Ils sont généralement âgés de moins de seize ans. Seuls ou accompagnés, dans les grandes villes du Mali, les enfants mendiants ainsi que les mères de jumeaux arpentent les rues et tendent la sébile devant les mosquées, les restaurants et autres lieux de commerce.
La pratique de la mendicité est sujette à débat aujourd’hui dans la société malienne, puisque certaines personnes ainsi que des ONG humanitaires, engagées sur la question sont convaincues qu’elle est un business pour ses pratiquants, notamment les mères de jumeaux.
De Bamako à Mopti en passant par Ségou, dans les stations d’essence, autour des mosquées, le long des grandes artères ainsi que dans les autogares, les enfants mendiants ainsi que des mères de jumeaux en quête d’argent ne passent pas inaperçus. Même s’il est difficile de donner un chiffre exact sur le nombre d’enfants mendiants au Mali.
Les organisations gouvernementales et non gouvernementales, (comme la Direction nationale du Développement social et de l’Économie solidaire, Enda Mali, le Samusocial) ayant travaillé sur les questions liées à la mendicité des enfants, disposent de données chiffrées aussi variées que disparates.
La guerre des chiffres
Selon Enda Mali, une Organisation non gouvernementale travaillant sur la mendicité dans la région de Mopti, le nombre d’enfants mendiants y était estimé à 1366 en 2017.
À Bamako (capitale du Mali), le Samusocial, une organisation de lutte « contre l’exclusion sociale des enfants et jeunes en grand danger dans la rue », a accompagné 1 202 enfants et jeunes vivant dans la rue en 2017.
Citant le rapport d’activité de 2015 du Samusocial, EDUCO, une ONG de coopération globale au développement et d’action humanitaire, indique que 67 % des enfants de la rue vivent de la mendicité. Avec ce pourcentage, on estime à 805 enfants mendiants dans la capitale malienne.
Dans la 4e région du pays, Ségou, l’effectif des enfants mendiants était de 1 641, selon l’Annuaire statistique de 2018 de la Direction régionale de Ségou. Ce chiffre est légèrement à la hausse par rapport à 2008, où cette direction arrêtait le nombre à 1086 mendiants dans la même région.
« Lors de la fête de Tabaski 2019, j’ai envoyé à mes parents 75 000 FCFA »
Le Système national d’information sanitaire et social de la Cellule de Planification et de Statistiques du secteur santé, du Développement social et de la Promotion de la famille du Mali estimait, en 2015, le nombre de mendiants au Mali à 39 951, dont 15 134 enfants. A cette période, la population totale du Mali était estimée à 17 735 000 habitants, selon l’Institut national des statistiques du Mali. En 2017, cette population a augmenté pour atteindre 18 786 996 habitants, dont 9 168 054 enfants, selon le même Institut.
Abdoul-Aziz Bachourou, coordinateur national de SOS villages d’enfants du Mali, une organisation d’aide aux enfants en situation de rupture familiale, estime que le Mali est confronté aujourd’hui à un problème de chiffres sur le nombre réel d’enfants évoluant dans la mendicité. Un avis partagé par le directeur de la Fondation pour l’Enfance de Ségou, Yves Traoré, et Aïssata Soucko de la Direction régionale de la 4e région du Mali.
Des mendiants dans les rues de Bamako à Bamako.jpg
Mendier, une activité lucrative
Nombreux sont les parents de mendiants au Mali ou d’enfants exerçant la mendicité qui se font d’énormes profits à travers cette activité.
Modibo Traoré, Jean Pierre Sanou, Mohamed Traoré ainsi que Ousmane Traoré, sont tous des enfants de la rue qui mendient dans la capitale malienne. Chacun d’eux contribue dans les dépenses de sa famille.
« Je rentre en famille chaque dimanche, où je remets à ma mère 5 000 FCFA et souvent même plus », explique Modibo Traoré (environ quatorze ans), rencontré devant la grande mosquée de Bamako. Quant à Jean-Pierre Sanou (à peine dix-sept ans), il gagnerait, lui, entre 4000 et 10 000 FCFA par jour, à l’en croire. « En plus des quartiers de Bamako, explique Sanou, je me rends le plus souvent à Baguineda, à Koutiala, à Sikasso ainsi qu’en Côte d’Ivoire pour mendier ».
Pour sa part, le jeune Mohamed Traoré (âgé de quatorze ans) n’envoie pas régulièrement de l’argent à sa famille. Mais selon lui, sa contribution annuelle excède les 75 000 FCFA. « Lors de la fête de Tabaski 2019, j’ai envoyé à mes parents 75 000 FCFA », confie-t-il.
Ousmane Traoré, lui, est un ancien apprenti de SOTRAMA (bus de transport urbain à Bamako, ndlr) reconverti en mendiant. Il se rend chaque semaine en famille où il remet à ses parents « plus de 5000 FCFA », a-t-il fait savoir.
En se fiant à ces témoignages, on peut estimer que chacun contribue, par an, à au moins 240 000 FCFA dans les dépenses de leurs familles.
