Dans une note confidentielle, des diplomates français déplorent un parti pris pro-israélien du chef de l’État. Un geste hautement inhabituel qui témoigne d’un réel malaise au ministère des Affaires étrangères.
L’existence d’une note confidentielle critiquant la politique d’Emmanuel Macron au Moyen-Orient et sa partialité à l’égard d’Israël a été révélée dans des cercles de diplomates qui en ont dévoilé la tonalité au quotidien Le Figaro. Son contenu exact n’a pas filtré. « C’est une note interne à caractère professionnel qui est inhabituelle dans sa forme puisqu’elle est collective, signée par une dizaine d’ambassadeurs du Moyen-Orient », a expliqué à l’AFP Denis Bauchard, ancien ambassadeur en Jordanie, qui s’est entretenu avec une des personnes ayant eu connaissance de ladite note.
Des dizaines – voire plus – de notes dites « diplomatiques » – autrefois appelées « télégrammes » – sont envoyées chaque jour par les ambassades et consulats au ministère des Affaires étrangères. Mais elles n’ont pas vocation à devenir publiques.
Démarche d’ambassadeurs
La fuite n’est « pas fortuite », souligne un diplomate à Paris qui requiert l’anonymat. Le Quai d’Orsay n’échappe pas au débat sur le conflit israélo-palestinien qui secoue la société française.
Cette note « apparaît comme une véritable démarche d’ambassadeurs qui font un constat identique », remarque Denis Bauchard, également ex-directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient au ministère. « C’est l’expression d’une inquiétude, celle de voir la France perdre de son influence y compris dans des pays avec lesquels les relations sont traditionnellement bonnes, que ce soit au Liban, en Jordanie ou en Égypte ».
« Le Quai d’Orsay ne commente pas la correspondance diplomatique de nature confidentielle », a réagi Anne-Claire Legendre, la porte-parole du ministère. « La diplomatie n’est pas affaire d’opinions individuelles exprimées dans la presse. Le devoir de réserve et l’obligation de loyauté s’appliquent aux diplomates comme à tous les fonctionnaires », a-t-elle ajouté en forme de rappel à l’ordre.
Pour l’ancien ambassadeur en Irak et en Tunisie, Yves Aubin de la Messuzière, cette note résulte de « prises de position successives du président sur le conflit israélo-palestinien qui suscitent l’incompréhension » chez certains ambassadeurs. « On a le sentiment d’initiatives ou de propositions irréfléchies ou totalement improvisées, comme celle qui consistait à élargir les missions de la coalition internationale de lutte contre l’État islamique au combat contre le [groupe islamiste palestinien] Hamas. » C’était « inutile et inopérant », poursuit-il, en référence au fait que de nombreux pays arabes n’auraient jamais adhéré à une telle initiative.
Perte d’influence
Il souligne aussi que les positions du président rendent « illisible » la politique étrangère de la France, compliquant la tâche des diplomates sur le terrain. Depuis le général de Gaulle jusqu’à Jacques Chirac, la question israélo-palestinienne était « un élément structurant de la politique étrangère de la France », rappelle-t-il, regrettant que la question ait perdu « de sa centralité ».
« La situation est très sérieuse car il en va de la perte d’influence dans la région », estime-t-il. « Le président français a perdu sa crédibilité dans le monde arabe et sa réputation, en particulier après ses déclarations lors de sa visite en Israël, où il a apporté son soutien inconditionnel », assénait ainsi au début du mois de novembre à l’AFP un conseiller du Premier ministre irakien, Mohamed Chia al-Soudani, sous couvert d’anonymat.
Denis Bauchard note que la France a perdu l’image « d’un pays qui avait une position originale au Moyen-Orient », équilibrée entre Israéliens et Palestiniens. « On considère de plus en plus dans les pays arabes que la France est alignée sur les États-Unis et apporte un soutien quasi-inconditionnel à Israël », dit-il.
Denis Bauchard et Yves Aubin de la Messuzière expliquent que les diplomates sont, en outre, « préoccupés par la méthode », avec une cellule diplomatique à l’Élysée qui leur semble avoir pris « trop d’ampleur » et qui ne tiendrait pas suffisamment compte des experts du Quai d’Orsay. « Le président n’est, bien évidemment, pas tenu de suivre les conseils que lui donnent les diplomates, qu’ils soient à l’Élysée ou au Quai d’Orsay, mais le sentiment est trop souvent, à tort ou à raison, celui de l’improvisation intuitive », résume Denis Bauchard.
Des critiques rejetées par la porte-parole du Quai qui souligne que « chaque situation internationale fait l’objet de contributions nombreuses de nos postes diplomatiques ».
jeuneafrique (Avec AFP)