Le Mali est à un tournant décisif. Après plusieurs années sous la houlette des militaires, le pays se prépare à retrouver un gouvernement civil. Enfin, en théorie. Car une question cruciale se pose : nos généraux, fraîchement promus, sont-ils réellement prêts à céder le pouvoir aux civils après tout ce temps à la tête de l’État ? Difficile à dire.
Il est évident que ces hommes, qui ont pris les rênes du pays en plein chaos, ont réussi à ramener une certaine stabilité. Ils ont sécurisé des territoires perdus, renforcé l’armée et rétabli un semblant d’ordre dans un Mali qui en avait bien besoin. Assimi Goïta et ses compagnons, devenus des figures quasi incontournables, ont forgé une image de sauveurs. Mais voilà, cette image est peut-être trop bien ancrée. Quand on a pris goût à l’exercice du pouvoir, quand on est passé de colonel à général en pleine transition, comment lâcher les commandes d’un État qu’on a appris à maîtriser, à gérer, à gouverner ?
Le goût du pouvoir est-il si facile à quitter ?
On ne va pas se mentir, quitter le pouvoir, c’est toujours un peu amer. D’autant plus lorsqu’on a œuvré, jour après jour, pour redresser un pays. Alors, les civils, vraiment ? Les généraux accepteront-ils de se retirer sur la pointe des pieds, laissant derrière eux tout ce qu’ils ont bâti ? Pas sûr. On les voit, déjà bien ancrés, sur la scène politique, avec des discours patriotiques, des promesses de paix et de sécurité. Et qui pourrait leur en vouloir ? Ils ont été au cœur de la transformation du Mali, ils ont incarné la souveraineté retrouvée. Mais la démocratie, c’est aussi savoir passer la main.
Les civils : un saut dans l’inconnu ?
Passer le flambeau à un gouvernement civil, c’est aussi prendre le risque de voir ses réformes remises en cause, ses décisions discutées, ses orientations réévaluées. Un peu comme un chef d’orchestre qui verrait un nouveau maestro changer la partition à la dernière minute. Pour nos généraux, l’idée de voir leur travail soumis à des voix civiles — moins martiales, moins rigides — pourrait être difficile à accepter. Car un gouvernement civil, c’est du débat, des compromis, de la transparence. Ce sont des lenteurs administratives, des discours d’opposition, des critiques. Bref, tout ce qu’un général n’aime pas vraiment quand il a l’habitude de donner des ordres et de voir son autorité respectée.
Mais c’est là tout le paradoxe. Ces généraux, qui ont souvent répété qu’ils œuvraient pour la nation, se doivent de montrer l’exemple. Ils doivent prouver qu’ils sont prêts à respecter cette fameuse feuille de route qui mène, étape après étape, à une vraie démocratie. Parce que le pouvoir militaire, aussi efficace soit-il, ne peut pas être la réponse à tous les maux du pays. Et les Maliens, eux, veulent plus qu’une sécurité retrouvée : ils aspirent à un avenir démocratique, avec des institutions civiles solides.
Le temps de l’ombre, ou une nouvelle phase politique ?
Pour Assimi Goïta et ses camarades, l’heure des décisions approche. Seront-ils des généraux qui, dans l’ombre, continueront à soutenir la reconstruction du pays, ou choisiront-ils de se lancer dans l’arène politique, à visage découvert ? La tentation est grande, il faut l’admettre. Avec la popularité qu’ils ont acquise, se présenter à des élections ne serait pas une folie. Ils savent qu’une partie du peuple malien voit en eux des protecteurs, des leaders capables de garantir la continuité de l’État. Mais pour cela, il faut accepter de jouer selon les règles de la démocratie : débats, oppositions, critiques. C’est un autre monde, un monde où le pouvoir ne se décrète pas, mais se partage.
En fin de compte, la vraie question n’est pas de savoir si ces généraux peuvent passer le flambeau aux civils. La question est de savoir s’ils peuvent résister à l’appel du pouvoir. Un pouvoir qu’ils ont redressé, et qu’ils ont porté. Sauront-ils, avec noblesse, se retirer quand le moment sera venu ? Ou bien choisiront-ils de continuer à jouer un rôle de premier plan dans l’avenir du Mali, au risque de brouiller les lignes entre civils et militaires ? L’avenir nous le dira. Mais une chose est sûre, l’histoire retiendra comment cette génération de généraux aura su — ou non — redonner au Mali un véritable pouvoir civil.
Oumarou Fomba