Les militaires réclamaient du temps. Pour rassurer l’opinion française, François Hollande a voulu une reconquête rapide du Nord. Au prix de nombreux risques. Enquête.
MALI : Histoire secrète d’une guerre surprise (1ère partie)
Ce lundi 14 janvier 2013, dans le salon vert qui jouxte le bureau du chef de l’Etat, le débat est intense. François Hollande a réuni le deuxième conseil de défense depuis le déclenchement de l’intervention au Mali, trois jours plus tôt. Les principaux protagonistes de la plus importante action militaire menée par la France depuis un demi-siècle sont présents: Jean-Yves Le Drian, Laurent Fabius, le Général Puga, conseiller militaire du président, l’amiral Guillaud, chef d’état-major des armées, et les patrons des services secrets. Tous sont d’accord sur un point : malgré la mort d’un officier français, le début de l’opération Serval est un succès. Les frappes des Mirages 2000 et des hélicoptères ont stoppé la descente des djihadistes vers le sud. Mais, sur la suite de l’intervention, les opinions divergent.
A la table du conseil, deux logiques s’affrontent. « L’amiral Guillaud souhaitait concentrer tous les efforts vers un seul but : frapper Aqmi le plus fort et le plus loin possible, dit un important responsable français. Le président, lui, voulait aussi des victoires symboliques, la prise de villes, pour rassurer l’opinion publique. » Il y a un autre différend. « L’état-major imaginait une guerre façon Otan, dit un officiel de haut rang. C’est-à-dire lancer l’offensive vers le nord une fois seulement toute la logistique parvenue sur le terrain. » Obsédé par le risque d’enlisement, François Hollande veut, lui, rogner sur les délais au maximum, mener une « guerre à la française ».
Le 14 janvier, l’amiral Guillaud prévient que l’acheminement du matériel et des 4 000 hommes au Mali va prendre deux semaines. Il ajoute qu’il prévoit de libérer une seule ville, Gao, la plus facile à prendre. « Non, il en faut deux, dit François Hollande, Gao et Tombouctou. » L’amiral répond que cela ne pourra se faire que fin février. « Fin janvier », ordonne le Président de la République, qui refuse toute pause. Un pari risqué – qui sera gagné grâce à plusieurs facteurs.
Les amis à la rescousse
L’aide des alliés est indispensable. « Avec ses moyens propres, assure un officier, l’armée française ne serait pas parvenue à tenir les délais fixés par le Président. » Elle manque cruellement d’avions de transport et de moyens de renseignement. Le drone Harfang n’est pas encore opérationnel. Pour suivre les déplacements en temps réel des 2 000 djihadistes, les militaires n’ont que des ULM et de vieux appareils Atlantic. Les Britanniques viennent immédiatement à leur rescousse. Dès le lendemain des premières frappes, ils mettent un avion de renseignement dans le ciel malien.
Les Etats-Unis sont moins rapides. Un mois avant, Jean-Yves Le Drian a bien obtenu, en secret, un accord de principe pour le déploiement de drones américains, en cas d’intervention. « Mais certains drones dépendaient de la CIA, d’autres du Pentagone et le superavion de surveillance, Global Hawk, d’un commandement en Italie », raconte un haut responsable. Il faut coordonner le tout. Si bien que, pendant une semaine, les militaires français n’ont pas d’images de l’ennemi vingt-quatre heures sur vingt-quatre. « Pour les avions-cargos, on a loué des Antonov 124 à des sociétés privées russes et ukrainiennes, dit une source à la Défense, mais il n’y en avait pas assez. » Les Belges et les Allemands en fournissent quelques-uns, mais pas suffisamment. Après trois semaines de tergiversation, la Maison-Blanche accepte de mettre des C-17 à la disposition de Paris. « Les alliés nous ont fait gagner trois semaines dans le déploiement des forces et deux semaines dans les frappes », estime-t-on au ministère de la Défense.
