La presse africaine encourage le président réélu à la modestie face aux enjeux politico-sécuritaires. Et son rival à être « bon joueur ».
« Sans surprise », « déjà vu », « plié » dès le premier tour… Surabondants durant l’entre-deux-tours de la présidentielle malienne, ces qualificatifs du scrutin font aujourd’hui passer l’annonce officielle de la victoire d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK)pour une simple formalité. D’autant qu’elle a été prestement validée, observe le titre burkinabé Aujourd’hui au Faso : « Outre la caution des différents observateurs dont l’UE, plusieurs grandes chancelleries occidentales et des chefs d’État africains ont d’ores et déjà félicité le président réélu. C’est dire que le mandat est acté ! » Et de rappeler pourquoi la partie semblait perdue d’avance pour l’opposant Soumaïla Cissé : « La désunion de l’opposition qui n’a même pas été capable de donner une consigne de vote clair en faveur de leur chef de file, et la faible participation (à peine 35 %) d’une frange importante de la population malienne pour qui, ni IBK, ni “Soumi” n’incarnait l’alternance dont ils rêvaient. »
Les dés déjà pipés ?
« Finalement, Boua ma Bla (le vieux n’a pas quitté le pouvoir) », attaque WakatSéra. Le titre burkinabé s’interroge – tout en la déplorant – sur la forte abstention, « symptôme du désintérêt des Maliens vis-à-vis de la chose électorale, et plus généralement de la politique, à l’image d’ailleurs de bien des citoyens du continent noir. Cela pourrait s’expliquer par le fait que c’est le parti au pouvoir qui organise, en général, les élections avec comme champion un président sortant candidat à sa propre succession. Et c’est parti pour les longs règnes ! Une telle configuration laisse penser que les dés sont déjà pipés ; que les carottes sont cuites pour le chef de file de l’opposition. Et cela est une preuve supplémentaire, s’il en fallait encore, à cette célèbre assertion de feu Omar Bongo qui a affirmé qu’en Afrique, l’on n’organise pas les élections pour les perdre », résume-t-il.
Cette assertion de l’ancien président gabonais, le candidat de l’opposition Soumaïla Cissé, semble y adhérer. Il a choisi de contester ces résultats « qui ne reflètent pas la vérité des urnes » selon son chef de campagne Tiébilé Dramé. Son camp, a-t-il ajouté, va « utiliser tous les moyens démocratiques pour faire respecter le vote des Maliens », et « déposer des recours devant la Cour constitutionnelle pour faire annuler des résultats frauduleux » dans certaines régions. En attendant, il « exhibe les preuves du tripatouillage », rapporte le site malien L’Indicateur du Renouveau. « Dans une vidéo d’une minute trente projetée par le directeur de campagne de Soumaila Cissé, on constate clairement deux hommes enturbannés d’une quarantaine d’années à l’œuvre : pendant que l’un s’affaire à signer les listes d’émargement, l’autre est occupé à accomplir seul le vote en lieu et place des vrais électeurs inscrits dans la 8e région administrative, Kidal, fief de groupes armés au Mali », raconte Bréhima Sogoba.
Au Mali, focus sur les irrégularités
Dans le sillage du travail entrepris par la Coalition pour l’observation citoyenne des élections au Mali (COCEM), une Plateforme d’organisations nationales de la Société civile qui a déployé un millier d’observateurs dans le pays et rendu un rapport sur les résultats du premier tour bureau de vote par bureau de vote – il en ressort notamment qu’IBK a obtenu 100 % des suffrages dans 142 bureaux de vote –, la presse malienne continue de pointer les irrégularités relevées lors du second tour. Ainsi, dans L’Aube, C. H. Sylla fait de Ouinerden, dans le Nord, la « commune pilote de la fraude ». « Sur les 4 869 braves hommes et femmes vivant dans cette localité, 4 799 ont trouvé le temps et les moyens d’aller voter pour donner un impressionnant score de 4 255 voix à IBK », rapporte-t-il, ironique. Un autre article de L’Aube relaie les incidents (saccage de matériel électoral, bourrage ou vol d’urnes, attaques) observés par des représentants de l’opposition.
« Le Mali peine toujours à se doter d’instruments juridiques et institutionnels afin d’organiser des élections crédibles acceptées par tous les acteurs politiques », regrette Youssouf Sissokho dans le journal malien InfoSept. Et de pourfendre « l’inaccessibilité aux cartes d’électeur », l’absence partielle de l’État sur le territoire, « qui a suscité un soupçon de bourrage d’urnes » ou « le retard accusé dans la proclamation des résultats provisoires à l’ère des nouvelles technologies ».
Toujours dans InfoSept, Ahmed M. Thiam déplore quant à lui les « sommes faramineuses » investies dans cette présidentielle et notamment pour « acheter des consciences ». Un procédé qui a alimenté les moqueries. « Dans les « grins » et sur les réseaux sociaux, l’on use des métaphores fort inspirées, quoique méprisantes à l’égard de l’électeur malien. Ainsi, il était fréquent d’entendre dans les causeries qu’il vaut moins cher que le poulet rôti, car le premier ne valait que 2000 F CFA quand le second coûte 4000 F CFA », écrit-il.
PAR AGNÈS FAIVRE
Le Point Afrique