PROGRAMME. En présentant son plan d’action, le nouvel exécutif algérien a fustigé les insuffisances et « dérives » qui ont conduit à la préoccupante situation actuelle.
Le gouvernement d’Abdelaziz Djerad pourrait-il relever les défis de l’après-Bouteflika ? Mardi 11 février, le Premier ministre a présenté le plan d’action devant un Parlement largement dominé par les partis de l’allégeance de l’ancien système : FLN, RND, TAJ et MPA. Étrange ambiance où des députés, décriés par le mouvement populaire qui gronde dans les rues algériennes depuis le 22 février 2019, se retrouvent face à un Premier ministre sans étiquette qui les égratigne en commençant par faire le procès de la gouvernance Bouteflika durant près de vingt ans et dont les parlementaires de la majorité présidentielle feraient intégralement partie.
Le chef de l’exécutif entame son intervention en soldant les dérives du passé, précisant que le pays a connu « une gestion catastrophique de l’État » et « des pratiques autoritaires ayant mené au pillage et à la dilapidation des richesses du pays et à la destruction systématique de ses institutions et de son économie dans le but d’accaparer ses biens ».
Une crise profonde
Ces pratiques, selon lui, ont provoqué « la marginalisation des compétences nationales, sincères et honnêtes, déstabilisant ainsi les fondements mêmes de l’État, et menaçant l’unité du peuple ». C’est cette « réalité amère » qui a poussé les Algériens a manifesté en force dès le 22 février 2019 pour « condamner et rejeter cette tentative d’affaiblir notre pays » et, surtout empêcher par là même que « cette situation ne se reproduise plus ».
« Cette crise a affecté lourdement et en profondeur les institutions de l’État par une corruption érigée en système de gouvernance, fragilisé davantage la cohésion sociale et fait peser des menaces majeures sur notre souveraineté́ nationale, tant sur le plan interne que sur le plan externe », lit-on dans le plan d’action du gouvernement alors que le lendemain mercredi 12 février comparaissent pour la seconde fois deux ex-Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal (respectivement condamnés à 15 et 12 ans de prison), ainsi que des ministres et des hommes d’affaires, devant la justice pour leur procès en appel dans le dossier du montage automobile et le financement illégal de la campagne électorale du président déchu.
« Le gouvernement s’emploiera à l’élimination des dérives ayant marqué la gestion des affaires publiques de l’État et des incidences négatives des forces inconstitutionnelles sur la décision politique et économique du pays », a martelé Djerad, allusion faite aux puissances de l’argent qui, sous le règne des Bouteflika, se sont approprié des leviers du pouvoir politique.
Les remontrances du Premier ministre ciblent aussi son prédécesseur, Noureddine Bedoui, en annonçant qu’il proposera une loi de finances complémentaire 2020 afin d’annuler « des dispositions fiscales injustes envers les salariés exerçant dans le Sud et certaines professions libérales » contenues dans la loi de finances 2020 de l’ancien gouvernement Bedoui. Dispositions fiscales, selon Djerad, qui avaient pour objectif de « semer la confusion » ! Il s’agira donc de « traiter les dysfonctionnements contenus dans la loi de finances 2020 », selon ses propos.
Une économie « fragile »
Outre ses attaques contre les « mines » héritées du dernier gouvernement Bouteflika, Djerad a dressé un tableau noir de la situation économique. « L’héritage désastreux », pour reprendre ses termes, est bien là. Le chef de l’exécutif parle de situation économique et financière « difficile » et « délicate » et avance des chiffres. Djerad reconnaît que la situation financière du pays demeurait « fragile », totalement dépendante des fluctuations du marché mondial des hydrocarbures.
Le vice-président du Conseil national économique et social (CNES), Mustapha Mekideche, avait alerté quant à « la diminution de 17 % des quantités d’hydrocarbures produites entre 2007 et 2017, accentuée par une consommation locale explosive » ainsi que sur « la déplétion des gisements et leur vieillissement rendent problématique le maintien des niveaux de production atteints dans les hydrocarbures conventionnels face à une demande qui explose ».
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Selon les chiffres des douanes algériennes, les exportations en hydrocarbures ont à peine atteint les 33 milliards de dollars fin 2019, soit une baisse de 12,5 % par rapport à l’année précédente, alors que les exportations avoisinaient les 80 milliards de dollars il y a dix ans. Djerad évoque « l’aggravation du déficit budgétaire en 2019, la hausse du déficit de la balance commerciale à 10 milliards de dollars fin 2019, le recul des réserves de change de plus de 17 milliards de dollars et la hausse de la dette publique intérieure qui a atteint 45 % du PIB contre 26 % en 2017 », en plus de « l’incidence financière importante résultant des décisions et engagements pris en 2019, qui s’élève à 1 000 milliards de dinars (environs 7 600 000 000 euros), en l’absence des financements nécessaires à leur couverture ».
Encourager les IDE, mais comment ?
Comment y faire face ? Djerad a promis de rompre avec « toutes les pratiques révolues dans la gouvernance politique et socio-économique », ayant mené, selon lui, à une « destruction méthodique des entreprises économiques et à la marginalisation de compétences ». Le nouveau gouvernement veut tabler sur « la triptyque développement humain, transition énergétique, et économie du savoir et du numérique ».
Il faudra aussi attirer l’investissement étranger, cela reste une gageure importante. La révision de la règle du 49/51 fixant la part de participation d’un investisseur étranger dans une société́ de droit algérien à 49 %, a été un premier pas, salué par les opérateurs étrangers en Algérie.
Alger souhaite ainsi, selon les engagements du président Abdelmadjid Tebboune, stabiliser le corpus juridique régissant le secteur économique. « Les modifications fréquentes de la réglementation, dans le domaine des importations notamment, ainsi que les incertitudes au niveau législatif ont été en outre des facteurs qui ont freiné aussi bien l’activité courante des entreprises que la programmation de leurs investissements », avait souligné le président de la chambre de commerce et d’industrie algéro-française (CCIAF), Michel Bisac.
Un climat des affaires désastreux
D’autres mesures ont été annoncées par Djerad pour « améliorer la compétitivité et l’attractivité de l’économie algérienne aux investissements directs étrangers (IDE) » comme la mise en place d’une procédure claire et transparente sur le transfert des dividendes conforme aux principes et aux règles internationales ; la modernisation du régime fiscal de la propriété intellectuelle ; la modernisation du régime applicable aux relations entreprises mères-filiales ; la stabilité du dispositif juridique régissant le régime fiscal appliqué à l’investissement, la rénovation du cadre juridique pour encourager les partenariats entre entreprises algériennes et investisseurs étrangers, etc.
Pour rappel, le classement de l’Algérie pour le climat des affaires Doing Business, établi par la Banque mondiale, de l’année 2020, s’est stabilisé à la 157e place sur les 190 pays. Régionalement, elle est à la queue du classement face à ses voisins (à part la Libye). Le gouvernement Djerad a devant lui des défis énormes conjugués à une situation politique qui ne stabilise pas encore. Un chantier immense.
Par Adlène Meddi, à Alger
Source: LE POINT