Autant de pratiques qui ont précipité l’Agence Mali Tourisme dans l’abîme. Avec à la clé, plus de 1 milliard (1 031 456 320F) de francs CFA qui ont pris une destination, jusque-là, encore inconnue en 3 ans de gestion, soit les exercices 2019, 2020, 2021 et 2022. Du moins, si l’on en croit une enquête financière du Bureau du Vérificateur général.
Décidemment, le DG de l’Agence de Promotion du Tourisme au Mali, M. Sidy Keita et sa bande sont mal barrés. Les irrégularités financières engendrées au niveau de cette structure étatique dépassent l’entendement. D’où la paralysie de la structure à tous les niveaux. Ou presque.
L’APTM dans son histoire n’a jamais connu une telle hémorragie financière. Pire, elle n’a jamais été confiée à une personnalité, aussi controversée que M. Sidy Keïta. Pendant 3 ans, les caisses ont coulé. Comme le fleuve dans son lit. Les irrégularités financières ne sont pas comptabilisées en millions mais en milliard de nos francs : 1 031 456 320 FCFA.
L’Agence Mali Tourisme n’a pas seulement perdu de sa superbe. Elle a été vidée de son âme, vendue au diable. Et jusqu’aujourd’hui, son DG Sidy Keïta n’affiche qu’une image de ruine et de désolation. Et pour cause : jamais, la mauvaise gouvernance au sein de ce service n’a atteint un tel degré.
L’APTM dans le gouffre
Jugée, pourtant, stratégique dans la diversification touristique ainsi que la promotion touristique de la destination Mali aux niveaux national, sous régional et international ; l’APTM n’a pas échappé à l’appétit vorace de ses responsables. Par petite touche, ils ont « sucé » les caisses, érigés le népotisme en mode de gestion. L’espoir tant suscité auprès du gouvernement, a viré au cauchemar. Un flop magistral.
La vérification financière de la gestion de l’Agence de Promotion Touristique du Mali durant les exercices 2019, 2020, 2021 et 2022 ont révélé d’importants dysfonctionnements du contrôle interne. Du coup, les irrégularités financières se chiffrent à plus d’1 milliard FCFA.
En effet, pendant la période sous-revue, les membres de la commission de dépouillement et de jugement des offres ont effectué des simulations de mise en concurrence.
Afin de s’assurer du respect de ces dispositions, les enquêteurs ont découvert que l’Agent Comptable n’a pas reversé la part de l’ARMDS sur des produits issus de la vente de deux DAO (Dossiers d’Appels d’Offres) pendant la période sous revue pour un montant total de 155 000 FCFA. Plus grave, pendant la période sous revue, le sport favori du Directeur des Finances et de l’Approvisionnement (DFA) de l’APTM, M. Abdoulaye Keita, a été la non application des pénalités de retard sur des marchés passés par DRPR (Demande de Renseignement et de Prix à compétition Restreinte). Sur ce volet, l’article 9 des marchés de l’APTM est clair : « en cas de retard dans la livraison des fournitures ou dans la prestation des services, le titulaire sera passible d’une pénalité par jour de retard fixé à un cinq millième (1/5000ème) ou un deux mille cinq centième (1/2500ème) du montant du marché initial éventuellement modifié ou complété par les avenants intervenus. Il n’est pas prévu de prime pour exécution anticipée de l’objet du marché ».
Cependant, pour s’assurer du respect des clauses contractuelles relatives aux pénalités, l’équipe de vérification a examiné vingt marchés, les procès-verbaux de réception et les mandats de paiement. En plus, elle a rapproché la date des notifications définitives figurant sur les contrats à celle des PV de réception ou les ASF (Attestation de service fait), et procédé à des entrevues. Du coup, elle a constaté que le Directeur des Finances et de l’Approvisionnement de l’APTM, Monsieur Abdoulaye Keita , n’a pas appliqué les pénalités de retard sur trois (3) marchés dont les réalisations ont accusé un retard allant de 6 à 42 jours. Le montant total des pénalités s’élève à 187 120 FCFA.
Pire, le Régisseur d’avances a payé des fournisseurs détenant des NIF (Numéros d’identification fiscale) erronés. Pour s’assurer du respect des dispositions, l’équipe de vérification a examiné les factures payées par le Régisseur d’avances. Elle a aussi vérifié l’existence des NIF portés sur lesdites factures dans la base actualisée (31 janvier 2023) des contribuables, fournie par la Direction Générale des Impôts (DGI). Elle a également adressé le Mémo n°7 du 9 juin 2023 au régisseur d’avances de l’APTM afin de mettre à sa disposition les cartes d’identification fiscales des fournisseurs concernés. C’est ainsi qu’elle a constaté que des factures portant des NIF non retrouvés dans ladite base actualisée, ont été payées par le Régisseur d’avances de l’APTM. Le montant de ces irrégularités s’élève à 843 982 FCFA. Et ce n’est pas tout. Loin s’en faut.
