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Médiation politique : Une lourde responsabilité

Brillant avocat de renommée internationale, feu Me Demba Diallo aura aussi été un visionnaire.

 Premier médiateur de la République nommé à cette responsabilité par l’ancien président Alpha O Konaré, l’homme qui maîtrisait le signe et le sens de sa mission avait soumis au journal 26 Mars en 1999, ce texte pour publication.

Un document très riche en enseignements que nous vous proposons.

 

“La Problématique de la médiation politique est un thème aussi restreint que pratique, qui exclut tout recours à des fleurs de rhétorique. Elle est, plus que jamais, d’actualité.

Je demande votre indulgence si j’évite à dessein les longs développements théoriques qui, du reste, pourraient être fastidieux.

En effet, les médiateurs ou les ombudsmans sont apparus comme une institution sui generis et atypique, susceptible de devenir un outil précieux pour véritablement constituer une garantie complémentaire du respect des droits et des libertés par les autorités publiques. Pour y parvenir, il leur faut une indépendance autant structurelle, fonctionnelle, politique que financière.

On a fait remarquer, à juste raison, que les mécanismes juridiques, dans leur rigueur, aboutissent souvent à des solutions rigides, voire inéquitables, parce que ne prenant pas suffisamment en compte certains aspects importants de la réalité. C’est pourquoi il est souhaitable, qu’à côté des procédures juridictionnelles, existent des procédures de régulation plus informelles et plus souples.

Le juge dit le Droit, qui n’est ni la morale ni même l’équité.

Le professeur Patrice Chrétien, de l’Université de Cergy – Pontoise, souligne le fait qu’avant même qu’il ne soit question de médiation dans les relations des citoyens avec l’Administration, elle avait surtout sa place en droit international où, parmi les modes de règlement des conflits, elle s’est toujours distinguée des bons offices. En effet, avec ces derniers, une puissance tierce propose un terrain d’entente entre deux Etats, tandis qu’avec la médiation, cette même puissance tierce suit les phases de la négociation de plus près et intervient plus directement dans les échanges de vues.

En conséquence, on voit bien que les deux concepts sont différents, même s’ils tendent à se confondre.

La fonction de médiateur est toujours un exercice délicat.

Il s’agit d’amener les Etats intéressés à se faire des concessions mutuelles, dans le respect de leur souveraineté.  L’intervention du médiateur ne crée pour eux aucune obligation.

Quel qu’en soit le champ d’application, la médiation est une entreprise destinée à amener un accord entre les protagonistes.  C’est donc un arbitrage.

D’une manière générale, on admet que juridiquement la médiation (je cite) “est une procédure de règlement des conflits, qui consiste dans l’interposition d’une tierce personne (le médiateur) chargée de proposer une solution de conciliation aux parties en litige” (fin de citation).

En France, comme au Mali, au Sénégal et au Burkina Faso, le Médiateur de la République, est présenté comme une autorité indépendante jouant le rôle d’intermédiaire entre le pouvoir public et les particuliers au sujet de leurs revendications concernant le mauvais fonctionnement des services publics. Selon Michel Guillaume – Hofnung (je cite) “la médiation institutionnelle a pu ainsi être définie comme un mode de construction et de gestion de la vie sociale grâce à l’entremise d’un tiers neutre, indépendant, sans autre pouvoir que l’autorité que lui reconnaissent les médiés qui l’auront choisi ou reconnu librement” (fin de citation).

Le terme de “médiés” désigne ceux qui ont recours à la médiation.

Il n’est pas question de “parties” pour marquer que cette logique n’est pas celle du procès devant le juge où, précisément, s’opposent des parties.

 

Dans tous les cas, le médiateur doit faire preuve d’une grande capacité d’écoute et de distanciation.

Il faut notre qu’une des caractéristiques de la fonction de médiateur est l’absence de dénomination unique dans les différents pays : au Québec, en 1968, a été créé un Protecteur du Citoyen ; quelques années plus tard, en 1973, ce fut en France, un Médiateur, lequel est devenu, en 1989, Médiateur de la République ; au Burkina Faso, c’est un Médiateur du Faso qui a été institué en 1994 ; plus récemment, la Roumanie et la Moldavie ont préféré, respectivement, Avocat du peuple et Avocat parlementaire. Toutes ces institutions, relativement récentes, sont réputées avec une origine commune : l’Ombudsman scandinave, créé d’abord en Suède en 1809, au Danemark en 1955.

Indépendamment de leur dénomination, il est clair qu’elles ont des traits communs qui n’imposent pas nécessairement un terme générique plutôt qu’un autre. Elles sont fondées sur des critères essentiels, notamment ceux relatifs à l’indépendance : l’institution doit être inscrite dans la constitution ou, à défaut, avoir été créée par un texte législatif (par exemple une loi organique comme c’est le cas au Mali). Le statut doit garantir l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif et de l’Administration. Il faut un mandat irrévocable fixé dans le temps : au Mali c’est sept ans, six ans en France et au Sénégal, cinq ans au Burkina Faso.

Nul doute qu’un tel mécanisme pourrait être utile et efficace dans le domaine politique, en vue de consolider l’Etat de droit, surtout dans les pays en voie de développement.

