Alors qu’il peine à faire appliquer la plupart des mesures prises dans le cadre  de la lutte contre la propagation du Covid-19 au Mali et que les cas de contamination continuent de grimper à travers le pays, le gouvernement a opté, à l’issue du Conseil extraordinaire de défense nationale du 8 mai dernier, pour la levée du couvre-feu et l’instauration du port obligatoire du masque dans les lieux publics. De nouvelles mesures dictées par un concours de circonstances qui a abouti à un climat socio-politique délétère, mais qui viennent mettre à mal la cohérence dans la gestion de cette crise sanitaire, où l’État semble de plus en plus tâtonnant.

Il était attendu pour durcir les actions de prévention contre le coronavirus, près d’un mois et demi après l’apparition des premiers cas dans le pays. Mais le gouvernement a vu sa volonté d’aller vers des mesures plus restrictives se heurter à un enchainement de manifestations à travers le Mali, allant des contestations des résultats des élections législatives au rejet catégorique du couvre-feu et à l’expression d’autres mécontentements sociaux.

Dos au mur, l’État a pris du recul et décidé de la levée du couvre-feu, qui était en vigueur depuis le 26 mars 2020, alors que la propagation de la maladie est en nette augmentation.

Une levée hâtive ?

« Le mal sévit parmi nous », reconnaissait le Premier ministre Boubou Cissé dans son allocution du 9 mai, s’appuyant sur le rapport du Conseil scientifique qui constatait qu’à des degrés divers le virus se trouvait pratiquement dans toutes les régions administratives. Conseil scientifique qui avait auparavant demandé d’isoler Bamako et Kayes, épicentres du virus, avis devant lequel le gouvernement s’est montré balbutiant. « L’agenda technique et scientifique s’est heurté à l’agenda politique. Et le politique a pris le dessus. Les travers ont commencé au moment où le gouvernement  s’est entêté à organiser les élections législatives nonobstant la menace de la maladie dans le pays », pointe le sociologue Mahamadou Diouara.

Pour lui, cela veut dire que c’est l’État qui a commencé à ôter aux mesures préventives tout leur crédit, à travers un comportement contradictoire qui s’est ajouté aux abus dénoncés des forces de l’ordre durant le couvre-feu, qui ont cristallisé la population dans une posture de défiance, Il était donc obligé de reculer et de lever le couvre-feu, en contradiction avec le principe et la logique mêmes qui avaient commandé son instauration.

« La décision de lever le couvre-feu a été hâtive, mais elle se comprend. Il y a eu la connexion de plusieurs éléments, qui ont convergé de telle sorte que si l’État n’avait pas desserré l’étau cela aurait pu aboutir à une sorte de désobéissance civile généralisée, qui pouvait se terminer mal pour le pouvoir », souligne également Bouréma Touré, socio-anthropologue à l’Université des Lettres et sciences humaines de Bamako.

Propagation accrue ?

Le confinement général de la population malienne n’étant pas adapté au contexte socio-économique du pays, beaucoup pensent que l’instauration du couvre-feu participait considérablement à la limitation de la propagation de la maladie, les heures passées dehors étant réduites au moins pendant la nuit. Avec ce verrou qui saute, la vitesse de propagation de la maladie pourrait augmenter à bien des égards. Des bars ont par exemple rouvert dans la foulée, alors que leur fermeture court toujours.

« Pendant la journée, les gens sont soumis à une certaine pudeur et à une certaine retenue dans les contacts physiques. Mais avec la promiscuité dans certains lieux la nuit, le taux de contamination pourrait augmenter à une vitesse exponentielle », craint Mahamadou Diouara du cabinet Gaaya.

« C’est vrai qu’avec l’augmentation du temps passé dehors avec d’autres, le risque de contamination pourrait augmenter. Toutefois, les mesures préventives doivent être respectées normalement, de jour comme de nuit. Il en va de la responsabilité personnelle de chacun », relativise Dr. Abdoulaye Niang, analyste et Président de l’association « Joko Ni Maya ».

