Demain s’ouvre à Erevan en Arménie, le Sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), où les chefs d’Etat et de gouvernement éliront le prochain patron de la Francophonie. Deux candidates marqueront la compétition pour le secrétariat général de la francophonie. D’un côté, l’actuelle secrétaire générale de l’OIF, la Canadienne Michaëlle Jean, qui est candidate à sa propre succession et, de l’autre, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwado. D’autres candidatures pointent à l’horizon. C’est peu de dire que le choix de la future Secrétaire générale divise et crée un grand malaise au sein de l’Organisation, la France et le Canada ayant des candidates différentes. Paris a jeté son dévolu sur la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, tandis que la Secrétaire générale sortante Michaëlle Jean, candidate à sa propre succession, a le soutien de son pays, le Canada où elle a été Gouverneure générale et Commandante en chef, avant d’être élue en novembre 2014 à Dakar à la tête de l’Organisation Internationale de la Francophonie. Le soutien de Paris à la ministre Rwandaise, apparait comme un paradoxe, le Rwanda étant un pays anglophone qui a supprimé l’enseignement du français. Cependant les deux présidents français et rwandais, Macron et Kagamé, décident de rétablir un dialogue et une nouvelle relation ; et il est à craindre que le secrétariat général de la Francophonie ne soit sacrifié sur l’autel de ces retrouvailles. Encouragé par Emmanuel Macron, Louise Mushikiwabo, va croiser le fer avec Michaëlle Jean. Michaëlle Jean qui met dans la balance sa descendance africaine était à Bamako le mois dernier, à l’occasion de l’investiture du président IBK, le 22 septembre. Elle compte sur ses soutiens d’Afrique, du Canada, du Québec et d’Haïti, pour se faire réélire à la tête de l’Organisation, en Octobre prochain, lors du Sommet de Erevan en Arménie.
« Le choix s’est porté sur moi lors du Sommet de Dakar, alors que nous étions cinq candidats. Ce que les chefs d’Etat apprécient, c’est que je suis à la fois du Sud et du Nord. Je suis d’Haïti et l’Afrique y est très sensible pour l’esprit de résistance, le combat remporté si vaillamment contre l’esclavage, l’avilissement des Noirs et le colonialisme », a déclaré Michaëlle Jean, dans une interview publiée par lafriqueaujourd’hui.net du 27 Septembre 2018. Elle est la candidate qui connait tous les défis à relever pour les pays en développement qui veulent sortir de l’assistanat. En plus, elle a connu l’exil forcé, la migration. « Je suis également du Nord, ma famille comme des milliers d’autres a trouvé refuge au Canada : pays des droits, des libertés, de citoyenneté et de toutes les possibilités, qui assume et valorise la diversité, ouvert au monde et grand partenaire de coopération », a-t-elle confié à notre confrère.
Francophonie, une approche systémique
Prenant en compte défis sécuritaires, défis de développement, défis climatiques, défis énergétiques et technologiques, migrations, érosion des principes et des valeurs, crispations, replis identitaires, et « surtout cette mise en cause du multilatéralisme alors que tout exige que nous soyons plus rassemblés que jamais », la Francophonie telle qu’engrangée par Michaëlle Jean tente de décloisonner et de casser les barrières entre les différentes parties nécessaires à la cohérence d’un tout.
Pour ceux qui ne comprennent pas que parlant de Francophonie, tout cela s’impose et doit être pris en compte, elle est sans équivoque : «J’ai trouvé important de positionner l’Organisation internationale de la Francophonie, avec son apport légitime à l’échiquier multilatéral, sa force d’action et de proposition face à tous ces enjeux, toutes les exigences de notre temps. J’ai fait en sorte que la Francophonie soit, aux côtés de l’ONU, désormais entendue jusqu’au Conseil de sécurité » (interview lafriqueaujourd’hui.net, 27 Sept 2018).