Daniel Jacoby, Protecteur du citoyen du Québec, Secrétaire Exécutif de l’Institut International de l’Ombudsman, Président de l’association des Ombudsmans et Médiateurs de la Francophonie, confirme pertinemment la corrélation qui peut exister entre certains événements politiques et l’institution du Médiateur (Je le cite) : “Au Québec, la fonction de Protecteur du citoyen a été créée en 1968; époque où apparaissaient les premiers signes de la “Révolution tranquille”, étape charnière de changements sociaux d’importance” (fin de citation). Au Mali où la démocratie et l’Etat de droit ont acquis droit de cité, j’espère que le Médiateur de la République jouera un rôle prépondérant dans leur considération. L’Etat de droit n’est rien d’autre qu’un “Etat dans lequel les pouvoirs publics sont soumis de manière effective au respect de la légalité par voie de contrôle juridictionnel”.

S’il est vrai que toute définition comporte un tant soit peu d’arbitraire, celle-ci est communément admise, même par la plupart des juristes.

Nous constatons avec bonheur que l’Etat de Droit est en train de s’instaurer, lentement mais sûrement, dans nos nouveaux Etats dont la plupart comptent plus de 70% d’analphabètes, avec une population rurale estimée entre 80 et 90%. Un nombre infime de nos concitoyens ont une culture juridique et administrative suffisante, ce qui fait des autres (les plus nombreux) les victimes désarmées de toutes sortes de vexations et de brimades de la part de certains agent de l’Administration qui ignorent superbement qu’ils sont au service des administrés, et non le contraire.

Dans nos campagnes, après quarante ans d’indépendance, de nombreux citoyens continuent à ne voir dans toute structure administrative qu’une force de coercition.

 

Il faut reconnaître que certains fonctionnaires ont un malin plaisir à entretenir cette mauvaise impression, souvent par une mauvaise volonté manifeste dans l’établissement du moindre document administratif.

 

Dans un tel contexte, un des rôles du Médiateur est de mettre les administrés en confiance devant les autorités administratives qui doivent savoir que le Médiateur, loin de vouloir fourrer le nez dans leurs affaires, leur sera toujours d’un bon conseil dans leurs rapports avec les administrés.

Il est clair que l’action pédagogique du Médiateur doit aller aussi bien vers les administrés que vers les agents de l’Administration. C’est ainsi qu’il participera à la nécessaire formation du citoyen à la culture démocratique afin que celui-ci prenne conscience de son devoir de s’impliquer davantage et plus activement dans la vie de la cité.

Le champ global de la médiation n’a pas de limites, il comprend tous les secteurs de l’activité humaine, depuis les problèmes privés jusqu’aux affaires publiques. La médiation concerne autant les personnes morales publiques que les particuliers, les individus autant que les groupes, les activités locales, régionales, nationales et internationales.

On se souvient que, récemment, le Médiateur de la République Française, Bernard Stasi, a été appelé à jouer un rôle capital dans l’amélioration des relations explosives entre les partis politiques de l’opposition et ceux de la mouvance présidentielle au Togo. C’était une gageure.

De même, pour une mission générale ou ponctuelle, l’ONU utilise fréquemment la médiation pour la résolution des différends entre deux Etats. Le cas du Docteur Ralph Bunch et, avant lui, le Comte Bernadotte de Suède assassiné en cours de médiation entre Palestiniens et Israéliens en 1948, est connu.

Comme le dit si bien Philippe Bardiau, Conseiller pour les Relations Extérieurs auprès du Médiateur de la République Française, parlant de l’Institution du Médiateur ou de l’Ombudsman, (je le cite) : “Dans tous les cas, il s’agit avant tout d’une institution personnalisée. Son efficacité et son évolution dépendent donc beaucoup plus de la personnalité et de dynamisme du titulaire. Des critères personnels tels que la compétence, le charisme, le qualités morales et un grand sens de l’initiative sont donc d’une importance capitale, de même qu’un autre critère formel fondamental : une indépendance et une objectivité absolues”. (fin de citation).

Il faut saluer les efforts de l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie, qui s’est employée, depuis une dizaine d’années, à accompagner les processus de consolidation de la démocratie et d’instauration de l’Etat de droit en cours dans nombre de pays membres, en organisant notamment des séminaires et des ateliers permettant, par le dialogue et l’échange multilatéral d’expériences, d’engager des initiatives et de mettre en place des programmes de coopération adaptés aux besoins réels des peuples, dans le respect des principes fondamentaux des droits et libertés.

Il est indéniable que la réalisation effective de l’Etat de droit a, généralement, accompli durant ces dix dernières années, des progrès non négligeables dans bon nombre de pays africains, notamment par la mise en place d’institutions de contrôle, de régulation et de médiation.

C’est pour parfaire cette implication, et soutenir au mieux les politiques de mobilisation menées dans ces sens, tant au niveau  national que régional et international, que le Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement des pays ayant le français en partage, qui s’est tenu à Moncton (Canada – Nouveau Brunswick) en Septembre 1999, a décidé de l’organisation à Bamako d’un “Symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone”, qui permettra d’approfondir la concertation et la coopération autour de l’Etat de droit et de la culture démocratique.

 

Par Me Demba Diallo

Médiateur de la République du Mali

(1999)

Source: Le 26 Mars

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