Une fin de Ramadan à risques

La levée du couvre-feu coïncide avec l’entame des dix derniers jours du Ramadan pour la communauté musulmane. Des jours marqués par l’intensification des prières surérogatoires dans les mosquées, de très tard la nuit jusqu’au petit matin.

Pour Mahamadou Diouara, il serait judicieux que les mosquées soient fermées pendant cette période, parce qu’il y a de fortes chances que ces jours se passent avec une intermittence de pluies, ce qui pourrait augmenter le taux d’humidité qui favoriserait la propagation du virus.

Par ailleurs, à en croire Thierno Hady Cheick Omar Thiam, Président du Conseil fédéral national des adeptes de la Tarîqa Tidjaniya (Confenat) et 2ème Vice-président du Haut conseil islamique du Mali (HCIM), le « nafila » n’est pas obligatoire, que ce soit avant, pendant ou après le Ramadan.

« Il est interdit en Islam que quelqu’un prie avec d’autres lors du « nafila ». Durant les dix derniers jours du Ramadan, cette prière était obligatoire uniquement pour le Prophète (PSL), pour qu’il veille pour Dieu. Elle n’est pas obligatoire pour les musulmans », explique le religieux.

« Il faut aujourd’hui donc sensibiliser pour que la majorité comprenne que tous les « nafilas » ne sont pas obligatoires et que prier ensemble durant cette période de coronavirus, dans les rues et dans les mosquées, ne fait que propager la maladie », préconise-t-il.

Selon le Président du Confenat, il appartient aujourd’hui à chaque Malien de savoir où se trouve son intérêt, parce que « la religion est là pour le bien-être de l’homme. À chacun de prendre ses responsabilités ».

Changer de cap

L’une des mesures également prise à l’issue du Conseil de défense nationale du 8 mai est le port obligatoire du masque dans les espaces publics, qui vient s’ajouter à la liste déjà longue des décisions prises sur le papier mais dont l’application peine à être effective.

Dans le domaine des transports, en l’occurrence, le laisser-aller est tout simplement criard. Quant aux cérémonies de mariages et de baptêmes, elles continuent à rassembler du monde au-delà de la cinquantaine de personnes autorisée.

« La décision rendant le port du masque obligatoire dans les espaces publics ne pourra pas être strictement appliquée. Même si l’État se mettait à distribuer des masques dans chaque carré, les gens les prendraient mais ne les utiliseraient pas », affirme Dr. Niang, pour lequel le programme « un Malien, un masque » relève plus d’une déclaration politique que de la statistique.

Cette attitude de certaines personnes résulte du fait que jusqu’à présent elles ne croient pas à l’existence du coronavirus au Mali, ce qui, selon le socio-anthropologue Bouréma Touré, est à imputer en partie à la défaillance de l’État en matière de sensibilisation.

« Il faut d’abord s’employer à rendre les gens conscients du problème. Ce n’est qu’après avoir gagné ce pari que les uns et les autres s’approprieront les mesures de prévention », suggère-t-il.

Pour reprendre la main dans la gestion de cette crise sanitaire au Mali, le gouvernement aurait grand intérêt à apporter d’importants changements stratégiques qui conduiraient l’ensemble des populations à se soumettre aux mesures prises, selon certains analystes.

« Je pense qu’il serait plus bénéfique de laisser le ministère de la Santé avoir le leadership dans toute la communication relative à cette pandémie. Les populations seront plus enclines à écouter ses messages que ceux des acteurs éminemment politiques », propose Mahamadou Diouara.

« Il faut absolument changer la façon de gérer cette crise, parce que telles que les choses se présentent aujourd’hui, l’attitude de l’État est plus que décevante », déplore aussi Dr. Touré, qui est convaincu que ce changement n’est malheureusement pas près d’arriver.