Depuis le 5 août 2015, Mamadou Diaby a largué les amarres de sa vie d’immigré en France pour retourner au Mali. Ce jour-là, raconte-t-il, il n’avait d’autre choix que de s’en aller pour se soustraire à un quotidien fait de manque de travail, de nourriture, d’endroit pour dormir. Ce qui est le lot quotidien d’un grand nombre de sans-papiers en France.
« J’ai compris qu’il n’y avait rien à faire pour moi. Sans travail, je ne pouvais pas avoir les papiers. J’ai demandé la carte de séjour 4 fois, mais ils ont refusé. Après la dernière tentative, ils m’ont signifié de quitter le territoire français. », dit-il, avec un sourire aux lèvres qui cache mal la tristesse qui se lit facilement sur le visage. Il confie son regret d’avoir perdu son temps à courir derrière un rêve parisien qui a fini par devenir un cauchemar. La situation de Mamadou est emblématique de celle de beaucoup de migrants maliens, en situation irrégulière en Europe, qui continuent à s’accrocher à l’espoir qu’ils pourront régulariser leur situation. Alors que l’Europe continue d’intensifier la pression sur les pays africains pour trouver une solution au problème de la migration, devenu une patate chaude. Au Mali, ces derniers mois, la chasse aux migrants maliens en Algérie et la signature supposée de l’accord de réadmission ont fait de la question migratoire la une de l’actualité.
C’est en 2010 que Mamadou Diaby a quitté son village de Diéoura (Cercle de Diéma), où il était tailleur et cultivateur, pour partir pour la Libye. Chassé par la guerre qui a provoqué la chute de Mouammar Kadhafi, il a traversé la méditerranée et passé neuf mois en Italie avant de mettre le cap sur la France où il arrivera le 15 janvier 2012. « Je me suis querellé avec mon père, qui disait que je ne suis qu’un bon-à-rien. Parce que je ne tirais pas assez de bénéfices de mon métier de tailleur. Donc je suis parti. », se souvient-il. « Les gens partent d’ici, la raison principale est la pauvreté. Vous leur donnez la possibilité d’être dans l’air du temps, c’est-à-dire s’instruire, se soigner, manger, je ne vois pas pourquoi ils partiraient. », dit Issa Sacko, délégué général des Maliens de l’extérieur.
A Garantiguibougou, au sud-est de Bamako, Mamadou vit désormais avec sa femme et continue à exercer son métier de couturier grâce à l’appui financier et technique de l’Office français pour l’immigration et l’intégration (OFII), qui lui a permis d’obtenir deux machines à coudre. «L’OFFI m’a aidé à avoir ces deux machines. Je travaille avec un patron pour être qualifié et m’installer à mon propre compte », dit-il, assis au fond de la petite pièce qui fait figure d’atelier de couture. Quand on lui demande s’il a démarché un service malien, il répond : « Non, je ne connaissais aucun service malien auquel je pouvais m’adresser ».
En effet, nombreux sont les migrants de retour qui affirment ne pas connaître de structures pouvant les aider à s’installer, à se réinsérer. Pourtant, si l’on en croit Issa Sacko, délégué général des Maliens de l’extérieur, la Politique nationale de la migration a été adoptée en 2013. « L’objectif de la PONAM est de mettre une politique pour assurer la cohésion de toutes les actions qui visent plus ou moins la migration, les questions de transit, toutes les questions qui concernent cette mobilité. », explique-t-il.
L’ancien professeur d’économie ajoute : « Il s’agit surtout d’exploiter les atouts qui pourraient naître des questions migratoires selon que les gens soient à l’intérieur ou à l’extérieur. Il ne s’agit plus de partir d’actions ponctuelles. Au-delà du ministère des Maliens de l’Extérieur, il y a des actions qui sont menées comme la création d’emploi pour les jeunes dans les régions (ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle). Il y a la question de la réinsertion, de la sécurisation des investissements ».
La Ponam est-elle un outil pour lutter contre l’immigration irrégulière ? Issa Sacko répond par l’affirmative, car « le raisonnement économique qu’il faut faire, c’est que s’ils partent ils sont perdus pour nous et les autres n’en veulent pas. », dit-il. Ainsi, la PONAM s’occupe des cas de retour volontaire, d’expulsion ou de rapatriement.
Selon Mme Guindo Fatouma Diakité, qui s’occupe des questions de réinsertion sociale à la Délégation générale des Maliens de l’extérieur, de 2007 à 2009, le fonds d’appui à l’insertion et à la réinsertion des migrants de retour, financé par le budget national, s’élevait à150 millions. « Ça a servi à réinsérer des migrants de retour qui se regroupés pour créer une ONG ou une association. On leur a donné des Kits, des motos-pompes pour ceux qui étaient dans l’agriculture. », explique-t-elle. Aujourd’hui, le même fonds continue d’être financé dans le cadre de la Ponam, et une vaste campagne de sensibilisation sur les dangers de l’immigration irrégulière est en préparation.