Cette réalité n’est cependant pas pareille pour tous les enfants mendiants du Mali. À Mopti, Hamadoun, jeune garçon d’à peine 15 ans, mendie en plein centre commercial. Lorsque nous l’avons rencontré, l’adolescent nous a confié gagner pour 500 FCFA à 3000 FCFA par jour. Il vient généralement dans cet endroit les jeudi et les vendredi. « Dans ma famille, mes parents n’ont pas les moyens de nous donner à manger, mes frères et moi. Donc, nous mendions pour pouvoir manger », a-t-il confié. « L’argent que je gagne sert aussi à compléter les frais de condiments à la maison », poursuit-il.
Les parents d’Hamadoun habitent dans le quartier périphérique de Médina Coura. Cette famille squattait une maison inachevée qui serait la propriété d’un riche homme de la ville. Lorsqu’ils nous ont reçus, la méfiance était palpable. On sentait leur gêne à la question de savoir si les revenus de la mendicité de leur enfant servaient à nourrir toute la famille. Et le père d’acquiescer, arguant le fait qu’il ne trouve pas de travail et que sa famille est « très pauvre ».
Les mères de jumeaux dans les rues
Selon le Secrétaire général adjoint de la Coalition malienne de la défense des droits de l’enfant (COMADE), Gaoussou Traoré, 476 mères mendiantes de jumeaux ont été enregistrées par sa Coalition, uniquement dans les communes I, II et V du District de Bamako, en 2015. En 2017, à Bamako, le gouvernement du Mali, en collaboration avec la COMADE, est venu en aide à 120 mères de jumeaux, qui mendient, avec des céréales et du matériel d’activités rémunératrices, avec des formations à la clé pour certaines.
Comme femme, elles sont nombreuses ces mendiants se promenant avec des jumeaux empreuntés.jpg
Awa Traoré est une mère de jumeaux qui tend la sébile dans les rues de Bamako. Nous l’avons rencontrée à Kabala, quartier périphérique de Bamako, et elle nous raconte qu’elle gagnerait en moyenne 5000 FCFA par jour grâce à ses jumeaux qu’elles utilisent pour toucher la sensibilité des bons samaritains ou des passants en quête de bonne action.
« Quand on loue des jumeaux, des enfants pour prendre le bâton, dans le simple but de mendier ; nous menons un business »
Awa dit faire son activité avec ses jumeaux trois fois par semaine alors qu’une autre mère, qui a requis l’anonymat, le fait six jours dans la semaine. Toutes les deux peuvent engranger donc respectivement jusqu’à 780 000 CFA et 1 560 000 FCFA par an.
Grâce à cette activité, explique Awa la mère mendiante, elle a pu acheter une parcelle d’habitation de 300 m2 à Banco, dans la région de Koulikoro, pour une valeur de 600 000 FCFA. Une information confirmée par sa sœur Aïssata rencontrée le 18 septembre 2019 dans un autre quartier de la capitale.
Aujourd’hui, si Awa veut vendre cette parcelle, elle gagnerait au moins 3 000 000 FCFA.
L’œil des chercheurs
« Quand on loue des jumeaux, des enfants pour prendre le bâton, dans le simple but de mendier ; nous menons un business », indique Kassim Kéita, directeur national adjoint du Développement social au Mali.
Dr Bréma Ely Dicko, sociologue malien, est du même avis. Il prend l’exemple sur les enfants qui servent de guide aux malvoyants et qui reçoivent, pour ce service, « des ristournes qui sont versées à leurs familles pour avoir accepté de donner leur enfant comme guide ».
Dr Dicko va plus loin en faisant savoir l’existence d’une tontine des mendiants qui se tiendrait, chaque jour, devant la grande mosquée de Bamako. Nous n’avons pas pu prouver l’existence de ce type de tontine, mais le chercheur est formel, « elle existe ». Révéler l’existence d’une telle pratique par les mendiants pourrait sonner le glas de l’activité, car ce serait dire aux bonnes âmes généreuses que les mendiants ne sont pas aussi pauvres qu’ils veulent le faire croire, explique Dr Dicko.
Soutenant la transformation de la mendicité en business, M. Kéita estime : « Cela peut vous surprendre, mais il y a des mendiants qui peuvent gagner par jour jusqu’à 500 000 FCFA ». Mais selon lui, il est difficile d’obtenir ces informations directement des mendiants.
Selon Yves Traoré, directeur de la Fondation pour l’enfance de Ségou, la mendicité est juste une « activité d’exploitation des enfants par leurs parents qui ne survivent qu’à travers les recettes de ces mineurs ».
Se prononçant spécifiquement sur la mendicité des mères de jumeaux, Aïssata Soucko de la Direction régionale du Développement social et de l’Économie solidaire de Ségou invite à nuancer les montants indiqués par les mères de jumeaux. Car ces « mères communiquent rarement sur leur revenu réel gagné dans cette pratique ». Quoi que vous fassiez, la plupart vous diront qu’elles gagnent juste des revenus pour assurer leur journée.
Fousseni TOGOLA pour la CENOZO