MAKALOU : Le lancement de la monnaie unique des 15 pays regroupés au sein de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) était prévu pour la première fois en 2003, mais il a été reporté à plusieurs reprises, en 2005, 2010, 2014 et 2020. La création de la monnaie unique de la CEDEAO est un des objectifs fondamentaux de cette institution d’intégration sous-régionale, créée le 28 mai 1975 à Lagos (Nigéria), qui compte environ 400 millions d’habitants et qui s’étend presque sur 5 millions de km2. Son objectif est double : favoriser le commerce, les échanges et la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux entre les différents pays membres, ainsi qu’impulser une croissance économique forte, durable et inclusive au niveau de la sous-région pour établir un marché commun africain.
La cinquante-neuvième session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO, tenue le 19 juin 2021 à Accra (Ghana), a décidé d’adopter le Pacte de convergence et de stabilité macroéconomique entre les Etats membres de la CEDEAO dont la phase de convergence couvre la période de 2022 à 2026 et la phase de stabilité à partir du 1er janvier 2027. Il a été aussi décidé de prendre note de la Feuille de route pour le lancement de l’ECO à l’horizon 2027. Le Comité ministériel a été chargé de continuer à travailler pour résoudre toutes les questions en suspens.
Les critères de convergence ne sont pas atteints par la majorité des pays membres de la CEDEAO, ce qui implique par conséquent un report du lancement de la monnaie unique, relançant ainsi le débat sur la faisabilité de la monnaie unique dans un avenir proche. Toutefois, c’est l’impact de la pandémie sanitaire sur les économies de la CEDEAO qui a été évoqué officiellement pour suspendre les critères de convergence en 2021. Cependant, des difficultés supplémentaires justifiaient un report du lancement de l’ÉCO. Il s’agit, entre autres, de l’adoption des textes juridiques spécifiques instituant l’Union monétaire de la CEDEAO, du choix du pays devant abriter le siège de la future banque centrale fédérale et des modalités de son opérationnalisation, du modèle fédéral de banque centrale, de la définition du panier de monnaies sur lequel l’ECO sera indexé, du cadre de politique monétaire ainsi que du cadre du régime de change flexible.
Certains, notamment de la zone Franc, sont sceptiques au motif qu’il s’agit d’une nouvelle forme de servitude monétaire française. Est-ce qu’un nouveau traité monétaire sera signé avec Paris ou est-ce que c’est l’organisation qui va garantir sa monnaie en vue de son émancipation totale ?
MMM : La politique monétaire est l’action par laquelle l’autorité monétaire, en général la banque centrale, agit sur l’offre de monnaie dans le but de remplir ses objectifs, parmi lesquels la stabilité des taux d’intérêt, la stabilité des taux de change et la stabilité des prix. La gestion de la monnaie est éminemment politique parce que la politique monétaire fait partie de la politique économique générale. La politique monétaire et la politique budgétaire ou fiscale sont les deux leviers de la politique économique sur lesquels s’appuient les gouvernements, l’objectif étant l’amélioration des conditions de vie des populations, le plein-emploi et la baisse de l’inflation, c’est-à-dire l’augmentation du pouvoir d’achat
Les chefs d’Etat et de gouvernement des quinze pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), réunis le samedi 29 juin 2019 à Abuja (Nigeria), ont adopté formellement le nom ECO pour le projet de monnaie unique qui ne sera garanti par aucun pays non membre de la CEDEAO.
Aussi, le Comité Ministériel sur le Programme de la Monnaie Unique de la CEDEAO a formulé quelques recommandations :
Au titre du régime de change, il a été́ retenu un régime de change flexible assorti de ciblage d’inflation comme cadre de politique monétaire.
S’agissant du modèle de la future banque centrale de la CEDEAO, il a été́ convenu l’adoption du Modèle de Système fédéral des Banques centrales ;
Sur le choix de la dénomination de la Monnaie Unique de la CEDEAO, le consensus s’est dégagé autour de la dénomination « ECO ».
Appelé a remplacé le franc CFA qui est aussi la raison d’être de l’UEMOA, est ce que l’avènement de l’ECO n’est pas synonyme du déclin de cette organisation sous-regionale ?
MMM : Il existe 2 zones monétaires à l’intérieur de la CEDEAO qui disparaîtront avec le lancement de la monnaie unique de la CEDEAO, l’ECO. En effet, les 15 pays membres de la CEDEAO comprennent huit pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) qui possèdent une monnaie commune, le franc CFA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo), et chacun des six autres pays membres de la CEDEAO dispose de sa monnaie nationale : le cédi au Ghana, le dalasi en Gambie, le dollar libérien au Libéria, le franc guinéen en Guinée, le leone en Sierra Leone, le naira au Nigeria, et l’escudo au Cap-Vert. Ces monnaies nationales à l’exception de l’escudo du Cap-Vert sont regroupées au sein de la Zone Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO) et ne sont pas convertibles entre elles, ce qui augmente les coûts de transactions et tend à défavoriser les échanges commerciaux formels. L’UEMOA et la ZMAO utiliseront uniquement l’ECO lorsqu’elle sera lancée à l’horizon 2027.
A défaut d’un miracle, la décision des Etats de l’Alliance des Etats du Sahel de quitter la Cedeao est irréversible. Tous continentaux, les pays misent sur les textes de l’UEMOA pour accéder aux différents ports de la sous-région. Avec la disparition imminente de l’UEMOA, ne seront-ils pas obligés de signer leur retour à une organisation dont ils auront claqué la porte ?
MMM : Si nous examinons le cas de la Mauritanie qui est un état associé de la CEDEAO actuellement, elle faisait partie des 16 pays membres fondateurs de la CEDEAO en mai 1975. La Mauritanie s’est retirée de la communauté en 2000 pour ensuite signer un accord avec la même CEDEAO afin que ses ressortissants puissent bénéficier des mêmes avantages économiques que ceux des pays membres de la communauté. Il faut rappeler que c’est l’organisation d’intégration économique et monétaire qui négocie pour le compte de ses membres les accords avec les pays non-membres.
Aussi, la mise en œuvre de la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAF) afin de créer un marché commun pour 54 pays membres de l’Union Africaine se fera à travers les 5 Communautés Économiques Régionales (CER) géographiques de l’Union Africaine dont la CEDEAO pour l’Afrique de l’Ouest.
Quid du sort des ressortissants de l’AES, combien nombreux, résidants dans les pays de la nouvelle Cedeao ?
MMM : Au moins 90% de la diaspora malienne se trouve dans les pays de la CEDEAO et effectuent des transferts de fonds vers le Mali s’élevant à des centaines de milliards FCFA chaque année. Aussi les professions libérales bénéficient du droit d’établissement. Il s’agira surtout de faire une analyse exhaustive des coûts et des bénéfices pour l’AES de quitter la CEDEAO et/ou de négocier un accord de coopération avec la CEDEAO qui restera incontournable pour la création d’un marché commun et une monnaie unique africaine à l’horizon 2063
Toutefois, les conclusions en juillet 2025 de la mission de facilitation entre la CEDEAO et les 3 pays de la Confédération de l’Alliance des États du Sahel (AES), pilotée par le président sénégalais Bassirou Diomaye FAYE secondé par le président togolais Faure Gnassingbé Eyadéma, nous édifieront davantage.
Propos recueillis par Amidou Keita