Six ans après la guerre lancée par Nicolas Sarkozy
Le mutisme et la “disparition” de l’Envoyé des Nations unies de la scène politique trouble en Libye, ont suscité de nombreuses questions dans l’opinion publique libyenne concernant le devenir du plan que Ghassan Salamè a proposé pour sortir de la crise libyenne sous l’égide de l’ONU.
Pour le journaliste libyen, Ali Mujahed, les derniers événements survenus en Libye après l’échec du deuxième round des négociations tenues à Tunis entre les délégués de la Chambre des représentants du peuple libyen (Parlement) et du Conseil ďEtat sur l’amendement de l’accord politique libyen, ont foudroyé et éclipsé le plan de M. Salamè. Dans un twitt sur sa page Facebook, Ali Mujahed a souligné que « les corps retrouvés dans la ville ďal-Abyar près de Benghazi avec des marques de torture et de balles et le raid non identifié contre la ville de Derna à l’extrême nord-est du pays et qui a fait 16 morts dont une majorité d’enfants et de femmes, ainsi que le blocus instauré contre la zone de Warshefana près de Tripoli et des bombardements contre certains de ses quartiers, sans compter la tentative d’assassinat à Benghazi du ministre délégué à l’Intérieur du gouvernement ďentente libyen, tous ces événements choquants et préoccupants vont alourdir la facture et la violence en Libye et pourraient faire échouer le plan de M. Salamè et réduire l’espoir qu’il avait fait naître chez les Libyens.
Deux étapes avant des élections
L’Envoyé de l’Onu en Libye avait proposé un plan onusien de sortie de crise lors d’une séance en marge des travaux de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre dernier, rappelle-t-on. Le plan était axé sur trois étapes dont la première est relative à l’amendement de l’accord politique libyen signé en décembre 2015 à Skhirat, au Maroc, et plus précisément l’article 8 relatif aux fonctions militaires et sécuritaires, c’est-à-dire le rôle du commandant général de l’armée nationale libyenne, le maréchal Khalifa Hafter, qui contrôle la partie est et de larges zones au Sud du pays.
La deuxième étape propose que le Parlement et l’entité chargée de la rédaction de la Constitution travaillent de façon égalitaire et donne à la Chambre des représentants du peuple la priorité pour légiférer sur l’organisation du référendum constitutionnel et les élections législatives et présidentielle avant la rédaction de la Constitution. La troisième et dernière étape est axée sur l’organisation du référendum pour l’adoption de la Constitution, suivie par les élections législatives et présidentielle, ce qui met fin à la période de transition.
Pas en arrière
Pour l’écrivain Mohamed al-Rahibi, M. Salamè a préféré adopter le mutisme et s’éloigner un moment de la scène politique libyenne en attendant que la nouvelle vague de violence s’estompe. Selon lui, cette violence vise à mélanger les cartes, comme l’ont toujours fait tous ceux qui tirent les ficelles dans la crise en Libye, qu’ils viennent de l’Est ou de l’Ouest, à chaque fois qu’une solution semble se dessiner à l’horizon.
De son côté, le professeur d’université Saleh Choaib, dans une déclaration faite à la PANA, voit dans la demande adressée par le Conseil présidentiel libyen au Conseil de Sécurité pour une enquête sur le raid effectué par des avions non identifiés contre la ville de Derna avec 16 morts et 20 blessés, un pas en arrière dans le processus d’approche obtenu par la France entre le président du Conseil présidentiel libyen, Fayez al-Sarraj, et le patron de l’armée, le maréchal Khalifa Hafter.
37 personnes assassinées
Le président français, Emmanuel Macron, avait organisé en juillet dernier à Paris une rencontre entre les deux hommes au cours de laquelle ils étaient parvenus à un cessez-le-feu, rappelle-t-on. Pour sa part, le Conseil ďEtat libyen présidé par Abderrahmane Souihli, a demandé au Conseil de Sécurité de se réunir pour discuter du « crime contre 37 personnes civiles dans la zone ďal-Aybar, à l’est de Benghazi ». Il a insisté sur la nécessité d’appliquer les résolutions du Conseil relatives à la protection des civils à cet égard.
Plusieurs internautes libyens ont estimé, dans les réseaux sociaux, que « l’assassinat collectif » des Libyens près de Benghazi en octobre dernier n’est pas le fruit du hasard, mais intervient après l’apparition de signes ďentente entre les parties en conflit dans le cadre du plan Salamè qui menait le pays vers la paix. Pour Mohamed Ali Bou Janah (32 ans, ingénieur), les auteurs de ce crime, dont plusieurs parmi eux étaient détenus par les services sécuritaires sous l’autorité de Khalifa Hafter, ont planifié cet acte pour saboter le dialogue qui mène à la fin de la crise. Pour Bou Janah, « des éléments du groupe salafiste allié du maréchal Khalifa Hafter seraient impliqués dans cette opération pour saboter le rapprochement entre Hafter et Sarraj ďune part, et faire échouer le plan de Salamè », d’autre part.
Prisonniers exécutés
Les populations de la région ďal-Abyar se sont réveillées le jeudi 26 octobre choquées par la présence de dizaines de morts, tous torturés avant d’être exécutés. Cette tragédie vient s’ajouter aux tueries enregistrées par la Libye depuis l’insurrection de 2011 à l’origine de la chute du colonel Mouammar Kadhafi. Le crime ďal-Abyar rappelle les tueries collectives perpétrées contre des éléments “terroristes” à Benghazi, tous tués par balles, dont la plus retentissante concerne l’exécution de 20 membres de Daech par des forces spéciales de l’armée libyenne dirigées par l’officier libyen, Mahmoud al-Warfali. Ces exécutions ont suscité une vague de condamnations localement et sur le plan international, amenant la Cour pénale internationale à demander l’arrestation et le jugement de cet officier libyen.
Pour rappel, les forces du gouvernement d’entente reconnu par la Communauté internationale ont exécuté en mai dernier, au moins 30 soldats prisonniers dans la base militaire de « Barrak Chatti », au Sud de la Libye. En dépit de la gravité de la situation et de l’augmentation de la violence en Libye, les pays concernés par la crise libyenne, notamment européens comme l’Italie, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, et ceux de la région sahélienne, sont conscients qu’aucune solution n’est envisageable pour régler les problèmes liés au terrorisme et à la migration clandestine sans la résolution préalable de la crise libyenne.
Pour cela, il est nécessaire de réunir les parties en conflit autour d’une table pour dialoguer et former un gouvernement libyen fort et une armée unifiée qui veille sur les frontières de ce pays d’Afrique du Nord situé à proximité de six pays africains et doté de 2.000 kilomètres de côtes le long de la rive sud de la Méditerranée. Ce dialogue est la seule démarche susceptible de sauver le plan de Ghassan Salamè.
Source: temoignages