Autrefois, les prétendants observaient bien les jeunes filles avant de demander leurs mains. Histoire de déceler chez elles des indices favorables ou défavorables à la vie de couple
Depuis des siècles, dans ce pays, le mariage ne se fait pas au pied levé. La famille du jeune homme en âge de prendre femme mène une enquête sur la future fiancée. Les sages, les marabouts, les féticheurs, les prédicateurs reconnus dans nos sociétés sont consultés. Leur verdict, nuancé ou sans appel, scelle le sort de tout mariage envisagé. Le plus souvent, ce sondage occulte se pratique à l’insu des amoureux. Les témoignages suivants de traditionalistes, guides religieux et jeunes des deux sexes confirment ces survivances tenaces des us et coutumes. L’union sacrée exige de savoir baliser le parcours du couple dans la vie. Pour le bonheur, en évitant si possible le pire.
La grand-mère Ba Aminata Diallo est ressortissante du ‘’Ganadougou’’. Précisément, elle est originaire du village de ‘’Koungoba’’. Elle exprime ses regrets profonds en ces termes : « Autrefois le mariage ne se faisait pas au pied levé. Mais de nos jours, les jeunes se rencontrent dans la rue, et décident sous l’emprise du coup de foudre de se marier, au plus pressé, mettant les parents devant le fait accompli ». Cet empressement de mauvais aloi est source de nombreux problèmes dans la société malienne. La tradition impose au jeune homme transi d’amour de se retenir. Il informe ses parents de son désir de convoler en noces avec l’élue de son cœur. Un vieux sage, versé dans les sciences occultes, sera chargé de rendre visite à la famille de la jeune fille. Le père reçoit le messager qui lui remet un colis de dix colas et 100 Fcfa. Il ajoute ces propos codés: » Je viens de la part du vieux Traoré que vous connaissez. Je viens prendre des informations sur votre fille « une telle ». Les » touguossi colas » donnent droit à l’émissaire spécial de recevoir des informations sur la fille en question. Le chef de famille appelle la mère de la fille et lui instruit de dire à sa progéniture de venir. Le vieux lui demande d’aller chercher à boire pour l’étranger.
Toute la mission d’observation du traditionaliste s’accomplissait dans le laps de temps de cet aller et retour. Au moment d’entrer dans la cuisine ou dans l’antichambre, si la jeune fille place le pied gauche, avant le pied droit, le vieux instinctivement plisse le front ou baisse la tête pour ne pas se trahir. Le pied gauche introduit le premier dans le salon signifie que cette jeune femme n’est pas « leur future belle fille ». Elle porte la guigne ou le « téré ». La jolie fille qui vient de lui offrir le gobelet d’eau baigne dans un aura de malchance chronique. La conviction du traditionaliste est que tout mariage avec cette élégante est voué à l’échec.
INTERPRÉTATION DES SIGNES. La vieille du ‘’Ganadougou’’ ajoute qu’apporter un bol d’eau non rempli au vieux est aussi perçu comme un mauvais signe. Il présage que la jeune fille ne possède pas toutes les qualités d’une épouse chanceuse.
En outre, Ba Aminata Diallo soutient que la femme qui fait toutes ses activités avec sa main gauche porte elle aussi le ‘’téré’. « Ce genre de femmes n’attire pas la chance dans son foyer. La main gauche symbolise le malheur », a-t-elle précisé. Cette vieille est convaincue que la chance de la femme se lit dans les lignes de sa main droite et que celle de l’homme se lit dans sa main gauche. Dans le passé les « gauchères » avaient du mal à se marier. Elles étaient données en mariage à des hommes gauchers ou à des vieux. Les femmes n’ayant pas de creux dans la planche du pied sont malicieusement appelées en bambara les « sé nommi », « les femmes pieds plats ». Elles sont craintes. Selon la croyance populaire, elles enterrent leurs maris peu de temps après l’union sacrée. Les femmes qui tendent le cou, comme pour regarder quelque chose dans un trou sont appelées les « salé dékoun ». Perfidement, cette expression bambara accuse la femme, qui marche en tendant le cou comme une girafe, d’observer le cadavre de leur mari déposé dans une tombe ouverte. « La femme-girafe » perdrait toujours ses deux premiers maris. Mais le troisième aura la chance de vieillir auprès de cette terrible « femme-girafe » et de vivre plus longtemps qu’elle. Il vaincra le mauvais signe. Il enterrera son épouse qui effarouche les devins et les prétendants.
