Crainte du coronavirus et de la menace jihadiste: les électeurs maliens se sont rendus aux urnes en ordre clairsemé dimanche pour élire leurs députés au cours de législatives pourtant à fort enjeu.
Aucun chiffre officiel de participation n’était disponible peu avant la fermeture des bureaux de vote à 18H00 (GMT et locales), mais les constatations des correspondants de l’AFP et des observateurs laissent à penser qu’elle sera faible.
A la mi-journée, elle était de 7,5% dans les bureaux visités par le millier d’observateurs d’un groupement d’associations de la société civile, selon un communiqué.
Les premières tendances ne sont pas attendues avant plusieurs jours.
Reportées à plusieurs reprises depuis deux ans, ces élections doivent permettre de renouveler les 147 sièges du Parlement en deux tours, ce dimanche et le 19 avril.
– Climat délétère –
Après une campagne ralentie par les mesures sanitaires en raison du coronavirus et qui n’a pas suscité de grand engouement, le scrutin se tient dans un contexte délétère: les violences jihadistes et intercommunautaires persistent malgré le déploiement depuis des années de forces françaises, sahéliennes et de l’ONU.
Signe de cette insécurité, le chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, a été enlevé à quelques jours de l’élection alors qu’il faisait campagne dans son fief électoral de Niafounké, près de Tombouctou (nord).
Il est vraisemblablement aux mains de jihadistes se revendiquant du prédicateur peul Amadou Koufa, chef de l’une des branches, apparue en 2015 dans le centre du Mali, de la principale alliance jihadiste du Sahel, affiliée à Al-Qaïda, selon un élu et une source sécuritaire.
Le président Ibrahim Boubacar Keïta s’est indigné dimanche de ce rapt, promettant de “ne ménager aucun effort pour obtenir sa libération”. Il a également salué la “maturité” du parti de Soumaïla Cissé, qui a appelé à une “participation massive”.
Pourtant, les électeurs se sont méfiés, avançant souvent des craintes liées au Covid-19, qui a contaminé une vingtaine de personnes et fait samedi sa première victime dans le pays, longtemps épargné.
S’ils sont allés voter, c’est “la peur au ventre”, comme l’a dit à Bamako un enseignant de 34 ans, Souleymane Diallo.
“Ils nous demandent d’aller voter alors qu’on utilise tous le même stylo et la même encre. Il n’y a pas un mètre entre les gens”, pestait Amadou Camara, qui a préféré s’abstenir.
Le Premier ministre Boubou Cissé, qui a voté tôt, avait lancé un appel pour que les électeurs respectent les “gestes barrières” et utilisent le “dispositif sanitaire” en principe en place dans chaque bureau. Il disait espérer un taux de participation “suffisamment satisfaisant”.
“Si dans certains centres, le matériel a permis de respecter les mesures sanitaires, il est clair que dans de nombreux autres, les gestes barrière n’ont pas été respectés et le dispositif n’était pas en place pour se laver les mains”, a affirmé à l’AFP Aminata Touré, de l’ONG “Travaillons pour un Mali propre”.
– Près de 300 bureaux fermés –
Un autre enjeu était simplement que le scrutin puisse se tenir dans les larges parties du territoire en proie à des violences quasi quotidiennes, qui ont débordé ces dernières années sur le Niger et le Burkina Faso voisins.
Sur les près de 12.500 bureaux de vote, 274 n’ont pas pu ouvrir, selon le ministère de la Sécurité et de la Protection Civile.
A Mopti (centre), au coeur d’une région particulièrement touchée par les attaques jihadistes et les conflits meurtriers entre communautés, il n’y a “pas vraiment eu d’affluence”, a dit le président d’un bureau de vote, Amadou Dicko. “Le coronavirus et l’insécurité ont chassé les électeurs”.
A Tombouctou (nord), les centres de vote étaient sécurisés par l’armée malienne, selon une correspondante de l’AFP. Un président de bureau a toutefois été “enlevé par des hommes armés”, a indiqué une source proche du gouvernorat de la région.
Le mandat de l’assemblée issue des élections de 2013, qui avaient octroyé une majorité substantielle au président Keïta, devait s’achever en 2018.
Les enjeux de son renouvellement sont importants, selon des experts, pour qui il s’agit de faire enfin progresser l’application de l’accord de paix d’Alger.
Cet accord a été signé en 2015 entre les autorités et les groupes armés indépendantistes, notamment touareg, qui avaient pris les armes en 2012. Il ne concerne pas les groupes jihadistes. Mais sa mise en oeuvre est considérée comme un facteur essentiel d’une sortie de crise, à côté de l’action militaire.
Il prévoit plus de décentralisation via une réforme constitutionnelle. Certains opposants estiment que la réforme ne peut être adoptée par l’Assemblée actuelle car celle-ci est jugée par beaucoup “légale mais plus légitime”, selon Bréma Ely Dicko, sociologue à l’université de Bamako.
bur-sd-kt-ah/siu/jpc
tv5