Même l’Agent comptable, Ismaïl Soumaré a justifié des frais de mission et de transport par des pièces non conformes. Afin de s’assurer du respect de ces dispositions, l’équipe de vérification a demandé et examiné les pièces justificatives des frais de mission et de transport. Elle a également adressé le Mémo n°8 du 14 juin 2023 à l’Agent comptable pour lui demander de fournir les pièces justificatives non retrouvées dans le lot examiné. Elle a constaté que des missions ont été justifiées par des ordres de mission non visés ou visés par l’Association pour l’Environnement et le Développement Rural en lieu et place des autorités compétentes. Le montant des frais de mission non justifiés s’élève à 3 819 000 FCFA. L’équipe de vérification a également constaté que les frais de transport relatifs à l’ordre de mission N°2020-0015/MAT-APTM représentant 54 284 FCFA n’ont pas été justifiés. En effet, sur un montant de 104 604 FCFA qui devait servir au paiement des frais de transport au titre des ordres de mission n°2020-0015 et 0016/MAT-APTM, l’entité n’a fourni que le reçu de paiement de 50 320 FCFA représentant le justificatif des frais de transport au titre de l’ordre de mission N°2020-0016/MAT-APTM. Le montant total des irrégularités s’élève à 3 873 284 FCFA.
D’embrouilles en magouilles
Le chef de division des recouvrements de la Direction des Grandes Entreprises et des receveurs de Centres des impôts n’ont pas entièrement recouvré les émissions de la taxe touristique pour le compte de l’APTM. Sur la question, l’article 6 de la Loi n°96-052 du 16 octobre 1996 portant institution d’une taxe touristique dispose : « La taxe touristique est assise, liquidée et recouvrée suivant les mêmes garanties et les mêmes sanctions que les taxes sur les chiffres d’affaires. » Et l’article 320 de la Loi n°06-068 du 29 décembre 2006, modifiée, portant Livre de procédures fiscales d’ajouter : « Les receveurs des centres des impôts ou le chef de division recouvrement de la sous-direction des grandes entreprises sont responsables du recouvrement du montant de la TVA qu’ils ont pris en charge […] ». Enfin, l’article 328 du même livre de préciser : « Tout redevable n’ayant pas acquitté la TVA dans les délais fixés à l’article 322 du présent livre, est passible, indépendamment des sanctions prévues aux articles 119, 120 et 121 du présent livre, d’un intérêt de 2% de l’impôt dû par mois de retard décompté à partir de l’expiration des délais fixés à l’article 119 du présent livre […] » Cet intérêt s’applique aussi bien aux droits simples qu’aux pénalités infligées par les services d’assiettes. Pour son calcul, toute fraction de mois est comptée pour un mois entier. Son montant ne peut en aucun cas être supérieur à 20% des droits et pénalités dus. […]
Afin de s’assurer du respect de ces dispositions, les enquêteurs du BVG ont décelé que le chef de division des recouvrements de la Direction des Grandes Entreprises, les Receveurs de Centres des Communes I, II, III, VI du District de Bamako, ceux de centres des impôts des Moyennes Entreprises 1 rive gauche, 2 rive droite du District de Bamako, et ceux des centres de Kati, de Ségou et de San n’ont pas recouvré la totalité des émissions de la taxe touristique. En effet, il existe un écart entre les émissions et les paiements de ladite taxe pour certains exercices de la période sous revue. Le montant total des restes à recouvrer avec les majorations s’élève à 31 551 383 FCFA.
Par ailleurs, des promoteurs d’hôtels et des directeurs de compagnies de voyage ne déclarent pas l’intégralité de la taxe touristique aux services des impôts. Afin de s’assurer du respect des dispositions, l’équipe de vérification a retenu des structures hôtelières de Bamako et Ségou, et des compagnies de voyage. Pour les hôtels, elle a demandé pour examen, le registre des nuités au titre des exercices 2019, 2020, 2021 et 2022. Après, elle a demandé par lettre n°conf.0123/2024/BVG du 9 février 2024, la situation des nuités des hôtels concernés pour la période sous revue au Directeur National du Tourisme et de l’Hôtellerie. De plus, elle a demandé par lettres n°conf.0186/2024/BVG du 23 février 2024 et n°conf.0275/2024/BVG du 2 avril 2024 au Directeur Général des Impôts, les déclarations de la taxe touristique pour lesdits hôtels concernant la même période. Elle a enfin procédé au pointage des nuitées afin de dégager le montant réel à déclarer et comparé ce montant avec la situation donnée par la DNTH et les déclarations de la taxe touristique aux impôts.
