Le président Emmanuel Macron ne fait décidément rien comme les autres. Jusqu’à présent, la tradition voulait que le chef de l’État français fraîchement élu se rende en Algérie pour son premier déplacement au Maghreb. Ce fut le cas pour ses prédécesseurs Jacques Chirac, en décembre 2002, Nicolas Sarkozy, en juillet 2007, et François Hollande, en décembre 2012. Et c’était perçu comme un « geste d’amitié. »
A chaque pays, son moment
Avec le nouveau locataire de l’Élysée qui se sait très attendu sur le terrain maghrébin, une page se tourne avec son “premier voyage” qui choisit une autre destination : le Maroc. Cela dit, tel un équilibriste, Emmanuel Macron avait déminé le terrain et ce, avant même de se porter candidat à la présidentielle française. Il s’était alors rendu en Tunisie les 6 et 7 novembre 2016. Durant sa campagne, il s’était rendu à Alger. Et de s’expliquer dans un entretien au journal Jeune Afriqueavant la présidentielle : “Je me suis déjà rendu en Algérie et en Tunisie, et si je n’ai pas encore pu aller au Maroc, je m’y rendrai très rapidement après mon élection, si les Français m’accordent leur confiance”. Abordant la question des deux pays voisins que sont le Maroc et l’Algérie, il a déclaré “ne pas avoir à commenter la nature des relations entre ces deux pays souverains”. “Je crois profondément à l’intérêt des pays du Maghreb à coopérer davantage, à intensifier leurs relations économiques, qui restent faibles, de la même manière qu’ils développent leurs relations avec le reste du continent africain », avait-il ainsi affirmé.
Ce qu’en dit la presse
Voilà donc les deux voisins du Maghreb prévenus. Le quotidien algérien El Watananalyse qu’”en l’état actuel des choses, une visite officielle à Alger serait risquée en raison de l’état de santé du président Abdelaziz Bouteflika”. Rappelant dans ses lignes “l’épisode de la visite officielle manquée d’Angela Merkel, le 20 février 2017”. Un argument repris par plusieurs médias algériens.
Parallèlement, il y a la visite vue du Maroc quant à son impact sur l’Algérie. Ainsi, pour le journal Assabah “cette visite aurait fâché le régime algérien”. Explication : la portée et le timing politiques de cette visite “ont torpillé les plans” d’Alger qui consisteraient à “rogner les ailes” des alliés du Maroc. Et de voir le nouveau chef de l’État français comme un “ami” et un “allié” avec de “nouveaux messages politiques” et des “programmes économiques tout à fait différents” de la période précédente. De quoi raffermir cette réalité que les relations entre la France et le Maroc ne sont pas à la merci d’événements internationaux ou de divergence de vues sur telle ou telle question.
Un exercice d’équilibre entre Alger et Rabat
Il y a cependant présente la nécessité de ménager les susceptibilités de part et d’autre. Ainsi, pour ménager le voisin algérien, Emmanuel Macron s’est entretenu par téléphone il y a quelques jours avec le président algérien Abdelaziz Bouteflika. Et il s’est voulu rassurant sur le fait qu’il se rendra également “officiellement en Algérie dans les toutes prochaines semaines”, a tenu à préciser la présidence de la République. Lors de son échange téléphonique avec Bouteflika, il aurait souligné “son attachement et sa volonté de construire un rapport d’amitié et de confiance avec l’Algérie, partenaire stratégique pour la France”, a précisé la même source.
Une preuve de cette bonne volonté de Paris de vouloir maintenir une symétrie dans les relations entre les deux États : Jean-Yves Le Drian, le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, a choisi d’être à Alger pour une visite de travail exactement au moment où le président Macron est à Rabat. “Le président Macron souhaite voir les relations historiques et d’amitié repartir avec beaucoup de détermination. Je suis venu ici pour préparer un déplacement du chef de l’État”, a-t-il d’ailleurs précisé. Sur la table des échanges, plusieurs dossiers : la Libye et bien sûr la situation de la lutte contre le terrorisme dans la zone sahélo-saharienne.
Creuser le sillon d’un partenariat déjà fort
Cela dit, il faut inscrire cette dynamique dans un intérêt particulier à l’Afrique du président Macron. Un autre signal a en effet été envoyé par Emmanuel Macron quand il s’est entretenu au téléphone dès le 9 mai, au lendemain de son élection, avec le président sénégalais, Macky Sall, et le roi du Maroc Mohammed VI. Le voilà qui a reçu le week-end dernier le président Ouattara de Côte d’Ivoire, le président Macky Sall lundi dernier, et, aujourd’hui mercredi 14 juin, il est à Rabat avec le souverain chérifien dans le cadre d’une visite au fort accent “familial”. L’objectif : “établir une relation forte, de confiance, personnelle” avec le roi Mohammed VI qui reconnaît au président Emmanuel Macron “de hautes qualités humaines et intellectuelles”.
Conjuguer les stratégies d’approche de l’Afrique
Accompagné uniquement de son épouse, Brigitte, et de ses proches collaborateurs, en l’absence de membres du gouvernement ou du patronat français, Emmanuel Macron a été, il est vrai, invité “personnellement” par le roi Mohammed VI. Cela n’empêche qu’il y aura, selon l’Elysée, “un dialogue particulier sur les sujets africains” et aussi sur la grande offensive diplomatique du Maroc en Afrique”. Solide partenaire économique de la France, le Maroc s’est positionné ces dernières années comme la porte d’entrée de l’Afrique pour l’Union européenne et la France. Convaincue qu’un partenaire vaut mieux qu’un concurrent, la France, gouvernement et patronat à l’unisson, encourage les partenariats avec les entreprises marocaines pour conquérir l’Afrique. De quoi, en plein mois de Ramadan, un bon appétit de conquête de marchés africains où la concurrence de la Chine et de nombreux pays émergents remet en question les positions naguère acquises.