Israël confirme son retour en Afrique et l’Afrique revient vers Israël. Tel est le message que le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, martèle avec la reprise annoncée des relations diplomatiques entre son pays et le Tchad, une nation à majorité musulmane dirigée d’une main de fer par Idriss Déby, après une rupture de quarante-six ans.
Dans les années 1970, la guerre du Kippour et le premier choc pétrolier avaient sonné le glas de l’âge d’or des rapports entre l’État hébreu, que ces ennemis appelaient à l’époque l’«entité sioniste», et le continent noir. Israël, qui comptait à l’époque 33 ambassades, n’en a plus que 11.
Il aspire aujourd’hui à organiser un grand sommet Israël-Afrique et à obtenir un siège d’observateur à l’Union africaine. Il entend se rapprocher de pays musulmans comme le Soudan, le Mali ou la Mauritanie.
Le gouvernement israélien cherche aussi à polir son image. La justice a ainsi fait savoir qu’elle s’intéressait à plusieurs hommes d’affaires, comme Dan Gertler ou Beny Steinmetz, connus pour leurs activités controversées en République démocratique du Congo et en Guinée.
Ses armes diplomatiques sont son savoir-faire sécuritaire, son expertise dans le domaine agricole, dans celui de la gestion de l’eau et les technologies de pointe.
Mais si une normalisation est en cours, la partie est loin d’être gagnée.
Pourquoi Israël reste-t-il à la porte d’une partie de l’Afrique ?
Benyamin Nétanyahou a lancé son offensive de charme en se rendant à trois reprises ces dernières années en Afrique.
Il est allé en Ouganda, en juin 2016, quarante ans après le raid d’Entebbe pour libérer les passagers d’un avion d’Air France pris en otages par un commando propalestinien.
Une opération militaire dans laquelle son frère, commandant dans les forces spéciales israéliennes, avait trouvé la mort.
Il a été invité en juin 2017 à Monrovia au sommet de la Cédéao, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest.
Mais 2017 a surtout été marquée par l’annulation du sommet Israël-Afrique prévu à Lomé en novembre 2017.
Une importante délégation d’hommes d’affaires et d’experts emmenés par le premier ministre israélien devait débarquer dans la capitale du Togo.
Le sommet a été reporté sine die en raison des troubles qui secouaient Lomé, des hésitations de certains participants et des pressions exercées par les partisans d’un boycott. Israël ne parvient pas, non plus, à obtenir un strapontin à l’Union africaine.
«Nous n’avons pas droit comme n’importe quel pays à un statut d’observateur et chaque sommet commence par un discours d’ouverture porté par le président de l’Autorité palestinienne. On l’écoute et nous sommes muets. Personne n’a le courage d’essayer de changer cela!», se plaint Barnéa Hassid, le «M. Afrique subsaharienne» du ministère des Affaires étrangères.
Ce tropisme propalestinien prégnant au Maghreb et dans les pays musulmans en général est aussi très présent en Afrique du Sud.
La grande puissance du continent, et l’ANC, le parti de Nelson Mandela au pouvoir, se méfie de l’État hébreu en raison notamment des anciens liens entre Israël et le régime d’apartheid.
Pretoria est certes partisan du boycott d’Israël, mais c’est pourtant avec ce pays que les échanges commerciaux sont les plus développés.
Un paradoxe qui s’explique par le rôle des diamantaires israéliens dans le circuit des pierres précieuses et la présence d’une communauté juive relativement importante et prospère.
Que cherche Israël en Afrique ?
Vue de Jérusalem ou de Tel-Aviv, l’Afrique est d’abord une mer: la mer Rouge. Israël cherche à consolider ou à renouer des liens avec les pays riverains de cet espace maritime essentiel pour ses approvisionnements et sa sécurité.
L’armée israélienne disposerait d’une base d’écoutes et de renseignements en Érythrée et se rapproche du Soudan. «Le maintien de la liberté de passage en mer Rouge est un sujet stratégique qui a été à l’origine de la guerre des Six Jours, en 1967. Israël met le paquet pour s’assurer des soutiens en Érythrée et en Éthiopie voisine, et se tourne vers le Soudan à la faveur du revirement du régime de Khartoum qui a lâché l’Iran au profit du bloc arabe sunnite dirigé par l’Arabie saoudite», explique Ofer Zalzberg, analyste à l’International Crisis Group (ICG).
