DOSSIER- Le bilan de la guerre en Ukraine s’alourdit de jour en jour depuis l’invasion russe le 24 février dernier, alors que les négociations doivent reprendre entre Kiev et Moscou en Biélorussie. Retour sur l’histoire étroitement liée de ces deux pays pour comprendre la montée des tensions qui s’opèrent depuis l’élection de Viktor Ianoukovitch en 2004, censées prendre fin après la signature des accords de Minsk II en 2015, avec notre partenaire Historia.
Alors que Kiev, dénonçant une tentative de “manipulation” de la part du gouvernement russe, vient de refuser les couloirs humanitaires vers la Russie et le Bélarus, proposés par Moscou ce lundi 7 mars 2021, pour permettre l’évacuation de civils de plusieurs villes d’Ukraine, l’offensive militaire lancée Vladimir Poutine contre l’Ukraine le 24 février a transformé ce pays aux portes de l’Union européenne en terrain de guerre meurtrier. Dernier bilan en date: 364 morts, dont plus de 20 enfants et des centaines de blessés et près de 200.000 personnes encore prises au piège lundi dans la ville de Marioupol, assiégée par les forces russes.
Mais ce conflit, dont les origines remontent à l’élection contestée du candidat Viktor Ianoukovitch puis la victoire du libéral Viktor Iouchtchenko, tourné vers l’Occident, en 2004, ne peut se comprendre sans connaître l’histoire étroitement liée de ces deux civilisations, depuis la Russie kiévienne du IXe siècle, jusqu’à la révolution de Maïdan et la guerre du Donbass en 2014 puis la reconnaissance de l’indépendance des régions séparatistes de l’est de l’Ukraine par Vladimir Poutine le 21 février dernier, Lougansk et Donetsk, sans faire l’impasse sur l’Empire russe du 18e siècle puis l’intégration de l’Ukraine à l’Union soviétique de Staline en 1922. Voici une sélection d’articles publiés dans les colonnes de notre partenaire Historia qui reviennent sur des événements, des personnages et instituions emblématiques de ces nations.
L’Ukraine, mère de tous les conflits!
La destitution du président Ianoukovitch a entraîné, en mars 2014, l’occupation par les troupes russes de la Crimée, république autonome au sein de l’Ukraine. Une action qui rappelle l’importance stratégique de cette région (à majorité russophone) pour la Russie. Et, comme à chaque fois que les relations se tendent entre les deux pays, resurgit la question du statut de cette péninsule.
Cet épisode met aussi en lumière la situation paradoxale de l’Ukraine: tour à tour périphérie de l’Europe occidentale ou glacis de la Russie, ce vaste territoire (603.000 km2) a toujours été tiraillé entre de puissants voisins (Pologne, grand-duché de Lituanie, Russie…).
L’Ukraine sacrifiée
Après avoir appartenu en quasi-totalité à l’Empire russe au 18e siècle, l’Ukraine connaît à partir de 1917 une première brève période d’indépendance après que la Première Guerre mondiale et la Révolution russe ont détruit les Empires russe et autrichien… avant que la partie ex-russe de l’Ukraine, avec Kiev pour capitale, ne soit intégrée à l’URSS créée en 1922, qui s’étendra ensuite vers l’Ouest jusqu’à englober l’entièreté des frontières actuelle de l’URSS.
Bien qu’il n’avait personnellement rien à reprocher aux Ukrainiens, la collectivisation forcée des terres voulue par Staline provoque de 1932 à 1933 une triste famine, l’Holodomor, qui a tué entre trois et cinq millions d’Ukrainiens.
1942-1943: La première bataille de Kharkov
Alors que s’annonçait mollement la commémoration de la bataille de Stalingrad (23 août 1942– 2 février 1943) -qui a opposé les forces de l’URSS à celles du Troisième Reich et de ses alliés pour le contrôle de la ville de Stalingrad- , l’offensive russe en Ukraine réveille des souvenirs pénibles.
