Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, à la réputation d’homme à poigne, s’est récemment converti à la politique de la “main tendue” pour tenter d’apaiser la contestation croissante dont il fait l’objet, sans parvenir à amadouer ses meneurs qui continuent à exiger son départ immédiat.
Les 5 et 19 juin, des dizaines de milliers personnes ont manifesté à Bamako à l’appel d’une coalition hétéroclite de chefs religieux, d’hommes politiques et de la société civile, dont la figure charismatique est un imam rigoriste et patriote, Mahmoud Dicko.
Le “Mouvement du 5 juin” (M5-RFP), en réclamant le départ “d’IBK”, exprime l’exaspération nourrie par les milliers de victimes ces dernières années des attaques jihadistes et des violences intercommunautaires, par le ressenti de l’impuissance de l’Etat, le marasme économique, la crise des services publics et de l’école et la perception d’une corruption répandue.
Le chef de l’Etat de 75 ans, au pouvoir depuis 2013, essuyait jusqu’ici sans trop de dommages les critiques d’une opposition divisée, fort du soutien de la communauté internationale qui voit en lui un rempart contre la menace jihadiste.
Mais le chef de l’opposition, Soumaïla Cissé, candidat malheureux face à “IBK” lors de la présidentielle de 2018, est otage de présumés jihadistes depuis près de trois mois et les restrictions liées à la pandémie de nouveau coronavirus ont renforcé les frustrations.
Les mécontents ont alors “trouvé comme bouée de sauvetage un chef religieux très politisé, Mahmoud Dicko”, souligne le politologue Oumar Diakité.
“IBK sortira affaibli de la crise”, ajoute l’analyste, pour qui le président “doit rester” mais aussi “revoir sa gouvernance”.
Un virage délicat pour ce natif de Koutiala (sud), qui a gardé de sa fréquentation de prestigieux établissements français dans sa jeunesse, non seulement un phrasé châtié, mais aussi une conception toute jacobine du pouvoir. “Il est pour un pouvoir fort, centralisé, c’est sûr”, affirme un ancien compagnon de route.
– Manoeuvres de couloir –
Dans un discours télévisé le 14 juin, le président Keïta à néanmoins ouvert la voie à un gouvernement d’union nationale.”Ma porte est ouverte et ma main toujours tendue”, a-t-il déclaré, disant se réjouir de la “perspective de rencontrer bientôt les acteurs du Mouvement du 5-Juin”.
Un “gouvernement consensuel d’union nationale”, c’est aussi ce qu’ont conseillé des médiateurs de l’organisation régionale Cédéao, dont les efforts sont soutenus par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, inquiet de la situation politique au Mali.
Mais les dirigeants de la contestation ont décliné les gestes d’ouvertures du chef de l’Etat.
“Dans les circonstances actuelles, aucun gouvernement, même +d’union nationale+, dont le M5-RFP n’est ni demandeur ni preneur, ne saurait résoudre les problèmes du Mali”, ont-ils affirmé samedi, en réitérant leur “demande de démission du président Ibrahim Boubacar Keïta et (de) son régime”.
“IBK a déjà géré des crises et je suis sûr qu’il va trouver les solutions”, assure toutefois l’un de ses alliés, Cheick Oumar Gadjigo.”Il faut un gouvernement d’union nationale.Mais c’est le président IBK qui doit être au centre”, dit-il.
“Mon sentiment est qu’il y a des manœuvres de couloir entre faucons et colombes autour du président.Je n’ai aucun doute, il veut le dialogue.Mais une partie de son entourage n’en veut pas”, estime un diplomate d’un pays voisin.
– Ascension fulgurante –
Ibrahim Boubacar Keïta a connu une ascension fulgurante sous Alpha Oumar Konaré, premier président (1992-2002) de l’ère démocratique du Mali.
Premier ministre de 1994 à 2000, M. Keïta, qui se réclame de la gauche, mate alors sans états d’âme une crise scolaire et des grèves qui paralysent le Mali, et ferraille contre l’opposition.De cette période, il gardera une image de fermeté.
Il se présente à l’élection présidentielle de 2002 mais n’arrive qu’en troisième position. Amadou Toumani Touré, dit “ATT”, un militaire en retraite, l’emporte au second tour et se fait réélire dès le premier tour en 2007, devant “IBK”.
En mars 2012, “ATT” est renversé par des militaires qui l’accusaient d’incurie face à la rébellion dans le Nord du pays, un putsch qui précipite la déroute de l’armée et la prise de contrôle de cette région par des groupes jihadistes, alliés un temps aux rebelles avant de les supplanter.
A l’élection présidentielle de 2013, après l’intervention internationale lancée à l’initiative de la France contre les jihadistes, Ibrahim Boubacar Keïta, considéré comme un recours, tient sa revanche en accédant au palais de Koulouba, la résidence officielle et les bureaux des présidents maliens. Il sera réélu en 2018 face à Soumaïla Cissé.
AFP