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Loi portant prévention et répression de l’enrichissement illicite : Une chance et un tournant décisif pour le Mali ?

La spécificité de l’Office Central de Lutte contre l’enrichissement illicite réside dans le fait qu’il peut saisir les biens illicitement obtenus, même après avoir été blanchis….. Contrairement aux rumeurs, le mode de saisine du Procureur par dénonciation n’est pas une trouvaille juridique d’un quelconque illuminé et ne constitue que, dans une moindre mesure, une innovation puisque le Code de procédure pénale prévoie déjà la dénonciation. D’ailleurs, le code de procédure pénale faisait déjà obligation à tout citoyen qui a connaissance de faits délictuels de les dénoncer au Procureur de la République. Tenter d’assimiler cette obligation citoyenne à de la délation prétendument contraire à « nos coutumes » est un faux-fuyant puisque les vraies valeurs n’ont jamais fait l’apologie du vol.

Office central lutte contre enrichissement illicite logo

Voilà quelques grandes lignes d’une importante contribution faite par Me Alifa Habib Koné, Avocat inscrit au Barreau du Mali, président de l’Association des Jeunes Avocats du Mali (AJAM).

Si tous les régimes du Mali indépendant ont pris des initiatives de croisade contre la corruption, c’est le régime du Général Moussa Traoré qui dotera notre pays des dispositions les plus rigoureuses contre la corruption et l’enrichissement illicite.

Cela s’explique en partie par le fait que le régime justifiait le coup d’Etat du 19 novembre 1968 par sa volonté de « redressement national ».

Ainsi, une série d’ordonnances suivies de lois sera prise de 1972 à 1987 :

  • Ordonnances n°6 CMLN du 13 février 1974 et n°13 CMLN du 22 avril 1974 portant répression des atteintes au bien public ;
  • Loi n°82-39 AN-RM portant répression du crime d’enrichissement illicite ;
  • Loi n°82-40 AN-RM du 20 février 1982 portant répression de la corruption ;
  • Loi n°87-2 AN-RM du 20 février 1987 portant création de la Commission spéciale d’enquête sur les crimes de corruption et d’enrichissement illicite.

Il faut rappeler que l’élément déclencheur a été la septième session de la Cour d’assises, le 28 septembre 1971 qui révélait un accroissement sensible des affaires d’atteinte aux biens publics (plus du tiers des affaires inscrites au rôle, soit exactement 26 dossiers contre 16 en 1970) et un faible recouvrement des sommes détournées (34.114.701 francs maliens récupérés en espèce sur un montant de 237.401.511 francs maliens détournés).

Ce processus a été stoppé sous la IIIème République par l’Ordonnance n°91-068/P-CTSP du 1er octobre 1991 portant abrogation des lois portant création de la Cour spéciale de sûreté de l’Etat et de la Commission spéciale d’enquête sur les crimes d’enrichissement illicite et de corruption.

Cependant, le régime de Alpha Oumar Konaré se réveillera avec le rapport des experts de la Banque Mondiale sollicités en 1995, sur l’état de la corruption au Mali et les « manques à gagner » pour le budget national pour constater que le « Kokadjè » qu’il avait promis avait plutôt donné lieu au plus grand festin de détournements et d’enrichissements illicites que certains ont même osé nommer « le festival des brigands », sous ses 5 premières années de gouvernance. Ce festival des brigands a été concrétisé par les quartiers ACI qui continuent à traduire le mieux les propriétés immobilières issues du blanchiment de fonds publics.

Aussi, ce régime se verra-t-il dans l’obligation de prendre le phénomène à bras-le-corps par des textes qui donneront les résultats mitigés que nous connaissons :

  • Décret n°99-0324/P-RM du 08 octobre 1999 portant création d’une commission ad hoc chargée de l’étude des rapports de contrôle de l’administration ;
  • Décret n°590/P-RM du 28 novembre 2001 portant création de la Cellule d’Appui aux Structures de Contrôle de l’Administration (CASCA) ;
  • Décret n°02-310/P-RM du 04 juin 2002 fixant l’organisation et les modalités de fonctionnement du Pole économique et financier créé par la loi n°01-080 du 20 août 2001 portant Code de Procédure Pénale.
  • Ordonnance n°0057/P-RM du 28 septembre 2000 portant création de l’Inspection des Services Judiciaires, ratifiée par la loi du 30 novembre 2001.

