Le 12 novembre 2020, le gouvernement malien a adopté le décret d’application du nouveau Code minier. Une mesure très attendue par les opérateurs miniers dans un contexte de hausse des cours de l’or, pour lequel le Mali est l’un des plus gros producteurs d’Afrique. Charles Bourgeois, associé du cabinet Bourgeois-Itzkovitch AARPI et spécialiste du droit minier, analyse pour l’Agence Ecofin les principaux enjeux de ce nouveau texte passé relativement inaperçu malgré les nombreux sujets abordés. Il commente également l’actualité, avec les implications de la récente crise politique malienne sur le climat des affaires du pays.
Agence Ecofin : Quels sont les principaux apports de ce décret d’application pour l’industrie minière malienne ?
Charles Bourgeois : Le texte confirme une tendance amorcée depuis maintenant près d’une décennie sur le continent africain, l’adoption d’un « régime de responsabilité » pour les industries extractives qui se construit autour de 3 axes, en l’occurrence les axes économique, social et environnemental.
Sur l’aspect économique, le décret apporte par exemple des précisions importantes sur le montant des différentes redevances dues par les opérateurs miniers, notamment concernant la ‘’redevance de surproduction’’ et la ‘’redevance progressive’’ qui permettent de mieux appréhender la hausse des cours des matières premières par l’État malien. Dans le détail, lorsque les quantités de produits marchands miniers vendus excèdent la production prévisionnelle, le titulaire du permis d’exploitation de petite ou de grande mine est soumis au paiement de la redevance dite de « surproduction ». Lorsque la moyenne pondérée des prix obtenus sur les ventes des produits marchands miniers excède le prix de vente prévisionnel, le titulaire du permis d’exploitation est soumis au paiement de la redevance dite « progressive ». Cette fiscalité permet à l’État de profiter de la hausse de la production d’un site minier ainsi que de la hausse des cours d’un minerai sur les marchés mondiaux.
« Cette fiscalité permet à l’État de profiter de la hausse de la production d’un site minier ainsi que de la hausse des cours d’un minerai sur les marchés mondiaux. »
Sur l’aspect social, le décret précise utilement les conditions d’application du « Plan d’approvisionnement national » et du « Plan de formation des PME » prévues à l’article 141 du Code minier. L’objectif pour l’État malien est de garantir aux entreprises locales un seuil de participation minimum pour la fourniture des biens et services aux différents opérateurs miniers, en fonction des différentes phases d’exploitation de la mine. Il est ainsi prévu qu’en phase de développement de la mine, 15% de la valeur des contrats de fourniture de biens et services aux sociétés minières devront être assurés par des entreprises maliennes. Ce pourcentage est fixé à 30% à compter de la 11ème année d’exploitation d’une mine.
Parallèlement, le décret prévoit des dispositions ambitieuses sur le quota minimum d’employés maliens devant obligatoirement faire partie des effectifs d’une société détenant un permis d’exploitation. Ainsi, de la 1ère à la 5ème année d’exploitation d’une mine, 30% des cadres de direction, 40% de l’encadrement, 50% des ouvriers qualifiés et 100% des ouvriers non qualifiés devront être des ressortissants maliens.
« Ainsi, de la 1ère à la 5ème année d’exploitation d’une mine, 30% des cadres de direction, 40% de l’encadrement, 50% des ouvriers qualifiés et 100% des ouvriers non qualifiés devront être des ressortissants maliens.»
Sur le plan environnemental, le décret précise notamment les obligations des opérateurs en matière de fermeture et de réhabilitation des sites miniers, et prévoit un important dispositif de lutte contre la pollution générée par l’exploitation minière. En témoigne notamment l’obligation faite aux sociétés minières de mettre en place des dispositifs techniques pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, afin d’obtenir un permis d’exploitation.
Agence Ecofin : En janvier 2021, le gouvernement malien aurait adopté plusieurs textes relatifs à la fermeture de la mine d’or de Yatela. Pouvez-vous nous parler des enjeux de cette fermeture et de ce que prévoit la nouvelle réglementation en la matière ?
CB : La fermeture de sites miniers, et plus particulièrement de mines d’or, est un enjeu écologique majeur, et personne ne semble vraiment savoir comment s’y prendre hormis le fait d’abonder des fonds de dotations pour une future et hypothétique réhabilitation.
De quoi parle-t-on ? Un filon qui s’épuise et une décision d’un opérateur de cesser l’exploitation d’une mine devenue peu ou plus rentable. Il s’agit dès lors d’envisager la fermeture de la mine et la gestion des déchets miniers engendrés par des années d’exploitation.
La plupart des opérateurs cherchent alors à se séparer de ces actifs qui constituent de véritables ‘’bombes écologiques’’, pouvant engager leur responsabilité environnementale pendant des décennies.
La récente fermeture de la mine d’or de Yatela au Mali est un bon exemple de cette volonté de certains miniers de transférer les risques environnementaux liés à la fermeture d’une mine vers l’État, car il semble que les propriétaires de cette mine aient cédé au gouvernement malien l’ensemble de leurs participations dans la société d’exploitation, en contrepartie du paiement d’un montant forfaitaire correspondant aux coûts estimés de la réhabilitation.
« La récente fermeture de la mine d’or de Yatela au Mali est un bon exemple de cette volonté de certains miniers de transférer les risques environnementaux liés à la fermeture d’une mine vers l’État.»
