De violents affrontement ont agité la capitale malienne après une manifestation, le 10 juillet, emmenée par un rassemblement hétéroclite qui demande la démission du président IBK, accusé notamment d’inaction face à la crise sociale et sécuritaire.
Des barricades, des rues jonchées de pierres, des bâtiments saccagés, des axes routiers bloqués… Bamako a connu un week-end d’une extrême violence. Au moins onze personnes sont mortes au cours de ces émeutes, entre vendredi 10 et dimanche 12 juillet, selon un responsable des urgences d’un grand hôpital, cité par l’AFP. Le mouvement de contestation qui réclame le départ du pouvoir en place au Mali a donné, mardi 14 juillet, un nouveau rendez-vous à risques en appelant à un rassemblement “de recueillement” vendredi.
Alors que la capitale s’embrase et que les forces armées ont réprimé dans le sang le soulèvement de la population, rassemblée derrière la bannière du M5-RPF, un tout jeune mouvement contestataire, franceinfo revient sur les origines de ces troubles qui secouent un pays aux portes du basculement.
1Pourquoi des violences ont-elles éclaté ?
Elu une première fois en 2013 et confirmé à la tête du pays en 2018, le président Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, fait face à un mouvement de contestation accru depuis les législatives de mars et avril dernier. Après un scrutin marqué par l’enlèvement du principal opposant au président, Soumaïla Cissé, mais aussi des enlèvements d’agents électoraux, l’intimidation d’électeurs et un taux de participation en chute libre, la Cour constitutionnelle a invalidé à la fin du mois d’avril une trentaine de résultats au profit du parti du président.
La réaction a été immédiate. Dans le courant du mois de mai, des adversaires d’IBK ont noué une alliance inédite autour d’un imam influent et respecté, Mahmoud Dicko. Ensemble, ils ont lancé un appel à se rassembler dans la rue une première fois le 5 juin et se sont baptisés “M5-RFP” pour “Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques”. Le M5-RFP réclame la dissolution du Parlement malien, la formation d’un gouvernement de transition dont il désignerait le Premier ministre, ainsi que le remplacement des neuf membres de la Cour constitutionnelle, accusée de collusion avec le pouvoir.
Les deux premières journées de contestation, les 5 et 19 juin, se sont déroulées ainsi sans heurt. Des discussions se sont même tenues entre le président et des représentants du mouvement. Mais le 8 juillet, dans un discours télévisé, le chef de l’Etat a renouvelé sa confiance à son Premier ministre Boubou Cissé et refusé de demander la dissolution de l’Assemblée nationale au motif que cela “priverait de leurs sièges tous ceux qui ont été élus sans contestation”, rapporte RFI.
Le M5 a haussé le ton vendredi 10 juillet, en appelant pour la première fois à la désobéissance civile dans tout le pays. A Bamako, des manifestants ont alors occupé des lieux symboliques du pouvoir, avant d’être violemment délogés par les forces de l’ordre. Décrivant des scènes de chaos, le site malien Maliweb s’étonne de cette explosion de violence : “rien ne pouvait présager un tel désastre.”
Des partisans de l\’imam Mahmoud Dicko manifestent contre le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, à Bamako, au Mali, le 10 juillet 2020. Des partisans de l’imam Mahmoud Dicko manifestent contre le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, à Bamako, au Mali, le 10 juillet 2020. (REUTERS)
2Comment ce mouvement contestataire a-t-il vu le jour ?
Cela fait pourtant longtemps que la colère gronde parmi la population malienne. La séquence électorale, “avec l’enlèvement de l’opposant Soumaïa Cissé, et les soupçons de tripatouillages des voix (…) a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase”, résume Caroline Roussy, chercheuse à l’Iris, spécialiste du Mali. A franceinfo, elle dépeint le tableau d’une population “à bout”, éprouvée par “un palimpseste de crises : des crises qui se superposent les unes aux autres”.
Observant une “coagulation des mécontentements” au sein de la société malienne, elle liste les plaies qui affligent le pays depuis 2012. “Le Mali vit une crise sécuritaire et une crise sociale extrêmement graves : toute une partie du pays échappe au contrôle de l’Etat, différents groupes jihadistes s’affrontent, la présence française est contestée, les exactions qu’on appelle pudiquement ‘communautaires’ se multiplient. La jeunesse ne voit pas d’avenir, des affaires de corruptions ont été mises au jour, les enseignants sont en grève depuis sept mois pour obtenir une hausse des salaires…” La liste, déjà longue, est non exhaustive, mais le constat de la chercheuse est sans appel : “La population n’en peut plus.”
Derrière cette mobilisation transparaît ainsi “la faillite de la classe politique”, confirme le chercheur malien Bréma Ely Dicko, interrogé fin juin par RFI. Lassés par les manœuvres politiques, les Maliens plébiscitent un religieux, l’imam Dicko, identifié comme le leader de la contestation : “les Maliens ont fini par se résoudre à l’idée que finalement [les politiques] sont tous les mêmes (…) Donc si les politiques ont failli, des acteurs comme l’imam deviennent crédibles et arrivent à cristalliser autour d’eux différentes frustrations”, résume le chercheur.
3Qui compose cette force d’opposition ?