A l’arrivée du Président Amadou Toumani Touré, le conseil des ministres du 18 septembre 2002 examinait un rapport relatif au renforcement du programme anti-corruption au Mali, dressé par un comité ad hoc de 30 membres représentant l’administration, le secteur privé et la société civile et réuni du 08 au 13 août 2002, dans la poursuite de la volonté de lutte contre la corruption et la délinquance financière.

Une des principales innovations du régime dans la lutte contre la corruption est sans conteste, la création du Bureau de Vérificateur général par la loi n°03-30 du 25 août 2003.

C’est dans cette suite que le Premier ministre, Modibo Sidibé, a signé le décret n°08-304/PM-RM du 28 mai 2008 portant création, organisation et modalités de fonctionnement du comité préparatoire des états généraux sur la corruption et la délinquance financière et procédé à la nomination de ses membres par le décret n°08-316/PM-RM le 03 juin 2008.

Pourquoi les Maliens ont tant réclamé une nouvelle loi contre l’enrichissement illicite ?

Les états généraux sur la corruption et la délinquance financière, tenus du 25 au 28 novembre 2008, ont abouti à 104 mesures adoptées par les représentants (dans les 8 régions et le district de Bamako) de la société civile, des organisations socioprofessionnelles, du secteur privé, des administrations d’État, des partis politiques.

Ces recommandations assorties de propositions de mécanisme de suivi-évaluation ont été remises au Premier ministre en décembre 2008.

Les 104 recommandations comprennent « l’élaboration et l’application stricte des lois et règlements sur l’enrichissement illicite » ;

Le plan d’actions de mise en œuvre desdites recommandations, dans son objectif spécifique 7, intitulé « Améliorer la qualité de la justice et renforcer son rôle dans la lutte contre la corruption pour la paix sociale » prévoyait l’élaboration des textes sur l’enrichissement illicite au cours de l’année 2011.

Ainsi, sous la Transition, le gouvernement à travers le ministre de la Justice, Malick Coulibaly, a initié la nouvelle loi qui ne sera finalement adoptée qu’en 2014, sous Ibrahim Boubacar Keïta, avec ses amendements.

On peut affirmer, sans nul doute, que le pays venait de monter la charpente qui manquait jusqu’alors au dispositif de lutte contre la corruption et la délinquance financière.

La loi n°2014-015 apporte-t-elle du nouveau dans la lutte contre la corruption et la délinquance financière ?

 Le dispositif nouveau de lutte contre le phénomène a pris corps avec la loi n°2014-015 portant prévention et répression de l’enrichissement illicite du 27 mai 2014 qui définit l’enrichissement illicite comme : « soit l’augmentation substantielle du patrimoine de toute personne, visée à l’article 3 ci-après, que celui-ci ne peut justifier par rapport à ses revenus légitimes, soit un train de vie mené par cette personne sans rapport avec ses revenus légitimes ».

Ladite loi circonscrit les personnes assujetties à « toute personne physique civile ou militaire, dépositaire de l’autorité publique, chargée de service public, même occasionnellement, ou investie d’un mandat électif ; tout agent ou employé de l’Etat, des collectivités publiques, des sociétés et entreprises d’Etat, des établissements publics, des organismes coopératifs, unions, associations ou fédérations desdits organismes, des associations reconnues d’utilité publique, des ordres professionnels, des organismes à caractère industriel ou commercial dont l’Etat ou une collectivité publique détient une fraction du capital social et de manière générale, toute personne agissant au nom ou pour le compte de la puissance publique et/ou avec les moyens ou les ressources de celle-ci. »

C’est dire que cette loi a ratissé large, contrairement à certaines déclarations. Le rapport du FMI y voit d’ailleurs une faiblesse mais, quelle loi n’en contient pas?

