Patrice. Pourquoi les militaires français n’ont-ils pas pacifié complètement la zone du Nord-Mali? On n’en serait pas là…
Thomas Hofnung. C’est tout simplement impossible. Le Nord-Mali est un territoire plus vaste que la France. La stratégie de Paris est de concentrer des forces sur certains points jugés cruciaux. On pourrait poser votre question autrement: pourquoi les Français n’ont pas pacifié Kidal? La réponse, selon moi, tient au fait que la force Serval veut à tout prix éviter de s’interposer entre les parties en conflit, autrement dit entre les Touaregs et les troupes de Bamako.
Benjamin. L’Etat français va-t-il renforcer ses troupes au Mali?
T.H. Officiellement, il n’en est pas question. En revanche, Paris est en train de reconfigurer son dispositif militaire au Mali, ainsi 150 soldats supplémentaires ont été envoyés à Kidal. La France veut éviter toute forme d’enlisement au Mali, instruite par le précédent afghan. Mais si elle ne renforce pas ses effectifs, elle va sans doute ralentir le rythme du retrait prévu de ses soldats.
Rafi. Pourquoi l’armée française n’a-t-elle pas accompagné les deux journalistes lors de leur déplacement à Kidal?
T.H. Depuis le début de l’opération Serval, l’armée française a pour consigne de ne pas emmener de journalistes à Kidal qui est une vraie poudrière. Dès la nouvelle connue de l’assassinat des deux journalistes de RFI, le ministère de la Défense a indiqué qu’il avait refusé de convoyer Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Cette position est cohérente. Mais ce n’est pas parce que l’armée refuse d’emmener les journalistes dans cette zone dangereuse que ces derniers ne prennent pas la décision d’y aller par leurs propres moyens. Fallait-il les protéger? Les journalistes ne peuvent pas effectuer correctement leur travail à l’ombre des Famas. Peut-être aurait-il fallu trouver un compromis, une forme de concertation entre militaires et journalistes.
Désert. Dans quelle mesure ces assassinats vont-ils «profiter» aux Touaregs?
T.H. Je pense le contraire. Ce double assassinat souligne l’urgence de rétablir la sécurité à Kidal. Il faut une autorité légale, plutôt que cette paix armée entre soldats maliens et groupes touaregs. D’ailleurs, les responsables à Bamako ont immédiatement lancé des appels en ce sens, et c’est là toute la difficulté pour la France: si Bamako déploie davantage de troupes, les groupes touaregs risquent de se braquer. La solution est peut-être de mettre en place une force mixte. Mais c’est une tâche qui paraît, pour le moment, hors d’atteinte.
David. Où en est la traque des auteurs des assassinats des deux journalistes?
T.H. Il y a sur ce sujet un black-out absolu. Ce qui est sûr, c’est que l’armée et les forces maliennes ne restent pas les bras croisés. Hier, des sources maliennes indiquaient que des opérations de ratissages avaient lieu. Bamako a même évoqué des interpellations, aussitôt démenties par Paris. La France, qui mobilise probablement d’importants moyens dans cette traque, ne veut pas la compromettre en communiquant à tort et à travers.
Gaétan. A qui profitent ces crimes? Pourquoi ont-ils été assassinés? Le sait-on?
T.H. Il est encore trop tôt pour le dire, surtout en l’absence de la moindre revendication. Plusieurs hypothèses circulent. Bien entendu, on ne peut pas ne pas faire le lien avec la libération des quatre otages d’Arlit. Ceux qui les détenaient ont-ils voulu reprendre aussitôt de nouveaux otages? Ou certains acteurs locaux, considérant avoir été bernés par Paris, ont-ils voulu lui adresser un message sanglant?
Certains observateurs locaux évoquent aussi la volonté de venger la mort d’Abou Zeid, mais dans ce cas, pourquoi les avoir exécutés à une dizaine de kilomètres du lieu de l’enlèvement? Les policiers français viennent d’arriver au Mali, nous n’avons pas d’autre choix que d’attendre les résultats de l’enquête.
Valérie. Comment des élections législatives pourraient-elles se dérouler dans une telle situation d’insécurité? Seront-elles maintenues?
T.H. Oui, elles seront maintenues. Tout le monde, hormis les djihadistes, a intérêt à ce que la normalisation politique se poursuive au Mali. La sécurité sera renforcée dans certains points clé, on pense aux grandes villes du Nord, c’est déjà le cas à Kidal.
Kayamagan. Les Touaregs représentent à peine 3% de la population malienne, pensez-vous que les revendications séparatistes de ces derniers soient légitimes?
T. H. Ce pourcentage n’engage que vous. Mais, ce qui est sûr, c’est que les Touaregs sont très minoritaires. Il n’y a pas de raison qu’ils imposent leur volonté aux autres groupes vivant dans le Nord du Mali. En revanche, on ne peut contester qu’il existe bien un problème touarègue. A tort ou à raison, ces derniers se sentent marginalisés, voire rejetés, par le gouvernement de Bamako.
Ce contentieux existe depuis l’indépendance du Mali. Pour le régler, il n’y a pas que la solution de l’autonomie, il faut en imaginer d’autres, combinant décentralisation et développement, en évitant la corruption, si présente par le passé.
Jérôme. Le budget des armées prévoie la suppression de plusieurs dizaines de milliers de postes. La France a-t-elle encore les moyens de telles actions sans mettre en danger la vie de ses soldats ?
T.H. Ces suppressions sont censées être compatibles avec un niveau d’engagement opérationnel important. Le Mali est un cas particulier, le vrai défi pour l’armée française n’était pas tant de défaire un ennemi, certes aguerri mais faiblement équipé, que de faire face à des contraintes logistiques inédites. Le pays est immense, les conditions climatiques extrêmes. Finalement, je ne crois pas que le problème se pose en termes numériques, mais plutôt sur le plan matériel. On le dit peu, mais les équipements ont terriblement souffert sur le terrain, notamment les véhicules de l’armée de terre qui, pour certains, ont été mis en service dans les années soixante-dix.
Will. L’enlisement est-il à craindre?
T. H. On peut en tout cas légitimement se poser la question. Tout va dépendre de la réussite du processus politique. Paris a de toutes façons prévu de maintenir une force pour des actions antiterroristes. Mais en l’absence de réconciliation entre Touaregs et Bamako, la France aura du mal à réduire aussi vite ses effectifs au Mali. Elle compte beaucoup sur le nouveau président, Ibrahim Boubacar Keïta. A cet égard, les législatives de la fin du mois marqueront une étape cruciale.