«Une dynamique encourageante s’est installée dans ce village situé à 200 kilomètres au sud-est de Gao.» La phrase, extraite d’un communiqué du ministère français des Armées, date de novembre 2018. Elle résonne aujourd’hui cruellement. Le village en question, Indelimane, a été le théâtre d’une nouvelle attaque jihadiste effroyable ce vendredi : 49 militaires ont été tués dans l’assaut d’une garnison des Forces armées maliennes (Fama), selon le dernier bilan du gouvernement. Le lendemain, l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) a revendiqué l’opération.
Motos
La bataille a commencé en plein jour, juste avant midi. Une nuée de motos a encerclé la base des soldats maliens, dans le vaste désert du nord-est malien, sur un terrain totalement plat. «Ils ont d’abord pilonné le camp, explique une source sécuritaire à Bamako. Puis ils ont ouvert la voie avec un véhicule piégé, avant de lancer l’assaut à proprement parler, en plusieurs endroits.» Les 80 Fama qui défendaient la garnison ont été rapidement submergés.
Ce week-end, les jihadistes ont publié deux vidéos tournées à l’intérieur du camp. Sur les images, ils s’y promènent librement, pillent l’équipement de l’armée, communiquent au moyen de talkies-walkies. «Les assaillants parlaient le peul avec un accent toleebe», indique un travailleur humanitaire. Quand les avions de chasse français ont survolé la zone, quelques dizaines de minutes plus tard, ils s’étaient déjà «dispersés». Les terroristes ont fui «en direction du Niger», a indiqué le porte-parole du gouvernement malien.
Des indices qui corroborent l’implication de l’EIGS, un groupe implanté dans la zone dite «des trois frontières» (Mali-Niger-Burkina Faso) depuis 2016. Son chef, Adnane Abou Walid al-Saharaoui, avait prêté allégeance au calife autoproclamé de l’Etat islamique, Abou Bakr al-Baghdadi. L’organisation syro-irakienne a publiquement reconnu l’EIGS comme une branche officielle, sans qu’aucune collaboration opérationnelle n’ait jamais été prouvée entre la maison mère et sa franchise.
Il y a un mois, un autre assaut d’envergure contre une position de l’armée malienne, dans la ville de Boulkessi, avait déjà coûté la vie a au moins 40 soldats. Le Groupe de soutien de l’islam et aux musulmans (le Jnim, selon son acronyme en arabe) avait revendiqué l’attaque, évoquant un bilan de «85 militaires tués». Six ans après l’intervention de l’armée française au Mali pour déloger les jihadistes qui s’étaient emparées des villes du nord du pays, l’activité des groupes islamistes armés ne faiblit pas.
Samedi, leurs mines artisanales ont semé la mort à deux reprises : à 20 kilomètres d’Indelimane, l’une d’entre elles a été déclenchée au passage d’un véhicule blindé français «engagé dans une escorte de convoi». Le brigadier Ronan Pointeau, 24 ans, a été tué dans l’explosion. Le même jour, «lors d’une patrouille de proximité, un véhicule Fama a sauté sur un engin explosif improvisé» près de Bandiagara, dans le centre du pays. «Le bilan est de deux morts, six blessés», a indiqué l’armée malienne.
Puits
La tragique déroute de la garnison d’Indelimane constitue un revers cinglant pour Bamako et ses partenaires internationaux. En mars 2018, les troupes françaises avaient elles-mêmes effectué les travaux de creusement et d’installation de cette «plateforme opérationnelle» censée permettre le retour de l’armée malienne dans une zone trop longtemps délaissée. «Barkhane» avait précisément concentré ses forces sur cette région de Ménaka, ces dernières années, pour éviter que l’EIGS ne s’enracine durablement. L’armée française a par ailleurs multiplié les opérations dites «civilo-militaires» de construction de puits, d’aide médicale à la population ou de donations de médicaments, suivant la stratégie du «nexus sécurité-développement» chère à Paris.
«La région de Ménaka est le laboratoire des Français, qui y ont investi beaucoup de temps et d’argent, résume Yvan Guichaoua, chercheur à l’université du Kent. Il y a de fait deux modèles de gestion de la présence jihadiste : celui de Ménaka, qui repose essentiellement sur la confrontation militaire, et celui de Kidal, mis en place par les ex-rebelles séparatistes, fait de coexistence raisonnée. En termes de violences, le modèle kidalois s’avère beaucoup plus calme que celui de Ménaka.» Depuis le quartier général de Barkhane, au Tchad, où elle entame une tournée sahélienne de plusieurs jours, la ministre française des Armées, Florence Parly, a prôné lundi la «patience» : «Barkhane ne s’enlise pas. Barkhane s’adapte en permanence.» Le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, a décrété un deuil national de trois jours à partir de ce lundi. Il ne s’est pas exprimé depuis l’annonce du drame d’Indelimane.