LE FIGARO. – Qui se cache derrière le groupe Ansaru?
Mathieu GUIDÈRE. – Ansaru signifie littéralement: les défenseurs des musulmans au pays des noirs. Le premier communiqué émanant de ce groupe date de janvier 2012. Ansaru a été fondé par des dissidents de la secte islamiste nigériane Boko Haram. Le groupe se réclame du califat de Sokoto, créé au XIXe siècle. L’empire de Sokoto englobait le nord du Nigeria et une partie du Cameroun. Ansaru se considère comme une organisation transnationale, panislamiste à l’inverse de Boko Haram qui a un objectif local: créer un État islamique dans le nord du Nigeria. Ansaru se distingue aussi de Boko Haram par son mode opératoire: la prise d’otages occidentaux. Après sa création en 2002, Boko Haram s’est longtemps interdit de recourir à des enlèvements, d’une part parce que c’était contraire aux principes du djihad, d’autre part parce que la secte ne voulait pas être assimilée aux groupes crapuleux qui kidnappent quasiment chaque mois des employés des compagnies pétrolières dans le delta du Niger. Pour Ansaru au contraire, le kidnapping est la seule façon de faire entendre la cause des islamistes au Nigeria. En mars 2012, le groupe a enlevé plusieurs étrangers qui exerçaient dans le BTP, puis Francis Collomp, un diplomate américain, la famille Moulin-Fournier. Ansaru a acquis une certaine notoriété et cela a attiré des éléments de Boko Haram. Sous la pression de sa base et de la concurrence, Boko Haram s’est alors lancé à son tour dans la prise d’otages. Depuis juin dernier, on a vu que les deux groupes collaboraient parfois dans ce type d’opérations. Par exemple, l’enlèvement la semaine dernière du père Georges Vandenbeusch.
Pourquoi les Français sont-ils toujours la principale cible des islamistes armés, même en Afrique anglophone?
Parce que la France est le seul pays où l’on politise les prises d’otages. Le chef d’Ansaru est fier quand le président de la République française s’adresse à lui. Cela fait monter aussi la valeur pécuniaire d’un otage. Au début, Boko Haram et Ansaru ne demandaient pas de rançons. Ils voulaient échanger des otages contre des membres de leurs familles ou de leurs clans. Exemple, la famille Moulin-Fournier, qui a été relâchée contre la libération des familles d’un certain nombre de chefs d’Ansaru. Maintenant, ces groupes veulent de l’argent. Ils ont vu dans le Sahel que la prise d’otages peut rapporter gros. Ansaru a dit qu’elle avait fait le bon choix puisqu’on n’a jamais autant parlé de cette organisation.
Quels sont les liens entre Ansaru, Boko Haram et al-Qaida au Maghreb islamique?
Avant mars 2012, c’est-à-dire avant que les djihadistes prennent le contrôle du nord du Mali, ces groupes entretiennent des relations idéologiques. Ils se soutiennent mutuellement à travers des communiqués. Le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, envoie des hommes se former auprès des Chebab somaliens. Le tournant intervient après mars 2012. Des éléments de Boko Haram sont alors embrigadés dans des sections d’Aqmi dans le nord du Mali. On les voit d’ailleurs sur les vidéos diffusées par Aqmi. En janvier 2013, la France intervient militairement au Mali et les djihadistes nigérians qui combattaient au sein d’Aqmi, du Mujao ou d’Ansar Dine rentrent chez eux. C’est alors que la scission se creuse entre Ansaru et Boko Haram. Ces djihadistes qui avaient combattu au Mali décident d’importer au Nigeria les méthodes d’Aqmi. On peut dire que le véritable héritier d’Aqmi en Afrique centrale, c’est Ansaru. L’intervention française a eu pour effet d’affaiblir considérablement les groupes radicaux d’Afrique de l’Ouest et du Sahel au bénéfice de ceux d’Afrique centrale. Elle n’a fait que déplacer vers le sud la menace djihadiste.
Boko Haram, Ansaru, Aqmi, c’est combien de divisions?
Boko Haram, c’est plusieurs milliers d’hommes, 30.000 selon son fondateur Mohammed Yusuf, tué en 2009. À l’échelle de la population du Nigeria, 170 millions d’habitants, dont 70 millions de musulmans, c’est normal. Mais nous sommes tout de même face à un mouvement insurrectionnel. À titre de comparaison, en Algérie, les Groupes islamistes armés au sommet de leur puissance comptaient entre 20.000 et 25.000 combattants. Ansaru, à ses débuts, comptait quelques centaines de combattants, aujourd’hui probablement entre 2000 et 3000 hommes. Aqmi, avant l’intervention française, c’était 1500 hommes. Aujourd’hui, il n’en reste qu’environ 500.