Les militaires au pouvoir annoncent deux journées de concertation nationale devant aboutir à un consensus autour de la gestion de la transition.
Les militaires à la tête du Mali depuis deux semaines ont annoncé ce mardi 1er septembre vouloir organiser à la fin de semaine deux journées de concertations avec les partis et la société civile. L’objectif : étudier les propositions de feuille de route de la transition, en définir l’architecture et les organes de la transition, et enfin contribuer à l’élaboration d’une charte. Est-ce à dire que la porte est désormais grande ouverte pour une remise rapide du pouvoir aux civils par les militaires ? Difficile de l’affirmer, mais une chose est sûre, les colonels qui ont renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août ont promis de rendre les commandes aux civils à l’issue d’une transition d’une durée encore indéterminée.
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Consultations tous azimuts
Le lancement de la large consultation annoncée par la junte pour décider de la durée et de l’organisation de cette période transitoire avait subi un contretemps de dernière minute samedi dernier. Les militaires l’avaient reportée, en pleine discussion avec les responsables du Mouvement du 5-Juin/Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), à la base des larges manifestations anti-IBK de ces derniers mois.
Ces « journées de concertations nationales sur la gestion de la transition » auront finalement lieu samedi 5 et dimanche 6 septembre à Bamako, sous la présidence du colonel Assimi Goïta, son chef, a annoncé la junte. Elles serviront à élaborer la « feuille de route » et la charte de la transition, et à déterminer quels en seront les organes, a-t-elle dit dans un communiqué.
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Objectif : inclusivité
L’événement n’est pas annoncé du jour au lendemain comme avant le faux départ de la semaine passée. La junte a aussi tiré les enseignements du dédit fâcheux d’il y a quelques jours au moment de dresser la liste des participants. Le M5-RFP s’était indigné de ne pas avoir été invité nominativement. Il figure cette fois explicitement parmi les participants annoncés, avec les partis politiques, les organisations de la société civile, d’anciens groupes rebelles, les syndicats et la presse.
Le M5-RFP qui a canalisé l’exaspération des Maliens devant la grave crise sécuritaire, économique et institutionnelle traversée par leur pays, mais aussi la corruption reprochée à toute la classe politique, réclame d’être placé sur un pied d’égalité avec la junte à l’heure de la transition.
Il avait très mal pris de ne pas être listé en tant que tel parmi les invités de la concertation la semaine passée et avait accusé la junte de chercher à « confisquer » le changement. Sa figure tutélaire, l’imam Mahmoud Dicko, avait prévenu les militaires qu’ils n’avaient pas « carte blanche ». Ceux-ci avaient reporté la concertation et, à la place, avaient reçu dans la soirée les représentants du M5-RFP.
Depuis, et après s’être d’abord surtout entretenus avec les représentants étrangers pour les rassurer mais aussi demander la levée des sanctions imposées par les voisins ouest-africains, les militaires ont reçu séparément les responsables de partis ou de syndicats.
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Plusieurs propositions sur la table
Chacun a exposé sa vision, en particulier sur la durée de la transition et qui, civil ou militaire, devra la conduire. Ces questions divisent militaires et responsables maliens, communauté internationale et experts.
Les uns invoquent le temps et l’autorité indispensables pour relever les immenses défis auxquels fait face le pays et pour ne pas reproduire les erreurs d’un passé tourmenté. Les autres font valoir a contrario le risque d’un nouvel affaiblissement de l’État, d’une instabilité encore accrue dont profiteraient les djihadistes, ainsi que le mauvais exemple régional donné par une junte maintenue durablement au pouvoir.
La junte a proposé initialement trois ans sous la conduite d’un militaire, avant de rabaisser la barre à deux et de se dire ouverte sur son chef.
Le M5-RFP a de son côté proposé une transition de 18 à 24 mois, avec des civils aux manettes des institutions.
La Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a réclamé une « transition civile » et des élections sous douze mois, tandis que la France, partenaire essentiel du Mali, a estimé que la transition devait être « une affaire de mois ».
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Les Maliens s’emparent du hashtag #MaTransition
Rien n’est tranché et l’effervescence est à tous les niveaux dans un Mali qui cherche son futur à un moment charnière où « le champ des possibles est large, car les défis sont larges », selon l’expression d’un sociologue malien.
Les mêmes questions reviennent dans chaque cour de maison de Bamako : comment sortir le pays d’une spirale délétère, quelle place pour les militaires et les religieux dans le Mali de demain, comment renouveler une classe politique jugée sclérosée et corrompue, comment ne pas répéter les erreurs du passé ?
Le Mali de 2020 est un pays marqué par les épreuves : des années de guerre, l’enchaînement des attaques djihadistes malgré l’intervention de forces internationales et étrangères, les violences intercommunautaires, la pauvreté, la défaillance des services de santé, d’éducation et de l’État en général.
La corruption et le clientélisme y sont jugés endémiques. Alors nombreux sont ceux qui, comme le think tank Institut d’études de sécurité (ISS), voient le putsch comme l’opportunité d’un « renouveau démocratique ».
Chacun fait ses propositions et soutient son champion. Les prétendants aux responsabilités à venir se positionnent. La confusion est grande. « Trop de questions dans ma tête, l’histoire se répète. Suis-je bête ? En fait, je m’inquiète pour un peuple analphabète », rime le rappeur Mylmo, figure de la scène bamakoise, dans son titre publié après le coup d’État du 18 août.
Bréma Ely Dicko, sociologue à l’université de Bamako, incite à « ne pas se précipiter ». « Il faut tamiser », juge-t-il, interrogé par l’AFP. « Le Mali nouveau ne se construira pas en quelques semaines. Mais c’est dès maintenant qu’il faut en placer les ébauches », estime-t-il, en ajoutant que « le champ des possibles est large car les défis sont larges ».
« Ce qui est important n’est pas qui doit diriger ni quelle est la durée. C’est d’abord que les Maliens ôtent leur habit d’homme politique et endossent l’habit de citoyen pour participer au sursaut national », plaide le sociologue Dicko.
Le mot-clé #MaTransition est devenu viral sur les réseaux sociaux et chaque internaute y va de ses propositions. Pour certains, écrire une nouvelle Constitution est primordial. Pour d’autres, l’école et la sécurité doivent être les priorités.
Il faut quoi qu’il en soit des « réformes profondes », notamment sur les questions électorales et administratives, a martelé dans un communiqué la plateforme des organisations de la société civile.
La question de « l’articulation des pouvoirs » entre le président, le Premier ministre et le Parlement sera centrale, estime Abdourhamane Ben Mamata Touré, avocat et ancien directeur de la formation à l’École nationale d’administration (ENA). L’une des principales critiques contre le président renversé, Ibrahim Boubacar Keïta, a visé un exercice solitaire du pouvoir.
La gouvernance future – pourquoi pas collégiale plaide-t-il – doit « répondre aux attentes des Maliens ». Il « manque aujourd’hui une légitimité d’exercice » aux dirigeants pour dépasser la « légitimité électorale » qui serait le fruit actuellement d’un « système d’alliances et de partage du pouvoir », analyse-t-il.
La feuille de route des mois à venir devra venir d’une « véritable appropriation nationale », assure l’ISS dans une note récemment publiée, « plutôt que d’être imposée par des partenaires extérieurs » insistent ces experts.