Au cours cette Grande Guerre patriotique (1941-1945), Kharkov, capitale et “clé de l’Ukraine orientale” (dixit Manstein, ancien militaire allemand) change cinq fois de mains. La reprise de la ville en mars 1943 est la moins méconnue de ces batailles successives: elle a, quelques semaines, brisé l’élan soviétique né de la prise de Stalingrad et sauvé une partie de l’armée allemande alors en retraite.
Quand Gide voit rouge
En 1936, l’écrivain français André Gide est convié à visiter l’URSS et passe deux mois deux mois dans la patrie du socialisme, du 17 juin au 22 août 1936, à l’invitation du régime. Anti-conformiste (il l’a prouvé en dénonçant le colonialisme prédateur ou paternaliste dans son Voyage au Congo (1926) il ne mâche pas ses mots pour décrire le régime de Staline, dont la constitution qui porte son nom, la “Constitution Staline”, et qui redéfinit le gouvernement de l’Union soviétique et remplace la constitution soviétique de 1923 est adopté cette même année.
Bien vite, ses yeux se dessillent devant la réalité qui s’offre à lui: la misère ambiante, la chape de plomb, le front unique de la pensée…”La moindre protestation, la moindre critique est passible des pires peines, et du reste aussitôt étouffée. Et je doute qu’en aucun autre pays aujourd’hui, fût-ce dans l’Allemagne de Hitler, l’esprit soit moins libre, plus courbé, plus craintif (terrorisé), plus vassalisé “, écrit-il.
Poutine ou la tentation impériale
Depuis la dislocation de l’URSS en 1991, premier pas vers la seconde indépendance complète de l’Ukraine, la Russie a connu un premier président, Boris Eltsine qui crée les institutions actuelles de l’État russe et qui donne une inflexion libérale au régime en privatisant les biens nationaux et les terres, puis Vladimir Poutine, ancien officier du KGB qui, dès 2000, se donne pour objectif de rétablir le fonctionnement de l’État et de l’économie par le biais d’un régime présidentiel fort, avant de revenir au pouvoir en 2012.
Pur produit de la fin du stalinisme, Poutine voit le jour à Leningrad le 7 octobre 1952 au sein d’une famille ouvrière dont il est le dernier fils – ses deux frères, Viktor et Oleg, nés dans les années 1930, étant décédés en bas âge. Sa mère et son père ont alors 41 ans. Vladimir est donc l’enfant tardif de parents rescapés du siège de Leningrad- qui fut soumise au blocus des troupes allemandes durant près de neuf cents jours, de 1941 à 1944, tragédie qui se solda par 1,8 million de morts. Sa volonté s’est nourrie de ses observations des gens au pouvoir dans le quartier de son enfance. La pègre y faisait la loi, avec des chefs si puissants qu’on les a surnommés les “voleurs-en-loi”!
Poutine, le somnambule de l’Histoire
Pour Guillaume Malaurie, directeur éditorial d’Historia, Poutine serait l’un des résistants clandestins communistes d’Underground (1995) cachés dans la cave du grand-père de Marko pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que les premières bombes allemandes tombent sur Belgrade en 1941 et que les nazis commencent les rafles. En 1944, Marko leur fait croire que la lutte finale entre communistes et fascistes continue et les enferme pendant plus de 20 ans pour leur faire fabriquer des armes qu’il revend à prix d’or. Eh bien Poutine, c’est l’un de ces personnages. Et la cave c’est son espace mental. La mémoire figée de cet ancien colonel du KGB né en 1952 et qui ne s’est jamais remis de la dislocation de l’URSS et de son Empire.
Quand il cherche à qualifier l’ennemi ukrainien qui veut assurer son indépendance et la démocratie, il use des mots d’hier. Ceux de 1942, 1943, 1944, 1945, pour désigner l’ennemi absolu allemand… Poutine enfant, ado, jeune adulte n’avait, c’est vrai, connu que ce paysage binaire du bien et du mal. Du point de vue de Poutine, tout a commencé à se détraquer avec les fatals accords d’Helsinki en 1973 qui consacraient l’inviolabilité des frontières en Europe. Il avait 21 ans.
Source : Challenges.fr