Sociologue et chargé de cours à l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako (ULSHB), Aly Tounkara, estime qu’outre le fait que les migrants de retour ne sont pour la plupart pas au courant de leur existence, la politisation des structures de l’Etat est un facteur qui les pousse à se tourner plutôt vers les services étrangers comme l’OFII. « Ils doutent de leur compétence », dit le chercheur. Installé au Mali depuis 1988, ce service rattaché au ministère français de l’Intérieur, a mis en place des dispositifs pour les migrants en situation irrégulière en France qui ont fait le choix de retourner dans leur pays.
« On ne va pas vers ces migrants ; ils viennent vers nous. Après leur avoir refusé la carte de séjour, c’est l’administration qui les informe sur l’existence de notre dispositif. Nous prenons en charge le voyage. Et une fois au Mali, arrive l’étape de la réinsertion sociale », explique Stéphane Vezignol, Directeur de la Représentation de l’OFII au Mali (qui s’occupe aussi de la Guinée, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Togo, Bénin), que nous avons rencontré à son bureau, sis au Quartier du Fleuve. « La situation difficile qui les conduit à partir est la même qui les conduit à retourner, reconnait Stéphane Vezignol. Quand ils prennent la décision de retourner, les attentes de leurs familles sont déçues. Des gens sont marqués par ce parcours. Un salaire maigre, une situation irrégulière. Certains sont tenaces et arrivent à sortir de la situation irrégulière, d’autres renoncent ». C’est après avoir renoncé que Mamadou Diaby a été orienté vers les services de l’OFII en France, qui ont pris en charge son retour.
L’OFII aide les migrants de retour à la réinsertion à travers la création d’entreprise en s’appuyant sur des partenaires au Mali (ONG, Cabinets d’étude…). Le projet soumissionné doit donc être porteur, faisable pour être validé par le comité où siège notamment la Direction générale des Maliens de l’extérieur, l’APEJ, l’ANPE, l’Agence française de développement, l’Ambassade de France…Ensuite, le migrant bénéficie d’un appui qui va souvent jusqu’à 7000 euros. La dernière étude de pérennité concernant les projets financés par l’OFII remonte à 2010.
Et si l’on en croit M. Vezignol ,70% étaient encore actifs. « Avant, on pouvait enregistrer 150 personnes par an. En 2016, nous n’avons reçu que 30 projets de réinsertion dont 5 sont des jeunes étudiants insérés en tant que salariés. », déplore-t-il. Il ajoute que cette baisse pourrait être due au contexte socio-économique affecté par la crise sécuritaire, outre le fait que très peu de migrants en situation irrégulière en France sont au courant de l’existence de ce dispositif. Un vaste plan de communication est en préparation pour pallier ce déficit. Pour Ali Tounkara, le problème est plutôt que « les gens sont réticents à aller vers ces services qu’il soupçonne d’être en complicité avec l’Union européenne. Ce n’est pas qu’ils ne sont pas au courant de l’existence de ces dispositifs. »
Outil de lutte contre l’immigration irrégulière, l’OFII aide aussi au retour des compétences avec un dispositif destiné aux étudiants dont certains basculent souvent dans une situation irrégulière s’ils n’ont pas de travail après leur cursus en France. L’OFII les accompagne pour avoir des marges de retour, un emploi dans une entreprise et prend en charge pendant un an 50 % du salaire du jeune recruté.
Aujourd’hui, du côté des jeunes étudiants partis en Europe pour étudier, la tendance semble de plus en plus au retour après la formation. C’est l’avis d’Abdoulaye Diakité, qui dirige l’entreprise « Diakité Robotics » qu’il a créée après son retour en 2014 d’Angleterre, où il a suivi des études en informatique. « L’Europe est déjà en avance, alors que nous n’avons rien. Vivre à l’extérieur, c’est injecter de l’argent dans l’économie de ces pays : la maison, le déplacement, l’habillement…Il faut qu’on revienne bâtir nos pays », dit-il les yeux pétillants derrière ses lunettes rondes. Il a créé son entreprise sur fonds propre non sans difficulté. « Le système fait que c’est difficile pour ceux qui retournent. C’est surtout difficile pour un entrepreneur. Il n’y a pas de volonté politique qui appuie ce secteur, il n’y a pas d’accompagnement. Mais c’est à nous de changer les choses. L’avenir repose sur nous. Il y a eu des moments où je voulais repartir. Il faut se battre. », confie-t-il.
C’est aussi l’avis de Mamadou Diaby, qui, malgré les difficultés, ne veut plus reprendre le chemin du départ. « Je ne savais pas que la France était comme cela, sinon je n’allais pas partir. Tout ce qu’on m’a dit était faux.», confie celui qui habitait dans le VI arrondissement Paris-Montparnasse. Pourtant, il ne veut dissuader personne ne de partir : « Ils vont dire que tu es égoïste, que c’est parce que tu as échoué que tu ne veux pas qu’ils partent. »
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Ce reportage a été réalisé dans le cadre de l’initiative PROTEJA (Projet pour le travail et l’emploi des jeunes africains) de l’ONG ENGIM, financé par l’Agence italienne pour la coopération au développement, basée à Dakar.
Boubacar Sangaré