Investi officiellement président de la transition au terme d’une procédure de sélection transparente, l’ancien diplomate reste un parfait inconnu pour beaucoup de ses concitoyens. Portrait d’un « réac » devenu l’héritier présomptif de la Révolution burkinabè.
A 72 ans, Michel Kafando s’est hissé au chant du coq à la tête de l’Etat. Et les Burkinabè se sont réveillés au petit matin, ce 17 novembre, avec un nouveau président sur le parvis du palais de Kossyam. Un nouveau visage aussi, inconnu du grand public, surtout de cette jeunesse urbaine insurgée qui a balayé en un tournemain le régime quasi-trentenaire de Blaise Compaoré. Ce diplomate à la carrure de boxeur a finalement été préféré à Chérif Sy, directeur de publication de l’hebdomadaire Bendré, et Joséphine Ouédraogo, passée tour à tour par la Commission économique (des Nations unies) pour l’Afrique (CEA) et l’ONG bien connue sur la place de Dakar, Enda-Tiers-Monde. En ces lendemains de révolution, cette grande dame au maintien strict, ancienne ministre et égérie de Thomas Sankara, aurait pourtant pu se glisser avec une certaine harmonie dans la fonction. Un « collège de désignation » de vingt-trois membres – de fait, sa composante militaire, cléricale et coutumière, nettement plus conservatrice – en a décidé autrement. Avec la discrète approbation d’Addis-Abeba, Abuja, Paris et Washington, qui entendent préserver ce pays sahélien, base des forces spéciales françaises et américaines, de toute aventure…
Tout, sauf un révolutionnaire
Faute d’informations précises au registre de la jeunesse militante, il faut se tourner vers les contemporains de Kafando pour espérer saisir les contours du président de la transition,officiellement investi dans ses fonctions ce mardi 18 novembre. « C’est un excellent diplomate, un homme bien et qui a la tête sur les épaules », témoigne au téléphone l’Ivoirien Amara Essy devenu un familier alors que tous les deux dirigeaient la diplomatie de leurs pays au milieu des années 1980. « Il est tout sauf un doux rêveur et un révolutionnaire », ajoute un autre diplomate, d’Afrique centrale celui-là, qui a fait la connaissance du Bukinabè au palais de verre de l’East River, siège des Nations unies à New York où Kafando, longtemps Représentant permanent de son pays, avait ses habitudes.
Tous deux louent les qualités de ce polyglotte formé au Sénégal, en France, en Suisse et qui a longtemps vécu en Côte d’Ivoire et aux Etats-Unis : « compétent », « intègre », « sage ». Les mêmes mots reviennent du côté du clergé local, du « pouvoir kaki », des chefs traditionnels et d’une partie des politiques. « Il est en phase avec les attentes de la Révolution » d’octobre-novembre, croît pourtant savoir Zéphirin Diabré, ancien numéro 2 du PNUD, à New York, considéré comme l’un des prétendants les plus sérieux au scrutin présidentiel prévu au dernier trimestre de 2015. Tout dépend.
Conservateur canal historique
Certes, après avoir servi fidèlement Blaise Compaoré une quinzaine d’années au poste (de confiance) de Représentant permanent du Burkina aux Nations unies, Kafando a pris ses distances par rapport à son projet fou de réviser l’article 37 de la Constitution pour perpétuer son pouvoir. Certes, le diplomate à la retraite passionné, à ses heures, d’aviculture n’a jamais ménagé, ces derniers temps, ses critiques contre la corruption ambiante. C’est (à peu près) tout. De l’avis même de ses laudateurs comme de ses dépréciateurs, Michel Kafando est un conservateur « canal historique », « un réac ». Par tempérament, sans doute aussi par conviction. « Il a en horreur l’agitation et le désordre », concède Amara Essy. « Il est viscéralement anticommuniste », renchérit l’un de ses amis.
