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Mamadou Igor Diarra : « après le débat, il y aura l’action »

Quelques semaines après la parution du livre de l’ancien ministre Mamadou Igor Diarra, « C’est possible au Mali », ouvrage largement commenté dans la presse nationale et internationale et sur les réseaux sociaux, l’auteur nous a accordé une interview exclusive.

Les Echos : Pourquoi cet ouvrage ? Et Pourquoi maintenant ?

Mamadou Igor Diarra : J’ai toujours eu envie d’écrire, mais mes occupations ne m’en ont pas jusqu’à maintenant laissé l’opportunité. Il faut du temps, beaucoup de temps, c’est un processus long, surtout pour un écrivain débutant.

Mais aujourd’hui, le moment me semble suffisamment grave pour m’obliger à trouver ce temps et à apporter ma contribution au débat. Ce livre est certes une autobiographie, mais c’est surtout un appel à la jeunesse, un appel au renouvellement et au changement des pratiques. Il est indiscutable qu’un jeune ne voit pas, ne pense pas le monde, comme quelqu’un de plus âgé. C’est un constat, pas un jugement.

Le renouvellement générationnel que j’y décris est donc inéluctable. La jeunesse malienne est consciente et plus engagée. Elle doit activement participer à un débat indispensable pour le bien de notre pays et de tous ses citoyens.

J’invite donc la jeunesse malienne à lire ce livre, car je pense, j’espère, qu’elle y trouvera matière à lui redonner espoir et à l’inspirer. C’est en tout cas d’abord et avant tout pour elle que je l’ai écrit.

Les Echos : Pour beaucoup, vous voulez solder vos comptes avec IBK, pourquoi ?

M.I.D. : Ce jugement est sévère. J’ai évoqué tous les présidents du Mali dans le récit. D’ailleurs je précise bien dans le livre, que je maintiens au président IBK ma gratitude, mon affection et mon respect. En fait, c’est comme si la sincérité était toujours suspecte : j’ai écrit ce livre avec franchise et conviction. Mais, contrairement à ce que souhaiteraient certains commentateurs, il n’y a aucun compte à régler. Je pense surtout que nous mettons trop d’affect dans ces relations, et cela n’a rien à faire dans les rapports professionnels. C’est d’ailleurs l’une des raisons du rejet de la classe politique par nos concitoyens. La réalité est beaucoup plus simple : j’ai servi mon pays à un poste prestigieux à la demande du président de la République, et pour une mission bien définie. Le jour où celui-ci a estimé que celle-ci était accomplie, j’ai décidé tout naturellement de retourner à mon métier. C’est une situation normale, presque banale, qui se produit tous les jours dans plusieurs pays du monde. Quel piètre serviteur de l’Etat serais-je, si je faisais passer mes sentiments avant le respect du fonctionnement normal du pays !

La politique n’est pas vraiment un métier, ou en tous les cas pour moi ne devrait pas l’être, et la fonction de ministre n’est pas dotée d’un contrat à durée indéterminée.

Les Echos : Le titre de votre livre est : « C’est possible au Mali ». Qu’est-ce qui est concrètement possible ?

M.I.D. : Tout est possible, hier, aujourd’hui et demain.

Naître en Ukraine, grandir au Mali et y accéder à de hautes fonctions aussi bien dans le public que dans le privé a été possible au Mali. Comme quoi, le rêve n’est pas qu’américain.

Le courage de nos populations et la résilience de nos entreprises face à la situation dramatique que connaît notre pays fait que la vie continue malgré tout. C’est donc possible de résister, et bien sûr de continuer à espérer en dépit des incertitudes et menaces.

Mais nous nous en sortirons, car le Mali est riche : de sa jeunesse, de son sol et de son sous-sol, de sa diversité et de sa culture.

Oui, tout cela, c’est possible au Mali. C’est aussi possible surtout, parce que c’est le Mali.

Les Echos : Votre ouvrage est quand même une charge contre le régime IBK. Rien ne trouve grâce à vos yeux ?

M.I.D. : Encore une fois, c’est inexact. Et d’ailleurs j’assume pleinement ma part de ma présence au gouvernement en tant que ministre de l’Economie et des Finances. J’ai même précisé que le temps du bilan n’était pas encore venu et que lorsque celui-ci viendra, il mettra en lumière quelques réalisations de poids. Je pense notamment à loi d’orientation et de programmation militaire dont la mise en œuvre a été financée par le budget national, ainsi qu’aux retombées bénéfiques sur la croissance économique de l’affectation de 15 % du budget à l’agriculture.

Mes critiques sont dirigées contre une certaine façon de penser la politique, pas contre telle ou telle personne. Je veux montrer qu’il est plus que temps de passer à autre chose en faisant de la politique autrement. Je veux affirmer mes convictions, pas jeter l’opprobre sur qui que ce soit.

Néanmoins, personne ne peut nier, d’une part, que les tensions qui ont provoqué la crise de 2012 sont encore d’actualité, et, d’autre part, que la situation est loin d’être brillante. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à le déplorer. La même analyse est faite par la plupart des observateurs, maliens comme internationaux. Encore une fois, ce n’est pas jugement, c’est un constat.

Les Echos : Est-ce à cause du fait que vous n’avez plus été nommé Premier ministre ?

M.I.D. : S’il en a un jour été question, vous me l’apprenez… Plus sérieusement, le président de la République ne m’a jamais promis ce poste et je ne le lui en ai jamais fait la demande.

