Le Mali fait face aux conséquences terribles de trente années de tâtonnement démocratique, avec le triste tableau d’un pays qui ne voit que le revers de la médaille : dislocation du territoire national, absence d’un leadership politique transcendant, dilution de l’autorité de l’Etat sous le poids de la corruption des élites et de l’incivisme.
La déception est telle que les leaders religieux apparaissent aujourd’hui comme les seuls capables de remobiliser pour assurer une reprise en main de la situation. Va-t-on sortir des sentiers battus et franchir le pas?
Sortir le pays du cercle vicieux
Au moment où des réformes salvatrices sont attendues pour tourner la page des échecs à répétition, quels sont les problèmes de fond qui ont conduit à la confusion et à cette parodie de démocratie ? Le premier constat est que de nombreuses associations et partis politiques ont poussé comme du champignon, dont on se demande à quoi certains peuvent bien servir, sauf à brouiller les cartes avec la bénédiction des maîtres du moment et polluer l’espace social et politique. La vitalité de la démocratie ne se mesure pas au nombre de structures d’animation mais à la qualité des projets proposés et au respect des normes. Cela suppose des objectifs clairement définis dès le départ et de la rigueur administrative dans le contrôle.
On constate hélas que le manque de vision des politiciens a depuis longtemps fait lâcher la proie pour l’ombre au Mali, galvaudant le sacrifice des milliers de personnes ainsi que l’esprit même du mouvement démocratique de 1991. Par clientélisme et népotisme, toutes les prétentions sont autorisées sans qu’aucune valeur morale ne soit exigée des prétendants pour postuler ou diriger. C’est pourquoi, les élections sont régulièrement prises en otage par des candidats médiocres grâce au pouvoir de l’argent mal acquis. Autant les ententes entre les grandes entreprises sont néfastes pour le marché et les consommateurs, autant la connivence des élites politiques a dévoyé la démocratie et provoqué l’apathie chez le citoyen. La mise au rebut des projets de société a même conduit certains candidats à la magistrature suprême à snober les partis politiques. Face à cette défaillance et à la menace qu’elle fait peser sur l’avenir du pays, l’arène politique n’est plus hors d’atteinte pour les leaders religieux qui sont aussi des citoyens responsables du destin du pays et des hommes.
Quel sera le choix des religieux ?
Le plus grand paradoxe dans la situation actuelle est qu’on s’obstine à reproduire les mêmes schémas en espérant obtenir des résultats différents. Un corps qui ne peut éliminer ses propres déchets est malade. Aucune région du pays n’échappe à la menace « djihadiste » ; aucun parti politique ne peut rassembler une majorité forte et stable pour diriger le pays ; la corruption s’est installée durablement à tous les niveaux de l’échelle sociale. Impuissants, les hommes politiques eux-mêmes ont recours aux leaders religieux sur lesquels ils comptent pour améliorer leur positionnement ou se tirer d’affaire. Quel homme politique n’a jamais sollicité le Chérif de Nioro, le guide d’Ançardine Chérif Ousmane Madani Haïdara ou l’imam Mahmoud Dicko ? Si le premier semble assez distant, les deux autres sont de redoutables communicateurs très proches des foules. Chérif Ousmane Madani Haïdara ne vient-il pas de jeter un pavé dans la mare en demandant à ses ouailles depuis Sikasso de ne pas s’engager derrière les leaders politiques avant ses instructions ? C’est un véritable tremblement de terre qui consacre le désaveu des politiciens et annonce de futures consignes de vote. La question reste de savoir si ces leaders religieux charismatiques iront ensemble ou séparément ? En cas d’entente entre eux, leur choix commun montera sans encombre à Koulouba, avec la promesse du retour de la vertu, la paix et la sécurité. A défaut, il faudra trouver une position médiane pour éviter des dérives, mais la sagesse devrait finir par l’emporter. Le portrait-robot du futur président commence donc à se préciser et il jure avec celui du politicien corrompu, exposé à tous les chantages.
L’échec des hommes politiques dans l’instauration d’une gouvernance vertueuse d’une part, l’impuissance des forces internationales face aux menaces « djihadistes » d’autre part, laissent la voie ouverte à toutes les solutions y compris celle des leaders religieux. Puisque le pays a touché le fond, pourquoi ne pas se faire une raison ?
Mahamadou Camara
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Source : L’Alerte