Alors que le Nord du Mali connait un inquiétant regain de violence, les négociations de paix à Alger constituent une chance unique de sortie de crise. Mais après deux mois de discussions, la paix semble encore loin. Le gouvernement malien et les groupes armés engagés dans les négociations peinent à trouver un terrain d’entente. Des groupes influents et radicaux qui manquent à la table des négociations sont tentés de faire dérailler le processus par la violence. La résolution du conflit passe par l’articulation complexe d’intérêts divergents qui touchent à la sécurité du Sahara, à la nature de l’Etat malien et aux équilibres locaux entre des communautés divisées. Face aux affrontements armés, la tentation est grande d’aller vite et de signer un accord à minima garantissant la sécurité à court terme. La précipitation est mauvaise conseillère. Il faut se donner les moyens et le temps de construire les fondements d’une paix durable.
Après des mois de blocage, l’impulsion algérienne a permis de structurer une médiation longtemps handicapée par les rivalités institutionnelles. L’équipe de médiation conduite par l’Algérie doit entretenir cet élan et prendre le temps de susciter un consensus large autour du futur accord. Le document qui sert de base à la rédaction d’un accord final est un premier pas utile mais il repose pour l’essentiel sur des réponses qui ont déjà montré de sérieuses limites. En réduisant la crise à un problème entre le centre et la périphérie, il ne dit presque rien des fractures entre les communautés du Nord. Il n’ouvre guère de perspective pour concevoir les institutions politiques et sécuritaires qui garantiront une répartition équitable des ressources et des responsabilités entre ces communautés.
Tous les acteurs impliqués dans la résolution de la crise doivent tirer les leçons des précédents accords, qui présentaient des lacunes évidentes : les fonds manquaient pour une application rapide ; le mécanisme de garantie internationale n’a pas joué son rôle d’alerte ; et les accords se sont focalisés sur les rapports entre les régions du Nord et l’Etat central, négligeant la question des équilibres locaux. Sur le plan sécuritaire, l’intégration des anciens rebelles dans les forces armées a généré beaucoup de frustrations de part et d’autre.
Le Nord du Mali connait depuis plusieurs semaines un regain de violence, notamment en raison de l’activité de groupes jihadistes et d’affrontements entre groupes armés en violation du cessez-le-feu signé en mai dernier. Face aux attentats contre la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la paix au Mali (Minusma), qui augmentent de manière inquiétante, il est tentant de renforcer l’option sécuritaire. Mais la meilleure solution reste encore de soutenir un accord réaliste et durable. A Bamako, le choc de la débâcle de Kidal en mai 2014 n’a pas été complètement digéré. La frange la plus souverainiste n’exclut toujours pas l’option militaire avec le soutien des forces internationales.
Beaucoup reste à faire alors que la dernière phase des négociations s’ouvre le 20 novembre dans un climat tendu. Un nouvel enlisement des discussions serait préjudiciable aux deux parties. Il n’est dans l’intérêt de personne de précipiter la signature d’un accord incomplet. Les partenaires internationaux du Mali, qui seront demain les garants politiques et financiers de l’accord, ne doivent pas s’associer à un accord bancal. Un échec serait également préjudiciable aux efforts louables que l’Algérie déploie pour stabiliser la région. Du côté du gouvernement, plus l’absence de l’administration se prolonge au Nord, plus il sera difficile de restaurer pleinement la présence de l’Etat. Du côté de la Coordination des mouvements de l’Azawad, l’insécurité au Nord entame le crédit politique et diplomatique depuis la victoire de Kidal.
A l’ensemble des acteurs engagés dans les négociations, en particulier à l’Algérie, chef de file de la médiation internationale :
- prendre le temps de la négociation, et pour cela, trouver au préalable un accord intérimaire portant exclusivement sur le renforcement du cessez-le-feu, par le biais par exemple du renforcement des patrouilles mixtes ;
- aborder ouvertement la question des relations conflictuelles au sein des communautés du Nord et dans leur rapport à l’Etat, en vue de concevoir des institutions politiques et sécuritaires garantissant une répartition équitable et acceptable des ressources et des responsabilités politiques ; et
- s’entendre sur un mécanisme de consultations populaires organisées avant la finalisation de l’accord de paix et prévoir un mécanisme de validation solennelle de cet accord passant par un vote du parlement malien réuni en session extraordinaire et/ou un vote organisé au niveau des régions concernées.
A l’équipe de médiation internationale (Algérie, Minusma, Union africaine, Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, Organisation de la coopération islamique, Union européenne, Mauritanie, Niger et Tchad) :
- prévoir un dispositif de garantie internationale pour veiller au financement et à l’application du futur accord de paix, en incluant notamment un mécanisme de contrôle international des fonds investis par les bailleurs fonctionnant conjointement avec les autorités locales compétentes, et un mécanisme d’alerte précoce et de réaction rapide en cas de déraillement du processus de paix ; et
- préparer l’équipe de médiation internationale à devenir, une fois les négociations achevées, un groupe de contact responsable du dispositif de garantie internationale, avec une représentation transférée au Mali, à Bamako et dans les régions du Nord.
Dakar/Bruxelles, 18 novembre 2014