Cette loi a sans doute du mérite par ses dispositions utiles, notamment :

1) La nature de l’infraction : non seulement, contrairement à la loi de 1982, la nouvelle loi correctionnalise l’infraction, ce qui facilite les procédures en apportant une célérité dans le jugement, mais elle est également une infraction continue dont la prescription ne commence à courir qu’à la découverte des faits. Ce qui rallonge les délais de prescription;

2) La liste des personnes assujetties : elle est très longue et concerne pratiquement tous ceux qui assument des responsabilités dans la gestion du service public, des chefs d’institutions en passant par les ministres ainsi que tous les magistrats de l’ordre judiciaire et administratif;

Seuls, les députés ainsi que les élus locaux non ordonnateurs y échappent, ce qui ne pourrait être qu’une petite faiblesse qui ne remet nullement en cause l’efficacité de cette loi ;

La loi concerne non seulement les personnes physiques mais est aussi étendue aux personnes morales.

Les personnes complices ayant facilité la commission de l’infraction ou détenant les biens en ayant connaissance de leur provenance se retrouvent dans le champ, même si elles sont du privé.

3) L’obligation de déclaration annuelle des biens et son actualisation à la cessation du mandat ou des fonctions des personnes assujetties ainsi que leurs épouses mariées sous le régime de la communauté de biens et leurs enfants mineurs ;

4) La sanction administrative automatique : révocation ou déchéance immédiate en cas de refus et amendes égales à 1 an de salaire ;

5) La possibilité de saisie en cours de procédure par le juge sur les biens, ainsi que leurs produits ou avantages ;

6) La possibilité de l’excuse atténuante pour les personnes qui coopèrent pour les enquêtes ;

7) L’absence de possibilité de sursis si au prononcé de la peine le montant n’a pas été intégralement remboursé ;

8) La traque de l’enrichissement non détectable par les autres structures de contrôle : les autres structures ne s’intéressent qu’à l’argent dérobé dans les caisses et ne peuvent saisir facilement les bakchichs et autres dessous de table. C’est la spécificité de l’Office centrale de lutte contre l’enrichissement illicite qui peut saisir ces biens illicitement obtenus, même après avoir été blanchis.

Nous avons la conviction que c’est ce caractère inédit et efficace de la lutte contre l’enrichissement illicite qui fait autant peur.

De ce qui ne constitue point une innovation sur le plan juridique :

1) Le mode de saisine : contrairement aux rumeurs, le mode de saisine du Procureur par dénonciation n’est pas une trouvaille juridique d’un illuminé quelconque et ne constitue que dans une mesure moindre une innovation puisque le Code de procédure pénale prévoie déjà la dénonciation ;

D’ailleurs, le code de procédure pénale faisait déjà obligation à tout citoyen qui a connaissance de faits délictuels de les dénoncer au Procureur de la République.

Tenter d’assimiler cette obligation citoyenne à de la délation prétendument contraire à « nos coutumes » est un faux-fuyant puisque les vraies valeurs n’ont jamais fait l’apologie du vol.

2) L’application immédiate de la loi : ce qui est présenté comme un effet rétroactif n’en est pas un. Il s’agit plutôt de ce que les juristes ont nommé l’application immédiate de la loi : toute loi est applicable au plus tard 48 heures après sa publication, sauf exception. Je ne suis pas du tout sûr que la volonté du peuple malien était de faire en sorte que la loi ne s’applique pas aux biens volés avant son entrée en vigueur. Ce serait d’ailleurs une aberration et une prime à l’impunité, rien que d’y penser.

Rappelons-nous les propos de Alpha Oumar Konaré: « Nous devons veiller à ce que les mécanismes conduisent à la restitution et à la confiscation des biens détournés et au paiement des droits compromis au préjudice de l’Etat ».