Par le passé, le Soudan avait servi de point de passage pour le transfert d’armes iraniennes au Hamas, qui contrôle la bande de Gaza.
Israël avait mené des raids militaires sur le sol soudanais pour s’y opposer. Il ne considère plus le pays comme un danger mais comme un allié potentiel.
La difficulté pour l’État hébreu est de convaincre par le lobbying des pays musulmans où les opinions publiques leur sont hostiles de ne plus dissimuler leurs relations clandestines en attendant mieux.
Le Hezbollah est-il toujours actif en Afrique ?
S’il est bien sûr moins évident qu’au Proche-Orient, l’affrontement et la lutte d’influence entre l’Iran et Israël traversent aussi l’Afrique.
Tel-Aviv tente de damer le pion à Téhéran dans les pays où il a su créer des liens. Dans ce combat sourd, Israël a l’appui des États-Unis.
En Ouganda, où l’Iran dispose d’une usine de tracteurs, il a construit un hôpital et signé en 2015 un accord d’entente. Mais c’est sur le Hezbollah qu’Israël concentre son attention.
Le mouvement libanais chiite pro-iranien est en effet très actif en Afrique de l’Ouest. Historiquement, la communauté libanaise est bien implantée dans cette partie du continent. À la fin des années 80, le Mossad s’est rendu compte qu’elle servait de base de repli pour des cadres de la branche armée du mouvement.
En enquêtant plus avant, les services secrets ont acquis la certitude que le Hezbollah menait d’importantes collectes de fonds, plus ou moins forcées, auprès des «Libanais» africains.
Pour réduire, sinon détruire, cette emprise, les Israéliens ont là encore bénéficié de l’aide des Américains. Sous pression des États-Unis, plusieurs banques libanaises au Bénin mais aussi au Ghana ont été fermées.
Des établissements libanais ont également été placés sur liste noire à Beyrouth et en Amérique du Sud. Ils étaient soupçonnés de servir au financement du trafic de drogue vers l’Europe, via l’Afrique.
Que propose Israël aux Africains ?
L’expertise en matière de sécurité et de surveillance est l’argument massue avancé par les Israéliens pour convaincre les chefs d’État africains.
«Les questions de sécurité et de lutte contre le terrorisme sont devenues centrales en Afrique. Le Tchad, par exemple, se bat contre Boko Haram et se dit prêt à coopérer avec nous. Tous les pays africains sont menacés chacun à sa façon et tous ont besoin de se défendre. Nous leur proposons du conseil qui intéresse – sans citer de noms – la grande majorité des pays africains», commente Barnéa Hassid.
Sur le terrain, des sociétés privées fondées par des anciens militaires de Tsahal fournissent une assistance pour former les gardes prétoriennes des présidents africains ou des unités d’élite.
C’est le cas au Cameroun où le bataillon de réaction rapide (BIR) a été organisé, entraîné et équipé par d’ex-soldats israéliens. Si ses hommes ne parlent pas hébreu comme on l’affirme parfois, le BIR, qui combat Boko Haram et les «sécessionnistes» anglophones, apparaît être de facto sous commandement d’Israéliens.
«En aidant un président à se protéger, vous avez plus d’impact qu’en équipant une armée», dit Anne Baer, directrice générale d’iKare Innovation, une société de conseil.
Dans le domaine de la surveillance des réseaux téléphoniques et Internet, les experts venus de Tel-Aviv, au travers d’entreprises privées, sont aussi très prisés.
Mais ce déploiement est discret. Ils occuperaient des fonctions, à des niveaux plus ou moins élevés, notamment en Côte d’Ivoire ou en Centrafrique.
Israël peut-il se réconcilier avec les pays arabo-musulmans d’Afrique ?
Dans l’esprit de Benyamin Nétanyahou, l’équation est simple: si vous avez quelque chose dont d’autres ont besoin, ces pays voudront traiter avec vous, même s’ils ne sont pas d’accord avec vous.
Il table sur la banalisation du conflit israélo-palestinien et les déchirements interpalestiniens pour faire évoluer les positions.
«Cela n’est pas l’étoile d’Israël qui brille plus, mais celle des Palestiniens qui se ternit», résume Anne Baer.