Des chantiers considérables et porteurs sont engagés, l’avancement de la démocratie, l’Etat de droit, la défense des droits et libertés, la prévention des crises et la sécurité humaine. La mission de l’OIF dédiée au renforcement des capacités et des compétences est cruciale en matière de recherche, d’éducation, de formation professionnelle, technique et technologique, indique Michaëlle Jean. « Notre mission sur le front important de la Culture comme une composante de développement, pour le dialogue entre les peuples et la promotion de la diversité culturelle. Notre mission de soutien au développement et à la croissance économique qui inclue aussi le numérique. Tout ce qui concerne l’atteinte des objectifs du développement durable nous engage », selon Michaëlle Jean, qui trouve des raisons de rempiler pour un second mandat, en vue de « la consolidation de nos forces et de nos actions, mais aussi de prospective et de réflexion autour d’un Agenda pour la Francophonie avec une vision pour les dix prochaines années », indique-t- elle.
Pour celle qui est déterminée à « se battre jusqu’au bout pour la Francophonie », ce qui inquiète grandement, « c’est une certaine volonté affichée de restreindre la Francophonie à la seule promotion du français ». Cette vision réductrice met en péril tout ce qui définit et fonde la Francophonie ; « Je ne veux pas d’une Francophonie rabougrie, démembrée et sans colonne vertébrale », proteste Michaëlle Jean. Elle soutient sans ambages que la Francophonie est une « organisation où la démocratie, l’Etat de droit, les libertés occupent une dimension cardinale et essentielle ».
Pour bien des commentateurs, c’est peu de dire que la guerre est déclarée pour prendre la tête de la Francophonie. « La France et le Canada, les deux puissances dominantes de l’organisation francophone, ont chacune choisi leur championne et s’apprêtent à aller jusqu’au clash pour faire gagner leur candidate », selon un article de RFI du 25 septembre 2018.
Lors de son récent sommet à Nouakchott, l’Union africaine – dirigée par le Rwanda cette année – a appelé solennellement les 29 pays du continent qui font aussi partie de l’organisation francophone à voter pour la candidate africaine. La candidate du Rwanda pour diriger la Francophonie compte sur le soutien de ses pairs africains pour emporter la mise. Le président du Rwanda Paul Kagame a écrit aux chefs d’Etat concernés pour les appeler à soutenir la candidature de sa ministre.
Considérant qu’elle n’a ni adversaire ni rivale, Michaëlle Jean n’a pas sa langue dans sa poche, face au fait du Président Macron d’imposer sa candidate à tous les pays africains sous le prétexte de l’africanité qu’il nie à l’autre. Selon Michaëlle jean, « c’est nier dans cette comparaison cette africanité globale dont Haïti et nous tous, Afro-descendants, sommes aussi la résultante, les héritiers, issus d’une histoire douloureuse qui a duré des siècles, je parle de la traite, de la colonisation que l’on ne peut ni éviter ou nier, c’est du réel. Nous Afro-descendants, nous ne sommes pas tombés des arbres, nous ne sommes pas un accident de l’histoire, ni une valeur négligeable. Nous avons aussi accompagné les indépendances africaines. Quand en 2014, des pays européens disaient qu’il y a une règle non-écrite qui voudrait que ce soit un Africain qui soit à la tête de la Francophonie, les Africains ont trouvé déplacé cette façon de prétendre ou suggérer que ma candidature était illégitime et combien me le manifestent sans ambages : « Vous êtes Africaine ».
La Canadienne Michaëlle Jean, qui bénéficie des soutiens du Canada, du Québec et de Haïti, son pays d’origine est persuadé que la décision se prendra, comme il se doit, au Sommet d’Erevan par les chefs d’État et de gouvernement de la Francophonie, car la réalité est qu’il n’y a eu à Nouakchott ni discussion ni débat à ce sujet. Le sujet a bien été amené en séance, mais aucune décision contraignante n’a été prise.
Daou
Source: Le Républicain