Cette loi doit donc atteindre le délinquant dans son portefeuille, de sorte à lui faire perdre tout le bénéfice des détournements dont il s’est rendu coupable pour en dissuader les assujettis.

Des précautions qui encadrent la procédure et garantissent le respect des droits

  • La déclaration de biens est couverte par le sceau de la confidentialité à l’égard du public ;
  • S’il y a des indices graves et concordants d’enrichissement illicite justifiant l’éventualité de poursuites, les pièces du dossier sont mises à la disposition du suspect 48 heures avant sa comparution ;
  • l’intéressé est averti de ce qu’il peut se faire assister du conseil de son choix
  • Les résultats de l’enquête en ce qui concerne le montant des ressources légitimes, comparé au détail des éléments du patrimoine ou du train de vie de la personne poursuivie lui sont présentés ;
  • En cas de décision de poursuite, le suspect dispose de 60 jours pour justifier son patrimoine, délai qui peut être prorogé de 30 jours si les circonstances l’exigent ;
  • L’origine licite des éléments du patrimoine peut être prouvée par tout moyen.
  • Les dispositions du Code de procédure pénale relatives au privilège de juridiction sont observées
  • En cas de dénonciation calomnieuse, l’autorité saisie a l’obligation de révéler l’identité du dénonciateur aux fins de poursuites éventuelles.

En définitive, on saurait affirmer sans risque de se tromper que la loi portant prévention et répression de l’enrichissement illicite est une chance pour le Mali et un tournant dans la quête aux délinquants financiers et surtout à la lutte contre la corruption et à la concussion.

Elle est la résultante du constat de l’échec de la lutte cinquantenaire contre la corruption et la délinquance financière au Mali.

Elle est la charpente qui manquait à l’architecture de la lutte contre le phénomène.

Si l’Office fonctionne correctement, il sera la structure de contrôle qui parachèvera l’œuvre des autres structures telles que le Bureau du Vérificateur Général, en ce qu’il ne s’intéressera, outre mesure, à la procédure de détournement ou de corruption mais bien directement au résultat de l’infraction qu’est l’enrichissement par des voies illégales.

C’est pourquoi, il sera certainement l’épouvantail pour beaucoup de fossoyeurs de l’économie qui, sans puiser directement dans la caisse, avaient réussi par la mise en place de vrais réseaux savamment entretenus et des techniques régulièrement améliorées, à se garantir des bakchichs et un bon jackpot qu’ils pouvaient ostensiblement afficher en se pavanant au vu et au su de tous les auditeurs impuissants.

J’ai bien crainte qu’après 2014 « année de lutte contre la corruption » pauvre en résultat, si la mise en œuvre de cette loi échoue, on ne soit obligé de reconnaître l’échec définitif de la croisade contre la corruption. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain : si tel que relevé dans le rapport technique anti-corruption et de lutte contre le blanchiment de capitaux du FMI sous le n°15/185, l’exclusion des élus non ordonnateurs du champ de la loi est regrettable mais cela n’enlève rien à sa pertinence et à son utilité.

De l’attitude exemplaire de la magistrature qui devrait-elle faire tache d’huile ?

La perception ainsi que la gestion des fonds publics et du service public sont non seulement un choix mais aussi une lourde responsabilité supposant l’acceptation de l’obligation de redevabilité.

A cet effet, il faut saluer l’esprit du corps de la magistrature dont la composante intégrale a été assujettie à l’obligation de déclaration des biens, sans entraîner aucune opposition ni protestation quelconque.

Cette attitude devrait peut être faire tache d’huile et inspirer plus d’un.

De même, les revendications financières et matérielles tendant à l’amélioration des conditions des fonctionnaires seraient bien plus compréhensibles.

Par contre, tenter de convaincre le peuple malien d’accepter que les détournements constituent la rallonge complémentaire des « salaires officiels dérisoires » serait certainement voué à l’échec, car le choix de tout statut a ses avantages mais bien également ses contraintes conséquentes.

Tout est une question de choix de carrière.

 Auditeur Avocat inscrit au Barreau du Mali

Le Challenger

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