Face à ses collègues députés, Me Mountaga Tall a donné des explications on ne peut plus claires sur ce qu’il convient d’appeler désormais l’affaire Babani Sissoko. Plus qu’une réplique, la sortie de l’avocat émérite, doublé d’homme politique, met la lumière sur des zones du différend qui l’oppose à Babani. En clair, Me Tall a montré toute sa disponibilité afin que le contentieux puisse être vidé. Nous vous proposons l’intégralité de son discours prononcé à l’Assemblée nationale, vendredi dernier.
Monsieur le 1er Vice-président, président par Intérim de l’Assemblée nationale ; Mesdames et Messieurs les membres du Gouvernement ;
Honorable collègues ; Mesdames et Messieurs.
Ma qualité de doyen en termes d’ancienneté (avec quelques rares autres) des députés de la 3ème République, les responsabilités que j’ai assumées dans notre Institution, le rôle politique que je prétends y jouer, mon adhésion totale à la République et ma dédicace à la démocratie m’obligent à être devant vous aujourd’hui pour voir statuer sur une demande de levée de mon immunité parlementaire.
Je ne considère pas, pour ma part, cette procédure comme avilissante.
Vous vous rappellerez en effet, Monsieur le président, Honorables Collègues, que lors du processus électoral de 1997, alors que j’étais un père de famille respecté, j’ai été inculpé à trois reprises. Et quelques fois, pour des faits infiniment plus graves et plus déshonorants que ceux qui me sont aujourd’hui reprochés. J’ai été alors trimballé à Bamako dans des véhicules dont les bâches avaient été enlevées afin que je sois mieux vu ; subi une expertise psychiatrique pour s’assurer que je n’étais pas fou. Mon domicile a été encerclé par près de 50 hommes en armes pour une perquisition sans résultat, bien sûr, sauf le traumatisme que l’on a fait subir à mes enfants à l’époque en bas âge. Bien sûr mes voisins s’interrogeaient sur le grave crime que j’avais pu commettre. Enfin, j’ai été déporté de prison en prison dans des conditions parfois inhumaines. Tout cela s’est soldé par trois non-lieux. Juste après ces avanies, j’ai été réélu député au 1er tour avec 77% des suffrages.
Quinze années plus tard, je me retrouve devant une nouvelle cabale politico-judiciaire. Je m’efforcerai de vous en faire la démonstration en examinant avec vous le rapport de la Commission ad’ hoc, avant de formuler quelques observations générales.
Le rapport de la Commission
Ce rapport, pour ce qui me concerne, se caractérise par un déséquilibre criard entre les arguments développés par les deux parties. Les accusations du plaignant sont reprises et détaillées sur une page et demie et 7 longs paragraphes. Un petit paragraphe en 6 lignes est consacré à ma défense. Vouloir abattre coûte que coûte ? D’accord. Mais, intelligemment au moins ! La Commission affirme avoir entendu certains créanciers qui sont : Boubacar Djigué, Dorah Berthé, Gaoussou Kéïta, C.S. Cissé. La Commission oublie de citer Cheickna Diawara, vendeur de véhicules. Maître Amadou Diop (Notaire) et Maître Abdoulaye Guimba Ouane ont également été entendus, en plus de Mountaga Touré.
Il est loisible de constater que le rapport ne rapporte rien sur leurs dépositions. C’est ce qui aurait permis aux honorables députés d’apprécier le caractère loyal ou déloyal, abusif ou non de la mesure recommandée.
Qu’ont dit ces créanciers ?
Fily Sissoko: Le fils de Babani a reconnu tous les prélèvements, appuyés par des signatures, qu’il reconnaît aussi. Il ajoute que c’est son père qui l’a toujours envoyé et a toujours confirmé à Me Tall le montant des sommes à lui remettre. Pourquoi cela ne ressort pas du rapport ?
Berthé-Edm : il reconnaît que la somme contestée lui a été intégralement versée ; reconnaît sa signature ; affirme avoir fait les reversements à Edm et remis les factures correspondantes. Pourquoi cela n’est pas dit dans le rapport ?
Gaoussou Kéïta : Les sommes qui lui ont été remises n’ont jamais fait l’objet de plainte ou de contestation. Son audition est bizarre.
Cheick Sadibou Cissé : il reconnaît avoir perçu les sommes contestées et avoir été informé des corrections apportées au reçu délivré.
Me Amadou Diop et Me A.G. Ouane: ils ont confirmé l’implication effective et décisive du Cabinet Tallex dans la vente de l’immeuble Mariétou Palace.
Cheickna Diawara :(que la Commission oublie de citer) : Il a déclaré que Me Tall n’a pas été impliqué dans les transactions pour les achats de véhicules qui ont été directement livrés à l’acheteur. Et ce, malgré les tentatives de subornation de témoin dont il a été l’objet
Boubacar Djigué :Je n’ai jamais dit qu’il a été payé, mais qu’il a refusé de recevoir son paiement. Les correspondances versées à cet égard, le prouvent éloquemment !
