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Mali : quels équilibres pour gagner la paix ?

Même si l’opération française Serval (2013), puis la mise en place de Barkhane (2014), ont contribué à la sécurisation de la Bande Saharo-Sahélienne, force est de constater que les choses progressent peu depuis quelques temps. Elles s’aggravent même, notamment au Mali, épicentre d’un G5 Sahel qui réunit depuis 2014 dans une coopération civilo-militaire Mauritanie, Mali, Niger, Burkina-Faso et Tchad.

Un terrorisme résiduel gangrène en effet la zone, avec son lot d’attentats contre les civils, les forces de sécurité locales, les forces étrangères ou celles de l’ONU au Mali, la MINUSMA. C’est bien la preuve s’il en était besoin, que, comme le répètent nos militaires, dans ce théâtre d’opérations la seule dimension sécuritaire n’est pas suffisante. Au lendemain d’un attentat dirigé contre l’État-major du G5 et au mopment de la rencontre de ses membres avec Emmanuel Macron, il faut se poser les questions des gestions post-crise.

Le contrôle de la zone sera en effet toujours insuffisant pour un ensemble de raisons. Le territoire à contrôler d’abord, celui du G5, représente 5 millions de km2 et 65 millions d’habitants. Le contrôler suppose donc une surveillance satellitaire et aérienne dont ne disposent pas les pays de la région, et qui demande même de notre part une coopération avec les USA. Les 4.500 hommes de nos forces sont efficients et aident à la montée en puissance des forces locales, épaulés par des initiatives européennes limitées, quand les 13.000 hommes de la MINUSMA, de valeur inégale, ne contribuent que par leur présence à une certaine stabilisation. Les contingents locaux enfin sont un peu mieux entraînés depuis quelques années, mais restent sous-équipés.

Pour autant, il ne saurait être question d’espérer résoudre les traumatismes d’une situation de crise ou de conflit par le seul contrôle militaire, quand bien même celui-ci serait-il possible, et quand bien même ne relèverait-il que des forces nationales des zones concernées. Il importe aussi, pour éviter que les propagandistes terroristes puissent vivre en harmonie avec les populations, qu’ils ne puissent se substituer à l’État en qui l’on retrouve confiance. Cela suppose, bien sûr, le retour sur l’ensemble du territoire des forces de sécurité et des services de justice qui assurent l’ordre public en respectant une stricte neutralité entre les divers groupes, mais aussi celui des services publics d’aide aux populations (nourriture, eau, électricité…) comme de l’ensemble des administrations, dont notamment, au vu de la jeunesse de la population, de l’enseignement public.

Or cet indispensable retour de l’État post-conflit est parfois délicat au vu de l’imbrication des appartenances dans le cadre de territoires qui ont été assemblés d’un trait de crayon sur une carte au moment des indépendances. On sait qu’une partie de l’Afrique a tenté, après les décolonisations, en utilisant par exemple la forme maintenant totalement dépassée du parti unique, de fédérer des population diverses dans un même sentiment national. Cette volonté d’unification n’a pas permis de faire disparaître, et l’on peut s’en féliciter, les cultures et les traditions diverses, partout présentes sur le continent. Par contre, le pouvoir a parfois semblé être confisqué par certains groupes au détriment des autres membres de la communauté nationale, ce qui a encouragé, notamment dans la BSS, des mouvements irrédentistes. À ce premier clivage s’est d’abord ajouté, dans cette zone très pauvre, l’impact des divers trafics, mélange de nécessité économique et de tradition nomade, puis, plus récemment, un clivage religieux avec l’introduction d’un islam rigoriste très différent de celui jusqu’alors pratiqué.

La lecture des mouvements de révolte armée réunis dans cette zone sous une même appellation de « djihadistes » doit donc être faite au regard des ces interactions et non sur une grille de lecture simplifiée à la seule dimension religieuse. Il importe par ailleurs de comprendre que lorsque l’État disparaît d’une zone un vide se crée, dans lequel toute autre force apportant un ordre public et des services apparaîtra ipso facto comme légitime. Face à ce risque, la question est donc bien celle de la restauration d’un État qui doit disposer clairement, et avec neutralité entre les groupes, du monopole de la violence légitime, et savoir éradiquer cette gangrène de la corruption qui lui fait perdre toute crédibilité.

Cette restauration de l’État ne peut pas se faire sans une concertation et une collaboration entre les anciens ennemis, en sachant que de nombreux effets pervers existent. D’une part en effet, si l’on agrège aux forces étatiques les anciens membres de milices irrédentistes, cela dévalorise les forces loyalistes et crée, avec cette intégration de facto dans la fonction publique, un effet d’aubaine. D’autre part, d’autres groupes non irrédentistes mais ayant une identité propre et s’estimant eux-aussi secondarisés verront dans la lutte armée la seule solution pour être reconnus par le pouvoir, ce qui va conduire à une multiplication des troubles. La solution n’est donc pas celle d’un dialogue entre « État » et « rebelles », mais celle d’une vaste concertation nationale qui n’oublie personne.

Mais ce dialogue national, pour indispensable qu’il soit, ne peut suffire à la restauration de l’État au niveau local, quand la gestion post-crise suppose une politique menée au plus près des spécificités du terrain. Il faut donc installer ensuite un double dialogue, entre les pouvoirs publics et l’État central, mais aussi à l’intérieur de ces pouvoirs publics locaux. Entre l’État central et les pouvoirs locaux, la concertation passera par une nouvelle répartition des compétences qui, sur la base du principe de subsidiarité, permettra à ces derniers d’exister par eux-mêmes. Les modalités en sont diverses, allant de la décentralisation à une plus grande autonomie, dans le respect de la souveraineté nationale. À l’intérieur des pouvoirs publics locaux ensuite, la concertation doit permettre d’éviter que l’indispensable respect des identités ne conduise pas à les essentialiser, au profit du seul groupe dominant local.

C’est à cette nouvelle définition du rapport entre centre et périphérie que sont conviés tous les États de la bande saharo-sahélienne et notamment le Mali, État pour lequel cet objectif résulte d’ailleurs d’une obligation juridique : la nécessité d’appliquer les Accords d’Alger (2015). Une telle redéfinition ne peut être pensée que de manière indépendante, et non sous la dictée de puissances étrangères, quand bien même seraient-elles voisine. Le Mali a aujourd’hui vocation à montrer l’exemple d’une véritable réconciliation nationale qui passe par la mise en place d’institutions locales pérennes. Quel qu’il soit, ce devrait être la principale mission du Président de la République qui y sera élu en juillet.

Source: atlantico

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