Détestation réciproque
Les plus anciens vous le diront : Kafando n’avait pas d’atomes crochus avec l’icône de la révolution burkinabè, Thomas Sankara. Mais bien peu savent jusqu’à quel point pouvait aller leur détestation réciproque. « Ils étaient comme chien et chat », confirme au téléphone Amara Essy. Un autre vétéran de la diplomatie africaine, également témoin privilégié d’une époque épique, est plus volubile : « Ils étaient tous les deux présents à la VIIe Conférence au sommet des pays non-alignés à New Delhi, en mars 1983. C’était sous le régime de Jean-Baptiste Ouédraogo. Sankara était alors Premier ministre, Kafando, ministre des Affaires étrangères. Comme cela se fait partout, ce dernier avait préparé un discours à l’attention du Premier ministre. Un discours équilibré, ménageant, comme il se doit, les uns et les autres. Mais, une fois à la tribune, Sankara en a sorti un autre de sa poche de son treillis. Il a rendu un vibrant hommage aux révolutionnaires du monde entier, à commencer par Fidel Castro, brocardé les Etats-Unis, la France et l’Afrique du Sud, mis dans le même sac. Dans la salle, Michel Kafando ne savait plus où se tenir. Ce diplomate madré s’est senti ridiculisé et en a peut-être conçu du ressentiment… »
Tentative d’enlèvement à Abidjan
Quand Sankara est brutalement limogé et arrêté, en mai 1983, pour s’être livré, selon certains, à un flirt poussé avec le colonel libyen Mouammar Kadhafi, les sankaristes y ont vu la main de Kafando, piloté en sous-main, disaient-ils, sans en apporter la preuve, par Guy Penne, le « Monsieur Afrique » de François Mitterrand. Puis, patatras, lorsque Sankara et ses jeunes frères d’armes se saisiront du pouvoir le 4 août 1984, le diplomate se sentira menacé. Il fait profil bas, puis se met prudemment au vert en Côte d’Ivoire.
A Abidjan, où il côtoyait le ban et l’arrière-ban de la République houphouëtiste ainsi que les opposants à Sankara, il faillit même se faire enlever en pleine rue par des individus cagoulés, révèle aujourd’hui, au téléphone, un ancien baron du régime ivoirien qui requiert l’anonymat : « Des individus se sont jetés sur lui, l’ont entraîné vers une voiture en essayant de lui appliquer un produit anesthésiant sur le visage. Il s’est débattu comme un beau diable et a réussi à leur échapper. Le président Houphouët a pris cette affaire d’enlèvement très au sérieux. Par la suite, Kafando vivait terré à son domicile et n’en sortait plus qu’avec un ange gardien… » Il profitera d’une accalmie pour s’en aller soutenir une thèse de doctorat à la Sorbonne sur un sujet pour le moins étonnant pour un chantre du libéralisme économique, « Le Conseil de l’Entente et les pays de l’Est : de l’hostilité idéologique à l’ouverture diplomatique ». Il renouera finalement avec son pays et la diplomatie active après l’irruption sanglante de Blaise Compaoré au pouvoir, le 15 octobre 1987.
Sorti opportunément de sa retraite à 72 ans, devenu par le choix majoritaire du « collège de désignation » une béquille de la République et le pompier de la Révolution, Michel Kafando a juste un an pour répondre à l’émiettement social, continuer de nourrir le souffle de « l’harmattan démocratique » balayant le pays depuis plusieurs semaines. Il devra également veiller à l’équilibre des comptes de l’Etat et organiser des élections présidentielles et législatives auxquelles il lui est strictement interdit à lui, au Premier ministre tout comme aux membres du gouvernement de transition et au président du Conseil national de transition (l’organe législatif provisoire), de se présenter. A la fin de 2015, il pourra retrouver la quiétude et le bonheur simple de sa petite ferme avicole, à condition de passer avec succès l’épreuve à laquelle il vient de s’atteler.
→ à (re)lire sur le même sujet la Revue de presse Afrique du jour : « Au travail monsieur Kafando ! »
Par Francis Kpatindé /rfi.fr