Pourquoi tant de silence et d’omissions ? La Commission écrit que le plaignant «prétend que Me Tall ne lui a jamais rendu compte de l’exécution du mandat qu’il lui avait confié». L’équité dans le traitement aurait dû amener la Commission à évoquer la lettre de compte rendu du 14 décembre 2007 versé aux débats. Mais enfin, la Commission ne peut penser à tout et l’oubli est naturel.
Mesdames et Messieurs,
Je fais tous ces développements parce que, au-delà des consignes de vote, il est important pour moi d’édifier mes collègues députés. Car, je sais que le vote est une chose et la conviction, autre chose. Car, ce qui importe pour moi, ce n’est pas d’être protégé, mais d’être blanchi.
Enfin le rapport indique que les poursuites envisagées ne sont «ni abusives, ni déloyales». Parlons-en ! Les faits qui me sont aujourd’hui reprochés remontent à 2006 ; le dossier a été clôturé en 2007 ; le plaignant en a été informé la même année. Je n’ai jamais reçu de lettre de réclamation, ni de protestation. Nos relations sont restées courtoises, voire bonnes jusqu’au jour où j’ai entendu parler de propos malveillants tenus ici et là, et enfin, de plainte. Ce revirement est intervenu à la veille d’une élection à laquelle ma candidature était attendue. Ces poursuites sont déloyales, car il s’est agi d’un marchandage entre un candidat et le plaignant : «tu auras de l’argent et j’élimerai un concurrent».
Observations générales
Mesdames et Messieurs, M. le ministre de la Justice,
Je voudrais vous rassurer sur un point important : le gouvernement, en transmettant la demande de la levée d’immunité parlementaire à l’Assemblée nationale, était parfaitement dans son rôle. On ne peut avoir dédié sa vie à la démocratie et ne pas approuver une telle démarche qui honore et renforce la République. D’ailleurs, ce n’est pas la 1ère fois qu’une telle procédure est enclenchée au Mali. Mais Monsieur le Ministre, il s’est passé des choses en amont et en aval, qui ne vous concernent pas et qui décrédibilisent ce qui est en cours : marchandage entre un candidat et un failli qui cherche à faire fortune pour «liquider un autre candidat».
Tentatives de subornation de témoins
Articles malveillants commandités.
Mesdames et Messieurs,
Je suis dans la vie publique depuis 22 ans. Depuis 22 ans, je n’ai jamais fait l’objet de la moindre accusation concernant les deniers publics. Je ne peux d’ailleurs en faire l’objet, car depuis 22 ans, je me suis mis en réserve de la République. J’ai fait preuve pendant tout ce temps d’un total désintérêt aussi bien pour les positions, les prébendes que les honneurs. Je n’ai ni décoration, ni médaille. Depuis 22 ans, je ne me suis pas enrichi. Au contraire. Au moment où le débat électoral porte sur le comportement des hommes politiques, cela peut gêner. Et cela gêne !
Monsieur le Président,
J’ai aussi 33 ans de vie professionnelle. Jamais en 33 ans, je n’ai eu de problème avec un client. Je suis fier de ce que j’ai pu apporter à mon Barreau qui m’a récemment honoré par un Ciwara. Je suis fier des responsabilités que j’ai assumées comme Avocat au Mali, en Afrique et dans le monde. Mais, je suis surtout fier d’avoir formé nombre de ceux qui sont aujourd’hui les sommités du Barreau. Au procès, Boukary DAOU, trois avocats se sont distingués : Lamissa Coulibaly-Cheick Oumar Konaré et Mamadou Camara. Eh bien, je suis fier de les avoir formés !
Monsieur le président,
Ceux qui ont ourdi un complot juridico-politique en utilisant le gouvernement comme «boîte à lettres» et qui essaient d’utiliser le Parlement comme bras séculier, doivent savoir qu’il existe trois sortes d’acteurs politiques. Ceux qui, comme le tourbillon (founou-founou), montent haut très vite, en salissant tout, avant de retomber rapidement comme un soufflet. Ceux qu’on garde dans une couveuse, car ils ne peuvent affronter aucune intempérie. Ceux qui, comme le baobab majestueux au milieu de la savane, affrontent les éléments sans plier. Où suis-je ? Je ne sais pas.
Mais à ceux qui font dire dans le Mali profond que «Mountaga ka député diala farala». Ceux qui racontent que «Mountaga a joué et perdu en ne rejoignant pas certains regroupements». Je réponds : Je ne suis pas en quête de protection ! Je ne suis pas en quête de protection ! Je ne suis pas en quête de protection !» Le jeu n’a pas encore commencé. Il n’est donc pas fini. Je suis candidat, j’ai déposé mon dossier hier avec les signatures de députés requises. Je reste candidat, Inch Allah ! Cette pitoyable affaire ne me fera pas dévier de mon chemin. Que Dieu nous inspire et nous Guide ! Que Dieu bénisse le Mali ! Merci !!!
Me Mountaga TALL
Député à l’Assemblée nationale
Député au Parlement panafricain