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MaliSansEsclaves : « Nos sociétés ne sont pas absolument égalitaires »

Ismaïla Samba Traoré, écrivain et éditeur, nous explique la trajectoire du phénomène de l’esclavage dans le Sahel occidental. Il s’agit d’un extrait de son roman Les Amants de l’esclaverie. Un texte qui, selon nous, résonne comme le meilleur éditorial possible pour notre dossier sur l’esclavage.

Mes recherches m’ont conduit souvent dans les confins du sahel occidental, plus particulièrement en sa partie Nord-Ouest du Mali. Ce qui fut l’occasion pour moi de découvrir de grandes étendues à l’aridité aggravée par la terrible sécheresse qui sévissait. La précarité, la famine avaient eu raison de l’immobilisme social. Les hiérarchies consacrées étaient battues en brèche.

Il existait souvent un quartier dit des « jons » (captifs) dans certaines agglomérations. Entre horon (homme libre, noble) et jon (esclave, captif), les rôles et statuts respectifs étaient apparemment restés les mêmes… « Mes maîtres se sont installés ici, me dit un porte-parole des captifs, afin de mettre fin aux enlèvements des enfants bambaras par les Suraka. Il y a plusieurs siècles que nos ancêtres sont arrivés là. Personne ne leur a prêté la terre, ils l’ont conquise, grâce à leur bravoure et l’ont conservée, en dépit des fréquentes incursions de ceux qui venaient chasser là pour enlever les gens

Jeunesse en rupture

Avec la persistance de la sécheresse qui avait déstabilisé les systèmes de production, agricole et pastorale, la bonne fortune avait changé de camp : les jons n’étaient plus ces éternels dépendants, ils avaient même davantage de biens que leurs maîtres d’hier. Les villages que les héros des récits fondateurs avaient détruits jadis s’étaient repeuplés, alors que les résidences des héros avaient régressé, tant sur le plan démographique que sur le plan économique. Plus préoccupant pour les horons, le processus de décentralisation en cours risquait de les mettre à égalité ou sous la tutelle des villages de leurs dépendants d’hier.

La jeunesse semblait en rupture. Elle migrait en masse, choisissant de quitter les villages historiques pour aller travailler et vivre ailleurs, le plus souvent sur les riches terres irriguées ou les terroirs qui vivaient de cultures de rente. En migrant, hors du terroir, les jeunes jons refusaient d’assumer des relations inégalitaires avec leurs « maîtres » du même âge, partis en exode eux aussi.

Manteau de la pudeur

Depuis l’indépendance des États sahéliens, un manteau de pudeur essaie de recouvrir ce passé. Les « anciens propriétaires » de jons esquivent le sujet, tout comme les familles frappées par ce statut. La vie sociale et culturelle est dominée par des créations et des manifestations qui renvoient à la question. Dans la compétition politique, de nombreuses personnes sont stigmatisées en raison de cela. Même lorsque certains acteurs de la politique et de la haute administration arrivent à s’affirmer, leur statut d’ « infériorité » finit toujours par leur être renvoyé à la figure. Le pire, c’est que la législation répressive en la matière n’arrive pas à s’appliquer dans de nombreux pays, comme au Mali et en Mauritanie par exemple où existent des organisations qui militent pour l’abolition.

Je parle aux nouvelles générations sahéliennes à qui on distille l’image d’une Afrique idéelle. Mille ans d’histoire ne signifient nullement mille ans de valeurs, de faste et de faits glorieux. Nos pères, les pères de nos pères ne furent pas forcément tous beaux, justes et équitables. Nos sociétés n’étaient pas, ne sont pas absolument égalitaires car des hommes, des pouvoirs, des systèmes y ont établi les structures sociales et les fondements idéologiques de l’esclavagisme. Par leur caractère abject, les systèmes esclavagistes, interne comme triangulaire, ont faussé la trajectoire du développement du continent, davantage que le fameux retard technologique. Car, si l’homme est perçu comme marchandise, ou comme une bête de production sans droits, quelle est la part faite à sa créativité, aux savoirs et à la capacité de transformation dont il est porteur ? Quelle éthique prévaut dans un tel environnement et au profit de quel modèle de société ?

Extrait du préambule du roman Les amants de l’esclaverie, Le Cavalier bleu, 2004.

Source: benbere
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