Des milliers de personnes se sont rassemblées le vendredi après-midi (05 avril 2019) pour exiger la démission du président de la République IBK et de son Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga. Elles ont ainsi répondu à l’appel du président du Haut Conseil Islamique (HCI) du Mali, l’Imam Mahmoud Dicko, soutenu par le Chérif Bouyé Haïdara de Nioro du Sahel. Officiellement, il s’agissait de dénoncer l’insécurité et la mauvaise gestion de la crise au nord et au centre du pays ; la mauvaise gouvernance ; la décadence des valeurs morales… Mais, sur de nombreux pancartes à Bamako, on pouvait lire «IBK dégage» !
Cette mobilisation à l’appel d’un leader religieux en quête de notoriété cache mal une ambition politique avec le soutien et la présence des leaders du Comité de défense de la révolution (CDR) ; du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) et de la Coalition des forces patriotiques (COFOP) qui sont toutes de l’opposition. Des organisations qui n’ont cessé de revendiquer la victoire de l’opposition à la présidentielle d’août 2018 (second tour) et de réclamer la démission du président réélu, Ibrahim Boubacar Kéita.
En froid avec le régime ces dernières années, l’Imam Dicko a d’abord exigé la démission du Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, puis aujourd’hui celle du président Kéita. Il les accuse de ne pas être à la hauteur des défis auxquels le Mali fait actuellement face.
En tout cas, l’appel à la protestation de l’Imam Mahmoud Dicko a été une réussite en termes de mobilisation. Mais, en matière d’objectif, quelle est aujourd’hui la finalité ? En effet, il ne s’agit pas de mobiliser la foule en instrumentalisant les frustrations et les désillusions. Il faut une perspective meilleure pour un changement de cap radical. Et même si IBK et SBM démissionnaient aujourd’hui, qu’est-ce que cela peut apporter de plus à ce pays si ce n’est un autre chaos institutionnel pouvant conduire à l’effondrement total de la République ? En effet, qui pourrait leur succéder sans faire de vagues car faisant l’unanimité par leur intégrité et leur compétence ?
Ce ne sont pas en tout cas ces leaders religieux qui peuvent conduire le pays à cet indispensable changement du système politique. Peut-on également espérer une quelconque avancée avec ces politiciens qui ne peuvent même pas mobiliser leurs propres chapelles et qui sont obligés de s’abriter derrière des religieux pour déstabiliser le régime ?
Désavoués et discrédités, les politiciens se cachent derrière les religieux pour haranguer la foule
D’ailleurs, le succès de l’imam Mahmoud Dicko dans la mobilisation contre le pouvoir est un cinglant désaveu pour les partis et les leaders politiques, majorité et opposition confondues. S’il met en évidence la nécessité d’un changement de cap dans la gouvernance du pays, il consacre aussi l’échec de la classe politique à porter les espoirs et les attentes d’un peuple sans cesse déçus par ses gouvernants.
A qui profite cette mobilisation des leaders religieux ? A personne d’autant plus que, même si elle tire les ficelles dans l’ombre, l’opposition ne peut pas profiter des dividendes politiques d’autant plus que ses leaders sont aussi discrédités que ceux de la majorité au pouvoir. Et nous ne pensons pas que les Maliens soient désespérés au point de vouloir confier l’avenir de leur pays à des religieux qui n’ont cessé de flirter avec les dirigeants politiques avilis par la corruption et la mauvaise gouvernance.
Beaucoup sont d’ailleurs dans la rue pour exprimer leur frustration, leur ras-le-bol d’un pouvoir visiblement dépassé par ses préoccupations. Sinon ils savent que l’Imam et ses alliés politiques ne pensent seulement qu’à leur part du gâteau.
Comment neutraliser l’Imam Mahmoud Dicko dont la réelle ambition a toujours été de faire du Mali une République islamique sunnite ? Tout saut organiser une contremarche dont l’idée était murmurée dans certains cercles du pouvoir où on ne crache sur aucune opportunité de se faire les poches. Ce ne serait pas aussi une bonne idée de le mettre aux arrêts car cela risque de pousser dans la rue la foule qu’il réussit toujours à manipuler. D’ailleurs l’Imam le sait et c’est pourquoi il joue au torero qui brandit un mouchoir rouge devant un taureau déjà aux abois.
Que faire ? Lui couper l’herbe sous les pieds en allant clairement et sincèrement dans le sens des aspirations du peuple. C’est un sacrifice énorme, mais indispensable aujourd’hui pour la stabilité d’un pays déjà au bord du précipice avec l’unité nationale qui a volé en éclats depuis 2012.
L’indispensable changement de cap politique
Que veut le peuple ? Qu’on le respecte, donc qu’on arrête de lui mentir (un exercice favori des leaders politiques du pays, opposition et majorité), de le mépriser et de le narguer avec des fortunes soustraites des richesses nationales confisquées par une élite et ses lèche-bottes.
Les Maliens veulent vivre décemment à la sueur de leur front en mangeant à leur faim ; être rassurés sur l’avenir de leurs enfants ; la sécurité partout ; plus d’équité, d’égalité et de justice sociale… Et ce n’est pas en accentuant leur frustration par un luxe insolent et ostentatoire des parvenus du régime qu’on pourra neutraliser les ennemis (le mot n’est pas malheureusement trop fort) du pourvoir qui surfent sur l’instrumentalisation de ces frustrations.
Au régime maintenant de décoder le message du peuple qui désire plus que jamais un changement de cap. Et il est clair que, comme en Algérie, les Maliens ne vont plus se contenter du sacrifice de quelques boucs émissaires comme ces chefs militaires relevés après les carnages de Dioura et Ogossagou.
Pour calmer la rue, il faut des changements en profondeur et dont les effets se feront rapidement ressentir sur la gouvernance du pays, sur le panier de la ménagère, la façon de rendre la justice, la fin de l’impunité pour ceux qui ruinent le Trésor public…
Et nous pensons que pour un dirigeant qui exécute un dernier mandat, le président de la République doit avoir le courage sinon l’audace d’opérer les changements nécessitant un nettoyage à fond des écuries d’Augias. Il faut plus de justice sociale, plus de transparence ainsi qu’une gestion efficace des futures échéances électorales. Et il doit agir de sorte que les Maliens ressentent moins sa famille et celle de son Premier ministre dans la gestion du pays.
A défaut, IBK doit se préparer à un dernier mandat tumultueux qui a peu de chance d’aller à terme. Et personne n’imagine l’ampleur des conséquences dramatiques d’un tel scénario pour le Mali !
Hamady Tamba
LE MATIN