Trois insurgés ont été tués ce jeudi 31 octobre par des tirs de drones américains au Pakistan, à la frontière avec l’Afghanistan, une information donnée par les services secrets pakistanais. Ce sont les premiers tirs de drones depuis la visite du Premier ministre Nawaz Sharif à Washington la semaine dernière, une visite au cours de laquelle il avait pourtant demandé solennellement l’arrêt de ces tirs à l’allié américain.
Comme prévu, Barack Obama ne s’est absolument pas plié aux exigences de Nawaz Sharif qui lui avait demandé mercredi dernier, lors de leur entretien à la Maison Blanche, l’arrêt de ces tirs de drones qui selon les estimations auraient fait en dix ans 2 000 à 3 000 morts. Une demande renforcée par la parution d’un rapport de l’ONU soulignant que ces tirs avaient aussi tué au moins 400 civils, et d’un autre rapport, cette fois de Human Rights Watch et Amnesty International, paru la veille de la rencontre Obama / Sharif, qui demandait la fin du secret sur ces attaques pour établir si elles violent les lois internationales.
Mais la position qui se voulait très ferme du Premier ministre pakistanais a été sensiblement affaiblie par un article du Washington Post soulignant que depuis des années Islamabad soutenait en fait en sous-main ces attaques américaines.
Pourquoi ces tirs
Depuis dix ans, les Etats-Unis effectuent des tirs de drones sur le territoire pakistanais, dans les zones tribales, près de la frontière avec l’Afghanistan, pour tuer des dirigeants talibans. Et à en croire l’article du Washington Post, les services secrets américains, qui commanditent ces attaques, ont ces dernières années « banalisé » ces tirs puisqu’ils ne visent plus seulement les chefs talibans mais aussi de simples combattants. Ces tirs ont d’ailleurs sensiblement augmenté depuis l’arrivée de Barack Obama au pouvoir, avec, rien que pour l’année 2010, 117 attaques selon le journal.
Alors pourquoi Islamabad condamne-t-il régulièrement les tirs du pays qui depuis le 11 septembre 2001 est son allié contre le terrorisme dans la région ? D’autant que les attentats des talibans n’ensanglantent pas seulement l’Afghanistan mais aussi le Pakistan. En fait, les dirigeants pakistanais estiment que ces frappes violent la souveraineté et l’intégrité territoriale du pays. Et elles ont beau être « précises » (à en croire les Américains qui l’ont encore répété à l’occasion du voyage de Nawaz Sharif), elles tuent aussi des civils : à en croire Islamabad, 2 200 personnes auraient été tuées en dix ans, parmi elles, pas moins de 400 civils… Ces tirs de drones sont donc loin d’êtres populaires chez les Pakistanais.
Un double discours
Tous les dirigeants pakistanais condamnent donc depuis des années ces tirs : Nawaz Sharif a d’ailleurs beaucoup parlé des drones lors de sa campagne électorale de mai dernier, ce qui lui permettait, sans trop taper sur l’allié américain, d’aller dans le sens de ses électeurs (les Pakistanais sont très anti-Américains). Et au final il a été élu.
Mais de fait ce discours des dirigeants pakistanais serait uniquement politique. Car tous les spécialistes sont formels : depuis des années, il y a un accord tacite sur ces frappes entre les deux pays. Le 24 octobre dernier, dans un article très documenté, le Washington Post affirmait même que cet accord n’était en fait pas tacite, que les deux pays communiquaient très régulièrement sur ces frappes, et qu’Islamabad indiquait même parfois aux Américains les cibles à viser. Un article désastreux pour Nawaz Sharif, paru le jour même de sa rencontre avec Barack Obama, à qui il allait demander l’arrêt de ces frappes.
Des frappes bien pratiques
Selon la chercheuse à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) Maryam Abou Zaab, si les deux pays s’entendent sur ce dossier, c’est que depuis plusieurs années les talibans pakistanais (le groupe Haqqani, basé dans les zones tribales du nord-ouest du pays) mènent des attaques extrêmement violentes au Pakistan – en six ans ils ont tué plus de 5 000 personnes. Et Islamabad sait pertinemment que si son armée attaque elle-même leurs bases, les attentats vont augmenter.
Par ailleurs, les Américains, et ils ne sont pas les seuls, soupçonnent une partie de l’armée pakistanaise d’avoir des liens avec ces talibans, qu’elle compterait utiliser en Afghanistan après le départ des Américains fin 2014. Elle les y utiliserait d’ailleurs déjà, entre autres pour contrer les intérêts indiens – l’Inde est depuis soixante ans la grande obsession des dirigeants pakistanais. D’où la volonté d’une partie de l’armée de ne pas attaquer ces talibans, en tout cas pas elle-même.
Une demande pour la forme ?
Nawaz Sharif n’a-t-il donc fait cette demande que pour la forme ? Précisons que les documents publiés par le Washington Post, des documents pakistanais et américains faisant état d’une entente sur ces tirs de drones, ne courent que de 2007 à fin 2011 : Nawaz Sharif n’est donc pas concerné par l’enquête, il n’est au pouvoir que depuis mai 2013. D’ailleurs aux Affaires étrangères pakistanaises on explique que « quel qu’ait été le fonctionnement par le passé », le nouveau gouvernement veut que les frappes s’arrêtent… Un sous-entendu pour le moins parlant.
En tout cas, quel que soit le point de vue des dirigeants pakistanais passés, présents ou futurs, les Américains ne s’offusquent visiblement pas de cette demande répétée de son allié pakistanais d’arrêter immédiatement ses frappes : les deux pays sont toujours alliés, Washington vient de débloquer une aide financière prévue depuis plusieurs années pour Islamabad, et continue comme si de rien n’était ses tirs de drones.
Source : RFI