Pour les compagnies de voyage, l’équipe de vérification a, par Lettre n°conf.0122/2024/BVG du 9 février 2024, demandé au Directeur Général de l’Assistance Aéroportuaire du Mali (ASAM) les données relatives à l’ensemble des passagers au départ à l’international collectées par son service du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2022. Elle a ensuite, par Lettre n°conf.0186/2024/BVG du 23 février 2024, demandé au Directeur Général des impôts, la situation des déclarations de la taxe touristique des compagnies de voyage pour la même période. Et comme résultat, les enquêteurs ont constaté que des hôtels ne déclarent pas l’intégralité de leur taxe touristique. En effet, il existe des écarts entre les montants à déclarer, calculés sur la base de pointage des nuités par l’équipe de vérification et ceux déclarés aux impôts par des hôtels de Ségou. Le montant de la taxe touristique non déclaré s’élève à 3 914 050 FCFA.
Cependant, après la transmission du rapport provisoire, l’Hôtel Esplanade a procédé au paiement de l’intégralité des montants dus au Centre des Impôts de Ségou suivant les reçus de paiement n°7479023 de 143 500 FCFA, n°74789 023 de 122 000 FCFA, n°7478933 de 403 000 FCFA et N°7478887 de 157 000 FCFA, délivrés le 12 octobre 2023 par le Centre des Impôts de Ségou. De plus, l’Hôtel Résidence Ségou a payé la somme de 500 000 FCFA à travers le reçu de paiement n°7485695 par le même Centre des Impôts le 16 octobre 2023. Il a également signé, avec ledit Centre, un moratoire de paiement de 431 425 FCFA par mois pendant 6 mois à partir de novembre 2023 pour le paiement du reliquat dû. Le montant de la taxe touristique à payer après les régularisations s’élève à 2 588 550 FCFA.
Toutefois, le centre des impôts de Ségou n’a pas justifié le paiement des pénalités et des intérêts censés être générés par les retards de déclaration et de paiement de la taxe touristique. Suite aux travaux complémentaires, l’équipe de vérification a constaté que des hôtels et compagnies de voyage n’ont pas déclaré l’intégralité de la taxe touristique. En effet, il existe des écarts entre les montants à déclarer, calculés sur la base des données fournies par la DNTH et l’ASAM, et ceux déclarés aux impôts par des hôtels et des compagnies de voyage. Le montant de la taxe touristique non déclaré s’élève à 41 104 500 FCFA pour les hôtels et 951 152 500 FCFA pour les compagnies de voyage. Le montant total de la taxe touristique non déclaré par les promoteurs d’hôtels et les directeurs de compagnies est de 994 845 550 FCFA. Pourquoi une non déclaration de l’intégralité de la taxe touristique ? Seul le DG de l’Agence de Promotion Touristique du Mali, Sidy Keita et sa bande pourraient y répondre. Du mois à l’heure actuelle.
Décidemment, la gestion de de l’Agence de Promotion Touristique du Mali est comparable à celle d’une épicerie. D’où des irrégularités financière de plus d’1 milliard pendant les exercices 2019, 2020, 2021 et 2022.
Bref, l’APTM a été sacrifiée sur l’autel d’intérêts égoïstes. Autrement dit, la caisse de la structure a subi une perte financière de plusieurs centaines de millions de francs CFA.
En réalité, cette mauvaise gestion est le fruit d’un système bien huilé, mis en place par le « prince » de l’APTM.
Selon ce système, les responsables de la structure veillent aux « bons soins » de leurs pots et de leur propre personne: enveloppes de fin du mois, marchés de gré à gré, bons de carburant à gogo, voyages sur la Côte d’Azur et autres cadeaux en nature. Du moins, s’ils veulent éviter des « ennuis ».
Face à de telles pratiques qui ont occasionné plus d’1 milliard de francs CFA (1 031 456 320F) dans la caisse de l’APTM, le Vérificateur, a transmis une dénonciation de faits au Président de la Section des Comptes de la Cour Suprême et au Procureur de la République chargé du Pôle National Economique et Financier relativement, à la simulation de mise en concurrence ; au paiement de frais d’actualisation du manuel de procédures sur un chapitre budgétaire inapproprié ; au non reversement des produits issus de la vente des DAO; à la non-application des pénalités de retard; au paiement des factures sur la base des NIF erronés pour un montant de 843 982 FCFA ; au paiement irrégulier des frais de mission et de transport pour un montant de 3 873 284 FCFA ; au non-recouvrement des émissions de la taxe touristique par les services des impôts pour un montant de 31 551 383 FCFA et à la non-déclaration de l’intégralité de la taxe touristique par des établissements d’hébergement et des compagnies de voyage pour un montant de 994 845 550 FCFA.
Depuis, les responsables de l’Agence de Promotion Touristique du Mali ne dorment plus que d’un œil.
Jean Pierre James
Source : Le Nouveau Réveil