Après le Mali en début d’année, c’est en Centrafrique, théâtre d’une guerre civile, que la France a déployé ses troupes militaires.
C’est « l’honneur de la France et sa responsabilité » que d’intervenir, dixit François Hollande. Vraiment ? Magaye Gaye, directeur général d’un cabinet de recherche de financements basé à Dakar, fait une tout autre lecture.
Au moment où le socialiste François Hollande accède à l’Elysée, il est paradoxal de constater que la France multiplie ses ardeurs guerrières à travers le monde.
Paradoxal, dans la mesure où la gouvernance socialiste a toujours, par le passé, combattu les hégémonies dictatoriales des pouvoirs et milité en faveur du droit des peuples à déterminer leur propre destin. Cette ligne a du reste été confirmée dans le programme électoral de Monsieur Hollande et dans ses premières déclarations martelant la fin du système Françafrique.
Or, depuis quelques temps, du Mali en Centrafrique, en passant par la Syrie, la France se montre de plus en plus déterminée à user de la force sur les théâtres d’opération extérieurs. La question est de savoir pour quel but.
S’agit-t-il d’une nouvelle politique ? Au nom de quelle nouvelle idéologie s’arroge-t-elle, de manière solitaire, le droit d’être en première ligne sur des conflits qui ne se déroulent pas sur son sol ? N’existe-t-il pas là un risque pouvant écorner l’image de paix que véhicule l’Europe et affaiblir ce continent à la longue ?
La volonté de se replacer parmi les nations qui comptent
Le contexte actuel de crise économique en Europe et de perte de part de marchés de certaines puissances occidentales, dans un environnement mondial concurrentiel, ainsi que la volonté singulière de la France de profiter d’une perte de leadership éventuelle des Etats-Unis consécutive à l’élection du président afro-américain Barack Obama, pour se repositionner dans le concert des puissances qui comptent, justifient, sans aucun doute, les velléités d’intervention notées.
L’éventualité d’un « deal » entre les Etats-Unis et l’Europe, répartissant les rôles dans la stratégie planétaire de lutte contre le « terrorisme islamique », n’est pas à écarter. La France, eu égard à sa force nucléaire, en serait la locomotive européenne.
La capitalisation de l’erreur stratégique de non-intervention miliaire commise en Côte d’Ivoire semble également être une donne à prendre en considération.
Les quatre visions de la France
La nouvelle stratégie repose sur quatre visions.
La première est géopolitique et consiste à montrer que la France demeure une puissance politique et diplomatique qui compte, en dépit de ses problèmes économiques.
La deuxième est géostratégique et consiste à rattraper des erreurs stratégiques de fermeture de bases militaires. Une véritable opération de « maîtrise du Sahara et de l’équateur » se ressent dans les deux interventions françaises du Mali et de la Centrafrique.
La troisième est d’ordre économique : trouver de nouvelles parts de marchés et faciliter à l’Europe les négociations sur les Accords de Partenariats Economique (APE). François Hollande déclarait à Dakar, lors de son premier déplacement en Afrique : « Les besoins d’infrastructures sont considérables. La qualité de son agriculture, ses ressources naturelles, ses richesses minières, ce continent a tous les atouts pour être demain le continent de la croissance, du développement et du progrès. Il y a en Afrique un potentiel exceptionnel ».
La quatrième vision est communicationnelle et procède d’une volonté de séduire les opinions publiques africaines en mettant en avant l’argument de la restauration des libertés.
La démarche retenue pour arriver à la concrétisation de ces visions semble également novatrice et se base sur quatre volets : utiliser le canal de la francophonie pour créer un noyau dur autour de la nouvelle politique, s’ouvrir à des Etats anglophones du continent pour éviter les critiques à soubassement néocolonialistes, exploiter le canal des organisations politiques sous régionales et continentale et obtenir le feu vert des Nations Unies.
Une erreur stratégique historique
La France semble avec cette nouvelle politique, commettre une erreur stratégique historique. En effet, en procédant ainsi, elle annihile le capital sympathique que lui vouait une bonne partie de l’opinion publique africaine, jusque là très sensible à ses prises de position courageuses sur l’aide au développement et à sa politique d’intégration.
Pourquoi une question de sécurité concernant le continent africain se règle à Paris ? Pourquoi près d’une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement francophones, anglophones, lusophones acceptent un tel forum réunissant une nation et tout un continent ? Ce sommet France-Afrique renvoie des images défavorables sur l’Afrique. En lieu et place, devrait être encouragée la tenue de sommets Europe-Afrique, ne serait ce que pour des raisons protocolaires et de parallélisme, à l’image des sommets Europe-Amérique du Sud.
Par ailleurs, la coïncidence notée entre le décès de l’ex-président Mandela et la tenue du sommet France-Afrique constitue une ironie de l’histoire. En éclipsant l’événement, le grand africaniste disparu semble appeler les dirigeants africains à plus de rigueur et de discernement dans leur rapport avec le reste du monde. Il est temps que nos dirigeants intègrent la dimension symbolique dans leur raisonnement quotidien. Quels dividendes pourraient-ils tirer individuellement d’une telle adhésion à cette nouvelle stratégie de la France ? Sans doute des promesses d’appuis politiques et financiers.
La France n’arrive pas à tourner la page
Deux choses semblent sûres. La première est que l’Union Africaine n’a pas pris ses responsabilités dans les crises malienne et centrafricaine. La deuxième est que cette nouvelle stratégie de la France ne sera jamais bénéfique pour le continent.
Les rares pays qui s’en sortent bien au plan économique – Rwanda, Mozambique, Ghana, Afrique du Sud, Ethiopie, Botswana – sont des anciennes colonies britanniques. Les Britanniques ont su tourner la page en laissant leurs anciennes colonies à l’apprentissage des questions liées à la gestion économique.
La France a choisi le chemin inverse, consistant au maintien d’une dépendance politique et économique. Avec un Franc CFA arrimé à une monnaie très forte, l’euro, les pays d’Afrique francophone arrivent difficilement à asseoir des politiques monétaires et d’exportation efficaces.
Magaye Gaye, directeur général d’un cabinet de recherche de financements basé à Dakar