La vielle Adja Diabaté, de Yanfolila estime qu’il est normal de chercher à connaître le signe qui va perturber la vie conjugale après le mariage. Expliquant la procédure, la vieille Diabaté souligne que le vieillard, envoyé spécial, effectuait une visite surprise dans la possible future belle-famille. Lors de cette visite, les présages sont heureux s’il coïncide avec le retour à la maison de la fiancée portant un fardeau. Cela prouve que son mari aura beaucoup de chance dans son foyer. L’émissaire secret qui tombe sur « la fiancée » dans la cour, rapportera une bonne nouvelle à ses mandataires. La jeune fille qu’il vient de découvrir pour la première fois dans la concession paternelle restera à jamais gardienne de son futur foyer conjugal. Par ailleurs, Adja Diabaté a déclaré que la jeune fille surprise en train de balayer, de laver les ustensiles de cuisine ou de faire la lessive, sera le socle de son foyer. Par contre, la jeune fille absente au moment de la visite sacrée du vieux sage, ne sera pas stable dans la concession de son homme. Elle est, comme disent les bambara « une bassiki bali », une « sétèdia » ou celle qui arpente les rues à toutes les heures.
Le « téré » n’est pas propre aux femmes. Mme Adja Diabaté stigmatisent les hommes au menton glabre. Ces imberbes auraient moins de chance d’avoir des enfants dans leur foyer conjugal. Les hommes à la poitrine velue épouseraient des femmes malchanceuses. Les maris qui perdent leurs deux premières épouses en perdront encore.
Selon Bréhima Kanté, ressortissant du village de Danderesso, « les mauvais signes sont des réalités de notre culture. Avant de se marier, les hommes doivent chercher à connaître leurs futures conjointes. Les futurs époux ont le devoir de protéger leur mariage de la malchance, pour ne pas se « foutre le doigt dans l’œil ». Au lieu de progresser, ils seront toujours en retard dans la vie. Le vieux forgeron B.Kanté évoque plusieurs mauvais signes observés sur les femmes ayant des bouches très petites ou des grosses fesses haut perchées. Celles qui ont une bouche petite ou des fesses haut perchées, enterrent deux à trois hommes, avant de passer le reste de la vie auprès du quatrième.
Autre temps, Autres moeurs ? Les progrès techniques et l’aisance matérielle qui en découle semblent avoir desserré l’étau du « téré » sur l’esprit des jeunes générations. Le point de vue de Seydou Togola, du quartier de Sébénikoro est le suivant: « on est bien avec celle ou celui qu’on aime. Tout le reste est futilité ». Il estime que ceux qui croient aux histoires de « téré » ignorent le destin. Le jeune Togola soutient que « nul n’est malchanceux. A chacun sa chance dans la vie ». L’enseignant, Alou Badra Keïta, du quartier de Torokorobougou est convaincu que « si un homme rencontre une femme malchanceuse, c’est que l’homme lui-même est malchanceux». Il rassure tous les futurs maris. Les mauvais signes sont des illusions. Cet intellectuel est convaincu que la bonne communication dans le couple résout tous les problèmes. Le sociologue Fakoh Diarra rappelle que la considération accordée à ces mauvais signes était plus forte au13ème siècle. Il a affirmé que ces signes de divination sont particuliers à l’Afrique mandingue. Ils font partie d’une époque révolue. De nos jours, cette croyance rétrograde ne doit plus déterminer le mariage. Le sociologue a souligné que l’ouverture de l’Afrique à l’étranger est avérée. Seule une minorité de la population accorde encore du crédit à l’influence maléfique du « téré ». Ces signes font partie du physique même de l’individu. A cet effet, Facoh a invité la population à considérer ces pratiques avec mesure. « Il ne faut pas systématiquement juger qu’un mariage n’est pas porteur de bonheur tant que les signes ne sont pas positifs », a-t-il ajouté. Le professeur à la retraite Facoh Diarra a pris le cas des Occidentaux. Ils ne tiennent pas compte des mauvais signes. Et pourtant, ils ont un fort pourcentage de mariages bien réussis.
L’histoire du Mali retient la légende de « Sogolon Kedju ». Cette mère au physique disgracieux, la poitrine bombée et portant une bosse a donné naissance à un grand homme, Soundjata Keïta, l’empereur du Mali. L’arrivée à la cour de cette femme disgracieuse avait pourtant été annoncée bien longtemps au père de Soundjata. Qu’il devait la prendre comme épouse et que leur enfant ferait la renommée mondiale et éternelle du Mandé. Ainsi depuis que le monde existe, » l’exception confirme la règle ». Le sociologue Fakoh Diarra a appelé les hommes et les femmes à être critiques face aux interprétations des prétendus mauvais signes.
Mariam F.
DIABATÉ
Source: L’ Essor- Mali