Si l’imam Dicko en est une figure de proue, le M5-RFP apparaît comme une “sorte de ‘monstre à plusieurs têtes’”, selon le sociologue malien Bréma Ely Dicko. Interrogé par le site Benbere, il décrit “un mouvement hétéroclite composé d’acteurs aux agendas différents. Il y a des acteurs politiques, des acteurs de la société civile et d’autres personnes qui ne sont ni de la société civile en tant que telle, ni des mouvances politiques”. Et pour cause, on y trouve les partisans du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD), appartenant à l’opposition, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (Cmas), une jeune structure créée en septembre autour du religieux, et enfin, Espoir Mali Kura (EMK), un mouvement de la société civile dirigé par un ancien ministre étiqueté à gauche.
Aussi, la prédominance de la figure de l’imam, connu pour ses positions rigoristes, n’en fait pas pour autant un mouvement d’inspiration religieuse, souligne le journaliste malien Bokar Sangaré, dans un entretien à l’Agence de presse africaine (APA).
Ces voix dénoncent en chœur les manquements de la présidence d’IBK, non sans quelques ambiguïtés. Ainsi, Caroline Roussy pointe “une certaine ambivalence, qui réside dans le fait que, contrairement à la foule, l’imam Dicko n’a pas appelé à la démission du président IBK.”
“Quand certains demandent la dissolution de l’Assemblée nationale et de la Cour constitutionnelle, d’autres estiment que ce n’est pas suffisant. Comme l’imam Dicko ne veut pas endosser de rôle politique, les contre-propositions émergent de parts et d’autres”, observe-t-elle. Enfin, Mahmoud Dicko “entretient une relation complexe avec le chef de l’Etat”, poursuit la chercheuse, rappelant qu’”il l’a soutenu à la présidentielle de 2013. En 2018, il n’a pas appelé à voter IBK, mais n’a pas soutenu d’autre candidat non plus.”
4 Quelles sont les ambitions de l’imam Dicko ?
Au fil des interviews qu’il accorde à la presse, l’imam Dicko assure ne pas nourrir d’ambitions présidentielles. Toutefois, “sa parole a un vrai poids sur les manifestants”, relève Caroline Roussy. C’est d’ailleurs pour le protéger d’une éventuelle arrestation – après l’interpellation, vendredi, de plusieurs figures du M5 – qu’ils ont monté des barricades dans le quartier résidentiel de Badalabougou pendant le week-end.
Dès le lendemain, le religieux a appelé au calme, priant les manifestants de ne pas s’en prendre pas aux biens publics et privés. “Il ne pourra pas contrôler tous les manifestants, mais si les forces de sécurité continuent de s’en prendre aux civils, cela va solidifier l’image de l’imam Dicko en tant que leader responsable et entacher encore la crédibilité d’IBK”, résume sur Twitter Andrew Lebovich, expert en sécurité de l’European Council on Foreign Relations, spécialiste du Sahel.
“Quelle que soit l’issue de l’épreuve de force qu’il a engagée avec le régime, on imagine mal l’avenir politique du Mali sans lui”, poursuit le chercheur français Serge Michailof, dans une note publiée sur le site de l’Iris. Selon lui, l’irruption de l’imam sur la scène locale pourrait avoir des conséquences géopolitiques importantes. Elle pourrait ouvrir “une porte de sortie” pour l’armée française engagée contre les terroristes dans le Sahel. L’imam Dicko, “politicien habile”, “représente une possibilité de négocier la paix avec les groupes jihadistes. Il peut certes mettre la France à la porte et appeler les Russes ou les Chinois à la rescousse. Il peut se révéler comme un Khomeini malien. Ce serait le manifeste d’un désaveu de la politique menée par la France au Mali, mais aussi une porte de sortie offerte à ‘Barkhane’, quand la situation semble sans issue”.
5Comment réagissent IBK et son entourage ?
Le Premier ministre malien, Boubou Cissé, a promis samedi de former un gouvernement d’ouverture. “Le Président et moi restons ouverts au dialogue. Très rapidement, je mettrai en place un exécutif avec l’intention d’ouverture pour faire face aux défis de l’heure”, a-t-il déclaré. Quelques jours plus tôt, le président avait déjà ouvert la porte à la formation d’un gouvernement d’union nationale et au réexamen de la décision de la Cour constitutionnelle sur les législatives. La contestation a rejeté ses ouvertures successives, rapporte Jeune Afrique, l’accusant d’ignorer leurs demandes, dont la dissolution du Parlement.
Suivant la recommandation de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), laquelle demande aux autorités d’organiser des élections législatives partielles dans les zones où les résultats du scrutin de mars sont contestés, IBK a annoncé samedi la dissolution de la Cour constitutionnelle. Cela “va nous conduire dès la semaine prochaine à demander aux autorités compétentes la désignation de membres pour que, rapidement, une Cour reconstituée nous aide à trouver les solutions aux contentieux issus des élections législatives”, a-t-il déclaré, rapporte Jeune Afrique.
L’issue de cette crise n’en reste pas moins imprévisible. Parmi les contacts de Caroline Roussy, “personne ne voit de solution émerger pour l’instant. Le Premier ministre est contesté, le président est contesté, les propositions sont contestées. On évoque un gouvernement d’union nationale, mais avec qui ? A qui attribuer les ministères régaliens et sur quelles bases ?” s’interroge-t-elle, attentive à l’évolution de la situation, aujourd’hui “bloquée”.
franceinfo avec AFP