Au Mali, l’assassinat de l’imam Abdoul-Aziz Yattabaré à l’aube du samedi 19 janvier 2019 par un jeune de 26 ans relance le débat sur la peine de mort. C’est dans ce sens qu’un grand meeting a été organisé le samedi 26 janvier 2019 au Palais de la culture pour exiger l’application stricte de la peine capitale comme stratégie de dissuasion. Sur les réseaux sociaux, certains extrémistes vont jusqu’à réclamer l’application de la Charia.
Autre assassinat dans la soirée du 24 janvier 2019 : celui d’un grand commerçant des Halles de Bamako par des individus armés non identifiés. Le même jour, vers 20 H, deux individus armés de pistolets ont fait irruption chez Oumar Touré à Yirimadio, lui demandant de l’argent… Se sachant en danger, car la famille avait réussi à ameuter le quartier, les bandits ont tiré à bout portant sur Oumar.
Transporté d’urgence vers l’Hôpital du Mali, il a malheureusement succombé à ses blessures quelques minutes plus tard avant même d’y arriver. Après leur forfait, les bandits ont naturellement disparu dans la nature. Pour rappel, en début d’année, Kalilou Coulibaly dit Baba, commerçant au grand marché de Bamako, a été assassiné par son intime ami, Aboubacar Sacko.
Sa dépouille a été découverte à Zorokoro, dans la localité de Safo, au champ de son assassin le jeudi 10 janvier. La raison ? Il devait à la victime 200 millions de F Cfa qu’il ne voulait ou ne pouvait pas payer.
Aujourd’hui, que vaut réellement la vie humaine face à l’argent ou à la mégalomanie ? Presque rien si l’on se réfère à la généralisation des crimes ces derniers temps. La vie de l’homme n’a jamais été aussi banalisée, même si, force est de reconnaître, que «le crime est aussi vieux que le monde.» On égorge, on poignarde, on fusille… sans crainte, presqu’en toute impunité. En effet, sous nos cieux, rares sont les criminels, surtout les auteurs de crimes passionnels, qui sont condamnés à hauteur de souhait.
Beaucoup de Maliens pensent que les criminels s’en sortent généralement à bon compte. Mais, est-ce une raison suffisante pour appliquer la Charia et déterrer la peine de mort ? Il convient d’abord de rappeler que même si elle est rarement appliquée par la justice, la peine de mort n’est pas encore abolie au Mali. Au grand dam de ceux qui se battent pour cette abolition. Exécuter un criminel est-il assez dissuasif pour réduire les crimes crapuleux et odieux ? Le constat est que les pays qui appliquent le plus la peine de mort (Iran, Singapour, Etats-Unis, Arabie Saoudite, Bahreïn, Chine, Irak) n’ont jamais pu mettre fin à ces meurtres.
Bien au contraire, ce sont des Etats qui battent les records en matière de criminalité. «Tenez-vous bien. Deux officiers de police partis interpeller des citoyens qui doivent faire face à la justice sur ordre d’un procureur ont été lapidés à mort chez nous, il y a juste quelques jours… Et des dizaines de Peulhs soupçonnés de collaborer avec des terroristes ont été égorgés ou fusillés par une foule en colère.
La peine de mort peut faire quoi dans ces deux cas ?», s’interroge un confrère burkinabè lorsque nous avons lancé le débat dans un groupe sur WattsApp. «Si on l’applique, ce sont des villages entiers qui disparaîtront parce que leurs habitants, sous le coup de la colère, ont ôté des vies», ajoute-t-il. Pour les membres de ce groupe, «la meilleure chose pour éviter la désacralisation progressive de la vie humaine, c’est d’offrir une bonne éducation à nos enfants dans les familles, à l’école. Et il faut aussi exiger de l’Etat qu’il joue son rôle régalien». «Tant qu’on n’enseignera pas aux citoyens que la vie humaine est très sacrée, c’est peine perdue.
Les lois ne dissuadent plus. Surtout que ceux qui nous gouvernent tuent leurs adversaires ou ceux qui dénoncent leur mal-gouvernance, sans crainte», défend un autre confrère. Cela est d’autant fondé que nous sommes également convaincus que l’éducation est fondamentale dans la vie en société. En effet dans une société, l’éducation est la base ou est à la base de tout, si minime soit-elle. Ainsi, «une société non éduquée est une société égarée».
Eduquons par l’exemple car nous sommes loin d’être des références pour montrer la voie de la sagesse, de la raison et de la dignité à nos enfants. L’adultère, l’infidélité, la corruption, les crimes, le manque de loyauté, le mensonge d’Etat, la dépravation des mœurs, les conflits d’intérêt, les escroqueries… sont devenus de nos jours nos moyens de vie. La devise du quotidien satirique français « Le Cafard Libéré » nous enseigne à ce sujet : «Il ne faut pas laisser nos moyens de vivre compromettre nos raisons de vivre» ! Il y a très longtemps que notre seule raison de vivre est compromise par la cupidité et la mégalomanie.
Tous les coups sont permis pour s’enrichir ou avoir un poste ! Que pouvons-nous alors enseigner à nos enfants pour les maintenir sur le droit chemin ? Comment leur apprendre à distinguer et opter pour le bien aux dépens du mal et de la honte alors que nous ne sommes même plus capables de nous regarder dans le miroir en nous rasant ou en nous coiffant ? Eduquons ! Eduquons avec la manière. Eduquons en famille en montrant comme seules références nos valeurs socio-morales et culturelles positives.
L’application de la peine de mort dans le monde est présente sur tous les continents. Mais, depuis plusieurs décennies, nombre de pays ont aboli cette peine. Ainsi, 104 pays l’ont supprimée pour tous les crimes, 9 seulement pour les crimes de droit commun et 28 n’y ont pas eu recours depuis au moins dix ans et semblent avoir pour pratique officielle ou officieuse de s’abstenir de procéder à une exécution, même si elle reste en vigueur.
A la fin de l’année 2017, 106 pays (la majorité des États dans le monde) avaient aboli la peine de mort dans leur législation pour tous les crimes et 142 (plus des deux tiers des États) étaient abolitionnistes en droit ou en pratique. Amnesty International a recensé au moins 993 exécutions dans 23 pays en 2017 (sans compter la Chine, où les statistiques ne sont pas disponibles) et au moins 2 591 condamnations à mort dans 53 pays en 2017. Fin 2017, au moins 21 919 personnes se trouvaient dans le quartier des condamnés à mort.
Moussa Bolly
Source : Le Matin