Mais je suppose que vous faites allusion à une rumeur qui circulait à un moment donné et que j’ai la faiblesse d’attribuer aux bons résultats obtenus avec mon équipe, reconnus à l’époque par le président à la fois par les opérateurs économiques et par nos partenaires. Croyez-moi, cette rumeur m’a créé plus d’adversités et d‘ennuis que de confort.  De toute façon, je n’avais vraiment pas le temps d’y penser, vu l’intensité de la charge et les innombrables priorités ; mon seul objectif était de stabiliser le cadre macro-économique et de créer les conditions d’une relance économique. C’est cela qui est important, le reste…

Les Echos : Votre livre a suscité l’intérêt, mais aussi la polémique

M.I.D. : Comme auteur, l’intérêt est une bonne nouvelle. La polémique aussi, surtout quand elle démarre avant la sortie du livre. Tous les éditeurs vous le diront.

Mais en tant que citoyen responsable, je n’y répondrai pas. Notre Mali souffre de fractures suffisamment graves pour ne pas y ajouter des attaques personnelles, de plus étrangères à notre savoir-vivre. J’expose des faits et des idées. Il est absolument légitime de les discuter, mais je crois que notre pays en crise a besoin d’un débat sérieux et responsable. Je sens beaucoup ce désir de sérieux dans les conversations que j’ai un peu partout. Je vais m’y tenir.

Les Echos : On lit beaucoup, sous la plume de vos détracteurs, que votre livre est dicté par le seul appétit du pouvoir. Est-ce le cas ?

M.I.D. : Permettez-moi plutôt de faire l’éloge des hommes et des femmes politiques qui s’engagent démocratiquement pour se mettre au service de leurs concitoyens. Je salue cet engagement pris par ceux dont j’approuve l’action comme par ceux avec qui j’ai des désaccords. Nous sommes dans une période pré-électorale. Certains vont estimer pouvoir prendre part au débat, lequel, je n’en doute pas, sera cette fois ci plus intéressant que précédemment vu le contexte. Doit-on tous les traiter d’affamés du pouvoir pour autant ? S’ils ont failli, s’ils ont menti, volé, trahi, oui, détournons-nous d’eux. Mais sinon, écoutons-les et choisissons en conscience celle ou celui dont les propositions nous semblent être les meilleures pour le pays.

Les Echos : Et après le livre ?

M.I.D. : Le livre est une façon pour moi de contribuer au débat. Mes propositions, comme celles des autres, seront analysées par notre jeunesse qui représente, je le rappelle encore une fois, plus des deux tiers de notre population. Cette jeunesse est consciente, engagée, exigeante et demande le débat. Après le débat, il y aura bien entendu l’action.

Les Echos : Il ne fait mystère aujourd’hui pour personne que vous serez candidat à l’élection présidentielle. Quels sont vos atouts ?

M.I.D. : Bien que briguer un mandat électif soit un acte noble d’attachement à son pays, n’est pas candidat à l’élection présidentielle qui veut. Pour être un candidat crédible, il faut d’abord avoir les attributs d’un président efficace, qui fait ce qu’il dit. J’insiste sur ce point, car faire ce que l’on dit est fondamental pour que la classe politique regagne l’estime et la confiance des citoyens.

Il faut bien sûr connaître son pays, les problèmes des populations comme ceux des entreprises, et être à l’écoute de la jeunesse, ce qui permet de faire un bon diagnostic de l’état de la Nation, préalable à toute action planifiée et organisée.

Il faut également être doté d’un caractère fort et déterminé, savoir décider et ne penser qu’à son pays, d’abord à son pays, toujours à son pays.

Mais un candidat crédible doit avant tout bénéficier d’un soutien populaire, de celui d’une partie de la classe politique et d’organisations de la société civile qui partagent les mêmes valeurs.

En effet, si la volonté est d’abord individuelle, le chemin ne peut ensuite se parcourir qu’à plusieurs. C’est une œuvre collective.

Les Echos : Pour certains, cette candidature a pour objectif seulement d’aller à une alliance avec IBK. Serait-ce le cas ?

M.I.D. : Le problème n’est pas là et votre question, excusez-moi, s’inscrit encore dans une façon de faire de la politique dont je ne veux plus, en tout cas qui ne m’intéresse pas. La situation est trop grave pour cela.

Aujourd’hui, de nombreux mouvements et associations regroupant des jeunes, des intellectuels, au Mali ou parmi la diaspora, se mobilisent afin que nous lancions ensemble un mouvement pour participer plus activement à la vie politique de notre pays. Ce mouvement, entièrement bénévole et spontané, se construit et commence à prendre corps, en fédérant, regroupant, dynamisant et structurant toutes sortes d’énergies positives, venues de toutes les régions du Mali, ainsi que de la diaspora.

Par ailleurs, plusieurs leaders qui viennent de formations politiques avec qui nous partageons les mêmes ambitions pour le Mali se mettent aussi en ordre pour l’action. C’est intéressant et utile.

Pour répondre tout de même à votre question, il est donc prématuré de parler d’alliance, mais les problèmes que nous connaissons sont énormes et nous avons besoin de toutes les bonnes volontés pour reconstruire notre pays.

Nous ne sommes pas dans une démarche politicienne au sens ancien du terme. Nous voulons de l’action, des faits, des actes, du concret. Tous ceux qui se reconnaissent dans cette dynamique seront les bienvenus, indépendamment des structures politiques traditionnelles. Il y aura certainement d’autres synergies. Vous verrez, s’il plaît à Dieu, ce sera possible au Mali.

Propos recueillis par

Alexis Kalambry

SourceLes Echos

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