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L’œil De Le Matin : De quelle justice parle-t-on ?

En mars dernier, le ministre de la Justice a officiellement reçu le rapport annuel des activités des juridictions. À cette occasion, il a fait une «révélation» qui a sans doute surpris plus d’un justiciable. Aujourd’hui, s’est-il réjoui que 72 % des Maliens fassent confiance à la justice. Ce qui est un signe d’espoir quant à la rédemption de cette institution. «Nous avons constaté que les Maliens ont de plus en plus confiance en la justice. Ce n’était pas une tâche facile…», a affirmé le ministre Mamoudou Kassogué

Encore faudrait-il que cela soit réellement fondé en se traduisant par la transparence et surtout l’équilibre de la balance. La question se pose, car le ministre n’a pas montré ou cité aucun document, aucun institut de sondage crédible, aucun détail méthodologique. On sait quand même que l’une des éditions de 2024 de «Mali Mètre 2024» (sondage de la Fondation Friedrich Ebert/FES) a fait ressortir que 51 % des personnes sondées font partiellement confiance à la justice, que 21 % lui font totalement alors que 16 % ne lui font pas confiance… Des chiffres qui reposent sur des moyens de collecte scientifiquement prouvés. Contrairement à la déclaration du ministre.

À moins que les citoyens qui ont été sondés par les services du ministre aient eu peur de dire le fonds de leur pensée. Et cela d’autant plus que nous avons eu l’impression du contraire après un petit sondage dans différentes couches sociales où les plus démunis sont ceux qui croient le moins à la justice. Difficile alors de donner tort à ce jeune confrère qui traite cette affirmation d’une «juste une phrase creuse, balancée comme une vérité de Coran ou d’Évangile pour maquiller une réalité désespérante».

Mais, on ne saurait non plus en vouloir à un ministre de faire une déclaration politique si son objectif est d’encourager, de motiver les acteurs d’une institution à continuer à se remettre en cause pour rehausser son image. Et contrairement à notre jeune confrère, nous ne dirons pas que c’est «une affirmation surréaliste». Cela d’autant plus que, sur le plan institutionnel, des réformes courageuses ont été engagées pour réhabiliter la Justice malienne, pour renforcer son indépendance… Des efforts ont été entrepris pour lutter contre la corruption, accélérer le traitement des dossiers et garantir les droits des justiciables.

En effet, 2024 a été un tournant dans la révision du système judiciaire du Mali avec des avancées majeures à plusieurs niveaux. On peut ainsi citer l’organisation de concours exceptionnels pour le recrutement de 116 auditeurs de justice et de 120 greffiers en chef stagiaires. Le département, selon des observateurs, a franchi un pas décisif avec l’adoption et la promulgation du nouveau Code pénal et du Code de procédure pénale qui apporterait à l’appareil judiciaire l’indispensable modernisation pour s’adapter aux réalités actuelles du pays et aux défis du monde contemporain. Mais, comme disait aussi un célèbre avocat de la place, «la justice n’est pas seulement une question de textes, mais surtout une question de bon sens. On ne doit pas avoir peur de la loi, mais plutôt du juge qui applique la loi». C’est malheureusement là où le bât blesse au niveau de la justice malienne transformée par certains acteurs en glaive de vengeance.

Comment faire admettre cette réalité (taux de confiance) aux proches du regretté Soumeylou Boubèye Maïga, un présumé innocent mort en détention préventive parce que privé de soins judicieux ? Comme si on n’avait pas tiré les enseignements de ce drame, Mme Bouaré Fily Sissoko est exposée au même sort, car, malgré une santé qui ne cesse de se détériorer, la liberté provisoire lui a été refusée le 4 avril 2025. Arrêtée et incarcérée depuis août 2021, elle ne cesse de clamer son innocence et de réclamer l’organisation de son procès pour qu’elle puisse se blanchir. Ouvert en septembre 2024, ce procès n’a duré qu’une dizaine de jours au bout desquels l’opinion nationale a été confortée dans sa conviction que l’accusation ne reposait pas sur des preuves suffisantes pour garder cette bonne dame derrière les barreaux pendant tout ce temps. Mais, ceux qui gèrent le dossier pensent autrement.

Il est alors curieux qu’autant de Maliens fassent confiance à cette justice qui continue de «priver les citoyens» de leur liberté pour «avoir osé parler, écrire ou dénoncer» ! Leur crime ? Avoir juste exprimé leur opinion ! Ce qui fait écrire à Amnesty International, que «les autorités maliennes ont intensifié la répression contre les voix dissidentes, instrumentalisant la justice pour faire taire les critiques, en violation flagrante des engagements internationaux du pays en matière de droits humains». Dans un communiqué publié le 18 mars 2025, la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) avait également exprimé son inquiétude face aux «menaces sérieuses pesant sur l’exercice de certains droits et libertés fondamentaux, notamment les libertés d’opinion, d’expression dont l’une des manifestations la plus récente est l’allégation de disparition forcée d’acteurs de la société civile à Bamako».

Il n’est nullement dans notre intention de contredire Monsieur le Ministre de la Justice, d’autant plus que nous ne savons pas sur quel sondage repose sa déclaration. Et peut-être que nous ne parlons pas de la même justice. Certes, celle que nous connaissons commence à manifester des signes de rédemption ces derniers temps. Mais, elle est loin de focaliser la confiance de tant de Maliens à cause de certaines situations qui nous rappellent que les mauvaises pratiques ont la vie dure. Sans oublier que soigner un grand malade comme la justice malienne est une œuvre de longue haleine.

N’empêche qu’il ne serait pas non plus objectif de nier les efforts consentis au niveau institutionnel pour entreprendre des réformes visant à réhabiliter la justice aux yeux des Maliens. Des efforts qui découlent sans doute de la prise de conscience qu’une «justice forte, équitable et impartiale est la clé pour tourner la page des divisions et bâtir un Mali nouveau». Mais, ce taux exprimé par Monsieur le Ministre nous laisse songeur, comme d’ailleurs de nombreux observateurs.

Il est quand même rassurant de savoir que le ministre est conscient que «chaque décision de justice laisse une partie frustrée». De toutes les manières, comme le rappelait récemment notre jeune confrère Moussa Camara, «craignons la justice immanente. Elle est implacable. Tôt ou tard, elle réduira à sa plus simple expression cette autre justice avec ses parodies et ses simulacres» !

Moussa Bolly

Source: Le Matin

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