Le Mali sous le choc de l’enlèvement du chef de file de l’opposition, Soumaila Cissé, à la veille des élections législatives du dimanche 29 mars
C’est dans sa propre circonscription, là où il est élu en 2013 et où il battait campagne, que le chef de file de l’opposition Soumaila Cissé a été enlevé mercredi après-midi, vers 16h00. Les deux véhicules qui transportaient le chef de file de l’opposition et sa délégation de 12 personnes ont fait l’objet de tirs d’hommes armés non identifiés placés en embuscade sous les arbres, à 4 km du village de Koumaira, dans la circonscription de Niafunke, à 250 km au sud-ouest de Tombouctou. Le véhicule transportant le président de l’Union pour la République et la Démocratie a essuyé des tirs qui ont blessé gravement 3 passagers, dont le garde rapproché de Soumaila Cissé, Mohamed Cissé, décédé par la suite. Soumaila Cissé n’aurait, lui, pas été blessé, selon Me Demba Traore, secrétaire à la communication du parti, interrogé par Mondafrique.
Aucune rançon pour l’instant
Après une brève discussion, les ravisseurs, qui utilisaient des téléphones satellite, ont divisé la délégation en deux groupes. Ils ont emmené Soumaïla Cissé et 5 membres de sa délégation. Les 6 autres, y compris les blessés, ont été conduits vers une autre destination où ils ont été abandonnés vers 19h00. Après la nuit, ces derniers ont pu aller chercher du secours à Saraféré. « Pour le moment, nous n’avons aucune information venant de qui que ce soit demandant une rançon. Par contre, nous avons reçu la visite du Premier Ministre à notre cellule de crise qui nous a fait part de la volonté du gouvernement de déployer tous les efforts possibles pour les rechercher. Pour l’instant, nous n’avons pas d’information officielle », a déclaré Me Traore.
Cependant, un audio a circulé vendredi sur les réseaux sociaux, prêtant à la Katiba Macina l’enlèvement de l’homme politique. Dans cet audio, celui qui se fait passer pour un proche d’Amadou Koufa qualifie Soumaila Cissé de « gros poisson » et rappelle à deux reprises qu’il « fait partie des gens qui se sont opposés » aux discussions avec les groupes djihadistes engagées par le Président malien. « Selon lui, nous ne sommes pas des démocrates. Maintenant qu’il est entre nos mains, il comprendra qu’il faut discuter avec nous. (…) Quand les pêcheurs attrapent un gros poisson, ils ne le mangent pas. Ils courent vers le marché pour le vendre. Soumaila est un grand chef. Il fut Premier ministre et ministre. (…)Aujourd’hui, il est entre les mains du chef de la Katiba du Macina. »
‘Nous allons lui enseigner le Coran »
Selon l’auteur de cet audio, Soumaïla est le principal concurrent d’Ibrahim Boubacar Keita et à ce titre, il pourrait devenir Président du Mali après lui. Mais, poursuit-il, «la démocratie ne commande plus au Mali. » « Nous mettons en garde la Minusma, Barkhane et l’armée malienne contre toute tentative de libérer par la force Soumaïla. (…) Nous le gardons pour lui enseigner le Coran et les lois islamiques. A la fin, il aura une grande barbe et sera couvert de poils. (…) C’est un gros poisson et il faut en tirer profit : de l’argent et la libération de nos détenus. » Enfin, l’audio affirme qu’il est en bonne santé et qu’il sera respecté, ainsi que ses compagnons.
Dans l’attente d’une revendication officielle, Me Demba Traore estime que cet audio ne peut pas être considéré comme fiable. « Nous ne pouvons pas nous permettre de dire que cette information est réelle parce que nous n’avons aucune confirmation. » Tiebilé Dramé, le ministre malien des Affaires étrangères a cependant déclaré aujourd’hui que plusieurs indices faisaient penser que Soumaïla Cissé avait été enlevé par la Katiba Macina.
A l’URD, la priorité a été donnée aux responsables locaux du parti à Niafunke pour tenter de rechercher les auteurs de l’enlèvement. « Des démarches sont en cours, initiées par nos responsables locaux, qui sont très choqués», a dit Me Traore.
L’avocat est en colère. « Plusieurs fois, nous avons évoqué la question de l’insécurité et le gouvernement s’est engagé, quand nous avons convoqué le collège électoral, à assurer la sécurité de toutes les personnes et de leurs biens, sur toute l’étendue du territoire, en particulier les candidats et les agents électoraux. Ils nous ont dit de ne pas nous inquiéter. Nous n’avons pas cessé d’alerter sur l’insécurité car nous en avons été victimes plusieurs fois. Au début de la campagne, notre candidate de la circonscription de Nara a été attaquée, son véhicule emporté. Et toujours dans la région de Koulikoro, une semaine plus tard, nos candidats ont encore été attaqués et ont perdu un véhicule. »
Des menaces contre les éventuels électeurs
C’est l’URD de Soumaïla Cissé qui a payé le plus lourd tribut. « Pourquoi nous, pourquoi nos candidats ? Il faut qu’on nous donne les réponses. Un Etat qui est impuissant cherche d’abord à être puissant avant de consulter le peuple. Nous constatons à travers ces actes que les conditions ne sont pas réunies pour des élections sincères et transparentes. »Soumaïla Cissé n’était pas accompagné d’une escorte lorsqu’il a été enlevé.
« C’est un coup très dur pour le parti. Un leader de son rang, chef de file de l’opposition, avec rang de ministre. Son enlèvement survient après tous les engagements donnés par le gouvernement pour assurer la sécurité des candidats. Ces engagements n’ont pas été tenus. Si c’est arrivé à Soumaila, alors, ça peut arriver à tout le monde. Tout le monde vit dans la peur », a asséné l’avocat.
Dans certaines localités de Tombouctou, de Gao et de Mopti, des hommes armés diffusent en outre des messages de menaces contre tous ceux qui participeront aux élections.
« Quand ces populations constatent que le chef de file de l’opposition a été enlevé, le citoyen lambda se dit ‘ça peut m’arriver’. A tout cela, s’ajoutent les effets du Covid-19. Pourquoi le président s’obstine-t-il ? C’est une question qu’il faut lui poser », conclut l’avocat.
Des militants de la société civile et même des candidats aux élections, comme le Président du Mouvement Patriotique pour le Renouveau, Choguel K Maiga, se sont exprimés en faveur de l’annulation des élections législatives.
La redaction
Mondafrique