Le président Ibrahim Boubacar Kéita a annoncé, le lundi 10 février 2020, sur RFI et France 24, l’ouverture d’un dialogue avec les chefs djihadistes Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa. Un sacré changement de cap qui pose plusieurs interrogations sur la vision et la capacité du chef de l’Etat à résoudre les problèmes du pays. Aussi, cette sortie d’IBK traduit la cacophonie ambiante et le cafouillage qui règnent au sommet de l’Etat au sujet de la gestion de la crise sécuritaire.
Le président IBK a toujours opposé un niet catégorique à toute négociation avec Iyad et Koufa.
Aussi, malgré la recommandation de la Conférence d’entente nationale invitant les autorités maliennes à dialoguer avec les djihadistes maliens. Lors du déplacement à Gao d’Emmanuel Macron, le président de la France (octobre 2017), IBK a accordé une interview à la Radio France Internationale (RFI) au cours de laquelle le journaliste rappelle : «Il faut dialoguer avec les extrémistes religieux du Nord-Mali, en l’occurrence Iyad Ag Ghali », dit l’une des recommandations de la Conférence d’Entente Nationale du 27 mars 2017. Qu’est-ce que vous en pensez ?». La réponse d’IBK est sans équivoque : « Aucune recommandation de la Conférence d’entente n’a dit cela. La Conférence d’entente nationale n’a pas été actée. Un des participants à la Conférence d’entente nationale a tenu de tels propos. C’est son souhait, sa liberté mais cela n’a pas été acté comme résolution de la Conférence d’entente nationale… ».
Quelques jours après, le président Ibrahim Boubacar Keïta, dans une interview sur la chaine Qatari, Al-Jazira, en marge du Sommet Islamo-arabo-américain, le journaliste lui pose la question suivante : Qu’en est-il de la résolution de la Conférence d’entente nationale qui prescrit de négocier avec Iyad Ag Ghali et Amadou Kouffa ?
Et la réponse d’IBK est toute sèche : «Non ! La Conférence n’a pas réclamé cela. C’est les propos d’un intervenant, cela n’a pas été acté ou suggéré par la Conférence. On ne peut pas considérer cela comme un acte de la conférence».
En février 2018, lors d’un déplacement, en France, le président IBK déclare dans un entretien au Journal le Monde : « Pouvons-nous négocier avec Daech [acronyme arabe de l’Etat islamique] ? Avec Al-Qaida au Maghreb islamique ? Ma réponse est un non ferme. Par contre, certains sont venus à nous. Un petit groupe du Front de libération du Macina s’est récemment rendu, avec armes et bagages. Ceux qui n’ont pas de sang sur les mains pourraient avoir la vie sauve ». A la question d’un dialogue direct avec Iyad Ag Ghali ? « Pas question ! Le président du Haut Conseil islamique, l’imam Mahmoud Dicko, avait reçu mandat de l’ancien premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga [avril-décembre 2017] de conduire une mission de bons offices dans le Centre et le Nord du pays. Je l’assume en tant que chef de l’Etat, mais j’étais bien loin de l’approuver. Nous avons mis fin à cette mission».
IBK était resté constant dans son refus de négocier avec les chefs djihadiste, Ainsi, dans une interview accordée à Jeune Afrique (juillet 2019), sur la possibilité de négocier avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Kouffa. IBK balaye d’un revers de la main une possible négociation : « Une mer de sang nous sépare de ces gens. Je suis disposé à reconstruire le Mali avec tous ses enfants, y compris avec ceux qui apporteront la preuve d’une repentance sincère. Mais attention : cela n’a rien à voir avec l’impunité, et les criminels devront répondre de leurs actes ».
Pour IBK, il n’y a pas de bases sur lesquelles on peut négocier avec Iyad Ag Ghaly : «Ce monsieur exige l’application de la charia, l’interdiction de l’école républicaine et moderne, le califat, la fin de toutes les valeurs qui fondent notre vivre ensemble. Nous n’avons rien à nous dire».
Changement de cap
A la surprise générale dans une interview accordée, le lundi dernier, à RFI et France 24 à Addis-Abeba, le président, Ibrahim Boubacar Keïta, annonce l’ouverture d’un dialogue avec les chefs jihadistes Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa : « J’ai devoir aujourd’hui et mission à créer tous les espaces possibles et à tout faire pour que par un biais ou un autre on puisse parvenir à quelque apaisement que ce soit possible », affirme-t-il.
Selon IBK, le nombre de morts aujourd’hui au Sahel devient «exponentiel». Le chef de l’État, précise : « l’idée de dialoguer avec les chefs djihadistes n’a pas surgi au réveil d’IBK ». Mais il a été plutôt recommandé, dit-il, par le dialogue national inclusif. Et selon le président, Ibrahim B Keïta « le gouvernement s’attelle à mettre en œuvre les résolutions issues de ce dialogue national inclusif ». IBK assure cependant que ce dialogue avec les djihadistes n’est nullement synonyme de naïveté. « Ceux qui ordonnent de se faire exploser dans des mosquées au milieu des fidèles n’ont pas beaucoup mon estime », martèle le chef de l’Etat. Cependant IBK estime qu’« il est temps d’explorer toutes les voies ». Longtemps opposé à des discussions avec des groupes djihadistes, cette sortie du président intervient quelques semaines après l’annonce par son Haut représentant pour le Centre, Dioncounda Traoré de l’envoi d’émissaires en direction d’Iyad Ag Ghaly et d’Amadou Koufa. Même si le ministre des affaires étrangères, Tièbilé Dramé, avait pris le contre-pied de cette déclaration quelques jours plus tard. Le chef de la diplomatie malienne avait signalé que la position du gouvernement n’est pas de dialoguer avec les groupes djihadistes quels qu’ils soient. Pour l’Opposition cette sortie d’IBK pour le dialogue avec les groupes djihadistes montre clairement « la faiblesse du gouvernement » face aux terroristes. « On ne peut pas vouloir discuter avec des gens qui continuent de tuer nos militaires », a lancé Nouhoum Togo, porte-parole du Chef de file de l’Opposition. Ajoutant que « dialoguer avec les jihadistes c’est les reconnaître, mais aussi c’est perdre des partenaires internationaux ».
Mémé Sanogo
Source: Journal L’aube-Mali