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Mali: «Difficile d’affirmer que les groupes armés ont roulé pour le pouvoir en place, mais…»

Le 29 juillet et le 12 août derniers, pourquoi les groupes armés du Nord-Mali ont-ils accepté de sécuriser les deux tours de la présidentielle ? Dans cette collaboration avec le pouvoir de Bamako, y a-t-il eu connivence au profit du candidat IBK ? Ibrahim Maiga est le correspondant à Bamako de l’Institut d’études et de sécurité (ISS). Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Quel bilan sécuritaire faites-vous de ces deux tours d’élections présidentielles ?

Ibrahim Maïga : C’est un scrutin qui a été émaillé de nombreux incidents. Mais la crise sécuritaire laissait penser qu’il y pourrait y avoir encore plus d’incidents sécuritaires que ceux auxquels on a assisté. C’est un bilan relativement positif si on s’en tient aux chiffres donnés par l’administration, par le ministère de la Sécurité.

Ibrahim Boubacar Keïta affirme que lors des communales de novembre 2016, 8% des bureaux de vote étaient fermés et que lors de cette présidentielle, seuls 3% des bureaux de vote étaient fermés. Les électeurs ont-ils pu voter plus nombreux lors de cette présidentielle que lors des communales de novembre 2016 ?

Il est difficile de le dire parce que, effectivement, sur un plan purement comptable, il y a eu moins d’incidents sécuritaires, moins de bureaux de vote fermés. Donc théoriquement, moins aussi de population ayant été impactée directement. Mais les communales sont les communales. S’il existe des élections qu’il est possible de reporter, la présidentielle est beaucoup plus difficile parce que c’est un scrutin quand même national.

Quelle est la région du Mali où le vote a été le plus perturbé, le Nord ou le Centre ?

La grande majorité des incidents sécuritaires ont eu lieu dans les régions du Centre, en particulier dans celle de Mopti. A elle seule, elle comptabilise 50% des incidents sécuritaires observés au cours des deux tours. De la part des autorités maliennes, on a sous-estimé la situation, la dégradation de la situation sécuritaire sur le terrain, dans le Centre, parce qu’il faut rappeler que des signes avant-coureurs existaient déjà en 2013. Le Centre a été peut-être la zone négligée au cours de ces dernières années. On subit les conséquences de cette mauvaise évaluation sur le terrain.

On peut donc dire qu’au Nord, le vote a été sous le contrôle des groupes armés alors qu’au Centre, il n’a été sous le contrôle de personne ?

C’est aussi ça la différence fondamentale entre le Nord et le Centre. Au nord du pays, vous avez des acteurs qui sont identifiés. Il y a un accord de paix avec des acteurs donnés, donc les groupes armés signataires, même si certains groupes ne font pas partie de cet accord. Pour les groupes armés, il était fondamental pour eux de pouvoir tenir ce scrutin dans des conditions acceptables, et surtout dans une volonté aussi de se positionner comme étant des interlocuteurs crédibles, des interlocuteurs fiables du gouvernement malien. A la différence du Nord, pour le Centre, on a du mal à identifier des acteurs sur le terrain. Donc, il est très difficile d’avoir un accord avec eux parce que vous avez une multitude de groupes armés. Aujourd’hui, on n’est pas capable de tous les dénombrer, on n’est pas capables de les identifier avec précision.

Beaucoup d’observateurs sont surpris en effet par le fort taux de participation et les très bons scores du candidat IBK dans les régions du Nord. Peut-on parler d’un partenariat entre Bamako et les groupes armés du Nord au profit du candidat IBK ?

C’est une question qu’on peut légitimement se poser. Tous les acteurs, tous les observateurs avertis avaient déjà alerté justement sur ce point-là. L’une des conditions minimales d’organisation et de tenue de ce scrutin était justement la bonne entente entre le gouvernement malien et les groupes armés, et aussi une contribution des groupes armés à la sécurisation du processus électoral. Maintenant, on peut légitimement s’interroger sur le taux de retrait d’abord des cartes d’électeur dans des zones où l’Etat est faiblement présent ou totalement absent. On peut également légitimement s’interroger quand même sur le taux de participation dans certaines localités, quand on sait que ce sont des zones nomades parfois, et qu’en plus, avec les conditions sécuritaires, comme les incidents à Aguelhok le 29 juillet, on peut s’interroger sur le fait que cela n’ait pas dissuadé les populations d’aller voter. Donc, ce sont des questions légitimes que l’opposition soulève. Il est difficile d’affirmer sans sourciller que les groupes armés ont roulé pour le pouvoir en place, mais évidemment c’est une question légitime. C’est peut-être à la Cour constitutionnelle d’apporter la réponse à cette question.

Suite à cette présidentielle, peut-on parler d’un nouveau partenariat entre le pouvoir central et les groupes armés du Nord, notamment ceux de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) ?

Le scrutin présidentiel doit au moins signifier un nouveau départ pour ces acteurs qui se sont pendant très longtemps combattus. Il y a aussi une méfiance de part et d’autre. Et le scrutin présidentiel doit justement donner le ton pour un nouveau départ de relations beaucoup plus harmonieuses entre le gouvernement malien et les groupes armés parce que le plus dur est peut-être devant.

Peut-on dire que l’accord d’Alger de 2015 est ressuscité, mais aux dépens des candidats de l’opposition, et notamment du candidat Soumaïla Cissé ?

Est-ce que les groupes armés ont été totalement impartiaux dans les traitements dans ce scrutin ? Il est difficile de le dire. On sait par exemple qu’il y a une volonté peut-être de continuer avec le président sortant dans la mesure où c’est quand même lui le père de cet accord de paix et qu’il est beaucoup plus facile peut-être d’obtenir des garanties supplémentaires avec celui qui a favorisé la signature de cet accord de paix, qu’avec un nouveau pouvoir.

Y a-t-il eu un effet Soumeylou Boubeye Maïga, du nom de l’actuel Premier ministre, sur l’organisation du scrutin dans le Nord du Mali ?

C’est important quand même de le souligner. Il y a encore quelques mois, tout le monde s’interrogeait sur la possibilité même de tenir cette élection. On l’a tenue cette élection avec quand même des incidents sécuritaires tragiques, mais l’élection a pu se tenir. Le Premier ministre a véritablement mis du sien pour la tenue de cette élection. Effectivement, il y a une empreinte, l’empreinte du Premier ministre sur ce scrutin.

Par rfi.fr

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