C’est précisément ce que semble vouloir éviter le gouvernement malien dans le futur, avec les prescriptions du nouveau Code minier et son décret d’application. Dans un premier temps, il s’agit d’anticiper la réhabilitation des sites miniers par l’opérateur lui-même pendant la durée de l’exploitation de la mine, et dans un second temps, d’obliger l’opérateur à obtenir un « quitus environnemental » pour valider les travaux de fermeture.
Si elles étaient respectées, ces obligations environnementales devraient considérablement augmenter le coût de production de nombreux sites miniers africains. Reste à savoir si l’État malien aura la volonté politique et les capacités techniques pour veiller au bon respect de ces dispositions.
Agence Ecofin : Pouvez-vous nous en dire plus sur ce « quitus environnemental » ?
CB : Afin de mieux responsabiliser les opérateurs miniers en matière de préservation de l’environnement et de lutte contre la pollution, le gouvernement malien a prévu dans le nouveau Code minier et dans son décret d’application l’obligation d’obtenir au démarrage d’un projet minier un « permis environnemental », et à sa fermeture un « quitus environnemental ».
Concrètement, le quitus environnemental est un document administratif délivré par le ministre chargé de l’environnement. Premièrement, il valide la fin des obligations de réhabilitation d’un site minier, et en second lieu, fait courir le délai de 5 ans pendant lequel l’opérateur minier reste civilement responsable des dommages et accidents qui peuvent être provoqués par ses anciennes installations.
En d’autres termes, c’est l’application du principe « pollueur-payeur » à l’industrie minière, destiné notamment à limiter la possibilité pour les miniers de se défausser de leurs obligations environnementales sur d’autres sociétés à surface financière souvent moins importante, voir même sur l’État.
« En d’autres termes, c’est l’application du principe « pollueur-payeur » à l’industrie minière, destiné notamment à limiter la possibilité pour les miniers de se défausser de leurs obligations environnementales.»
Les enjeux économiques et écologiques sont énormes pour les pays concernés, et représentent un véritable défi pour l’industrie minière des années à venir. Il suffit d’ailleurs de voir les graves problèmes posés par la dépollution de l’ancienne mine d’or de Salsigne en France pour s’en convaincre …
Agence Ecofin : Comment les compagnies minières perçoivent-elles l’adoption de ce décret d’application du nouveau Code minier ? Le code satisfait-il tout le monde ?
CB : Il faut faire une distinction entre les nouveaux venus et les anciens bénéficiant de clauses de stabilisation. Pour ces derniers, l’enjeu sera de savoir si les clauses de stabilisation stipulées dans les conventions minières seront respectées par l’État, et dans quelle mesure les nouvelles dispositions du Code minier, concernant notamment les obligations sociales et environnementales, seront appliquées.
Pour les nouveaux venus, à savoir les miniers souhaitant obtenir une autorisation d’exploration ou un permis de recherche, je ne pense pas que les dispositions du décret d’application constituent un frein à l’investissement dans ce pays. En effet, les « juniors minières » commencent à comprendre qu’il existe un mouvement d’harmonisation entre les différentes législations minières dans la sous-région, visant à rendre la mine plus ‘’inclusive’’ dans l’économie de chaque pays.
Le Sénégal, la Guinée, le Burkina Faso ou encore la Côte d’Ivoire ayant désormais un cadre juridique similaire, les réformes en cours au Mali devraient être ainsi globalement bien appréhendées par les opérateurs miniers. Reste à savoir la position des exploitants artisanaux pour lesquels certaines dispositions du décret, notamment environnementales et sociales, pourraient être bien difficiles à suivre.
Agence Ecofin : Le Mali a traversé une période politique difficile ces derniers mois. Quel impact a cette crise sur l’attrait du pays chez les investisseurs ?
CB : C’est très étonnant, mais il semble que la crise politique de ces derniers mois n’a pas eu un véritable impact sur l’attrait du Mali auprès des opérateurs miniers internationaux.
« C’est très encourageant pour les prochaines années, et cela démontre que ce ne sont pas les réformes qui font fuir les opérateurs miniers.»
En témoigne le dernier rapport (2020, Ndlr) de l’Institut Fraser qui place le Mali à la 2ème place des juridictions africaines les plus attractives en matière de politique minière, juste derrière le Botswana. C’est très encourageant pour les prochaines années, et cela démontre que ce ne sont pas les réformes qui font fuir les opérateurs miniers. Ces derniers restent toutefois extrêmement vigilants sur la situation sécuritaire du pays, notamment concernant la menace d’attaques terroristes sur les sites miniers.
Agence Ecofin : À votre avis, comment seront les relations entre l’industrie minière et l’Etat durant le régime de transition ?
CB : Une grande attention sera à mon avis portée par les opérateurs miniers sur la légalité des institutions en place, afin d’éviter que les décisions prises sous le régime de transition ne soient remises en cause par le nouveau gouvernement élu. C’est une question déterminante, puisqu’aucun opérateur minier ne risquera d’investir des millions de dollars en exploration s’il n’est pas certain que son permis minier est bien valide et attribué par les autorités compétentes.
Pendant cette période de transition, les miniers devront ainsi être extrêmement vigilants sur les questions liées au respect du droit constitutionnel malien, dans l’attribution et le renouvellement de leurs titres miniers.
Propos recueillis par Louis-Nino Kansoun