Dans sa lettre de démission datée du 5 avril dernier, l’ex-Premier ministre Oumar Tatam Ly a désigné le président IBK comme le premier responsable de l’inefficacité de son gouvernement en ce qu’il a rejeté, à quatre reprises, ses demandes visant à l’ouvrir à » des compétences accrues » pour en corriger » les dysfonctionnements et les insuffisances ».
Ce refus obstiné, qui a désavantageusement mis le pouvoir sous les feux des projecteurs, est critiquable à bien des égards. D’abord la tradition républicaine dans toutes démocraties civilisées veut qu’après les législatives un nouveau gouvernement soit mis en place à la lumière des rapports de forces sortis des urnes.
En reconduisant le gouvernement formé au lendemain de l’élection présidentielle et qui devait donc avoir un caractère provisoire, IBK a dérogé à cette tradition. Même si c’est la coalition de partis politiques qui l’a soutenu à la présidentielle qui a été majoritairement portée à l’Assemblée nationale, un réajustement était toujours possible, voire nécessaire, à supposer qu’il ait eu un tant soit peu le souci de prendre en compte les choix opérés par les électeurs.
Ce rituel républicain accompli, le Premier ministre, que le président avait tacitement reconduit dans ses fonctions à la faveur de la cérémonie de présentation des vœux de nouvel an à Koulouba, se serait donné un délai raisonnable pour procéder à sa Déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Tel n’a pas été le cas. Oumar Tatam Ly a essuyé des refus polis pour composer le gouvernement post-législatives sans être encouragé à préparer et présenter sa déclaration de politique générale. Autre exercice républicain incontournable pour qu’il fût investi avec la solennité requise dans la fonction primatoriale.
On soupçonne IBK de s’être opposé à la formation de ce gouvernement post-législatives parce qu’il ne voulait pas s’infliger l’humiliation de devoir se séparer des nombreux neveux promus ministres (un fait décrié dans l’opinion). Ou congédier d’autres personnalités auxquelles le lie une connivence autour de certains dossiers délicats, même si lesdites personnalités font l’objet de contestations ouvertes de nature à affecter le fonctionnement normal des départements qu’elles dirigent.
Conséquence, en tous cas, des » niets » répétitifs de IBK à Oumar Tatam Ly, une prolongation de la mise en observation du régime par les bailleurs et les investisseurs, qui retiennent le cordon de la bourse en attendant de savoir de quoi demain sera fait. Et, bien entendu, ce sont les Maliens qui triment.
Preuve que la Déclaration de politique générale n’est pas une pure fantaisie, le nouveau Premier ministre Moussa Mara va s’y prêter, dès demain mardi. Que de temps et d’argent perdus pour le Mali à cause de l’entêtement de son Président à ne pas se conformer à la pratique républicaine consacrée et de son obstination à ne pas prendre en considération les critiques émanant de ses propres électeurs.
Le retentissant document rendu public par le PARENA (opposition) la semaine dernière constitue le second volet de cette réflexion. Il dresse un état des lieux affligeant et alarmant de la façon dont le pays est géré sous IBK, l’homme qui a porté l’espoir des millions de nos concitoyens pour retrouver leur sérénité et leur dignité. Non respect de la Constitution relativement à la déclaration publique devant la Cour suprême des biens du président de la République, du Premier ministre, des ministres. Affairisme débridé. Goût immodéré du lucre et du luxe. Gaspillage des deniers publics dans un pays sous perfusion internationale. Collusion avec les milieux d’affaires étrangers objet d’une enquête judiciaire. Tendances mégalomaniaques. Tout y passe. Mais le plus inquiétant est cette incapacité avérée à prendre une initiative sur la question cruciale du nord, à rompre avec » les atermoiements et les tergiversations qui ont conduit au pourrissement de la situation et ouvert la voie à la radicalisation préjudiciable à la cohésion nationale « . Toutes choses qui dénotent » l’absence d’une vision et d’une stratégie » sur un sujet d’urgence nationale.
Dans les milieux politiques et jusques et y compris dans les rangs du RPM et de ses alliés, des voix s’élèvent de plus en plus pour déplorer » la lourdeur » du Président, son peu d’empressement pour poser des actes forts dans la prise en charge des préoccupations pour lesquelles les électeurs lui ont exprimé massivement et dans l’enthousiasme leur préférence.
La restauration de l’autorité de l’Etat ? La lutte contre la corruption et la délinquance financière aux fins de renflouer le trésor public ? La remise en ordre et la relance de l’activité économique pour créer des emplois et répandre la prospérité ? Les mesures aptes à endiguer la vie chère galopante et améliorer l’ordinaire des plus nécessiteux ? L’école à vau-l’eau ? La santé chaque jour plus inaccessible ? Tous ces sujets brûlants, matière à de mirobolantes promesses lors de la campagne pour la présidentielle, semblent relégués à l’arrière-plan des soucis du président. La nouvelle priorité étant le Boeing acquis à 17 milliards de FCFA et bientôt, nous dit-on, l’hélicoptère qui va relier Koulouba à la résidence impériale en construction à Sébénicoro, sur les berges du Djoliba.
Face à ce gâchis, l’on en arrive à se demander si IBK est vraiment » l’homme de la situation » rêvé et « quasi-plébiscité » (IBK dixit) par les électeurs en août 2013. Et si, finalement, ce plébiscite ne s’est pas fait sur un regrettable malentendu.
Les électeurs, en effet, ont voté pour l’IBK qu’ils ont connu et apprécié lorsqu’il était en manœuvre comme premier ministre entre 1994 et 2000, usant plus du bâton que de la carotte pour enrayer l’anarchie dans laquelle sombrait jour après jour le Mali au sortir de l’insurrection populaire qui a balayé 22 années d’une dictature militaire féroce, obscurantiste et paupérisante.
Ce premier ministre portait-il en lui la fermeté qui a permis de sortir le pays de la tourmente et avait-il les mains libres pour en user ou n’était-il que l’instrument qu’utilisait le président d’alors, Alpha Oumar Konaré, pour conforter et faire durer son pouvoir ? On se rappelle la fameuse phrase prononcée par ce dernier un soir à la télévision nationale : » Je peux vous assurer qu’aucun acte de fermeté n’a été décidé ou appliqué dans ce pays qui ne porte ma touche personnelle ».
Cela pourrait bien expliquer la panne de leadership dont le Mali souffre manifestement depuis bientôt huit mois, du fait de l’inaction doublée d’un penchant marqué à l’autosatisfaction de son président.
Par Saouti HAIDARA