Les erreurs des djihadistes
L’intervention est d’autant plus rapide que les djihadistes font de mauvais choix tactiques. « Nous avions prévu que la prise de Tombouctou durerait cinq jours », confie-t-on à la Défense. « Mais ils ont fui et, en un jour, tout était fini. S’ils avaient décidé d’organiser la résistance à Gao et Tombouctou, il nous aurait manqué deux compagnies », précise un officier. Les djihadistes n’ont pas non plus l’idée de poser des bidons vides sur la route. »Nous aurions dû envoyer une équipe de déminage pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’engins explosifs. A chaque fois, cela nous aurait retardés de plusieurs heures. » « Pendant quelques jours », ajoute un autre responsable, « nous tenions le pays avec seulement trois compagnies d’infanterie. S’ils nous avaient harcelés, nous aurions beaucoup souffert. Mais, à part une brève embardée vers l’ouest, les djihadistes choisissent de filer vers leur citadelle de l’Amettetaï, au nord. Ils ont cru que nous ne les attaquerions pas là-bas », conclut-il.
Tuer Sanogo ?
Alors qu’ils commencent à tenir le pays, une question taraude les Français. N’ont-ils pas là l’occasion de régler l’épineux problème Sanogo ? Le capitaine de l’armée malienne, auteur du coup d’Etat de mars 2012, gène bigrement Paris. Il risque de vouloir reprendre le pouvoir et de mettre à mal toute la stratégie de l’Elysée. Que faire de lui ? « Le tuer ? Certaines capitales africaines nous l’ont demandé, et nous nous sommes interrogés, reconnaît un responsable français. Mais on ne l’a pas fait de peur d’aggraver la situation politique. » On préfère le neutraliser. On lui donne un titre ronflant, Président du Comité de Suivi de la Réforme de l’Armée. Des Africains lui proposent un exil doré. En vain. Sanogo reste.
Les encombrants journalistes
Très vite, la France doit gérer un autre problème : l’information. Les journalistes reprochent à l’armée de les empêcher d’aller dans les zones de combat. Paris rejette la faute sur l’armée malienne, « qui a peur des enlèvements ». Non sans raison : « On a intercepté des communications qui indiquaient que, lors de leur raid du 9 février à Gao, les djihadistes voulaient prendre des journalistes en otage », révèle un officiel français.
Ce n’est pas toute la vérité. Furieux d’avoir à agir aussi vite, les militaires refusent de s’encombrer de la presse. Avec le pouvoir politique, c’est donnant-donnant : on fonce, mais sans journalistes. De toute façon, quoi montrer ? Menée surtout par les forces spéciales, la guerre se résume à des accrochages violents entre des petits groupes, alors le ministre gonfle l’importance des opérations. « Quand Le Drian annonçait une offensive, ça se résumait à trois véhicules blindés », dit un militaire.
Sus au Quai-d’Orsay
Début février, une autre guéguerre fait rage à Paris. Depuis la chute de Gao et de Tombouctou, le ministère de la Défense n’en démord pas : les diplomates sont trop mous, ils ne feraient rien pour régler le dossier de la réconciliation entre le pouvoir central malien et le mouvement indépendantiste du Nord. Du coup, les militaires redoutent de se retrouver coincés longtemps au Mali, à cause d’un abcès de fixation, à Kidal, troisième ville du Nord, tenue par les séparatistes touaregs du MNLA. « Fin janvier, la France pouvait exiger du pouvoir à Bamako qu’il négocie avec ces rebelles, assure-t-on à la Défense. A ce moment-là, le Président Traoré aurait signé n’importe quoi. » Pourquoi avoir laissé passer cette opportunité ? « Vous vouliez que l’on fasse comme Foccart? », demande, agacé, un haut diplomate, en référence au « Monsieur Afrique » de De Gaulle.
La querelle entre la Défense et les Affaires étrangères se solde le 21 mars par la désignation d’un bouc émissaire : l’ambassadeur de France à Bamako, Christian Rouyer, qui est débarqué. « Il ne convenait pas pour un tel poste en Afrique, juge un officiel, il aurait été parfait comme ambassadeur en Finlande. » La victoire des militaires est complète puisque ce sont eux qui soufflent le nom de son successeur, Gilles Huberson, un ancien de Saint-Cyr qui a déjà pris langue avec le MNLA.
Le MNLA, un allié gênant
Les diplomates ont du mal à digérer les reproches des militaires : si Kidal pose problème, disent-ils, c’est parce que le MNLA est protégé par la DGSE. « Les services secrets ont besoin de ces Touaregs parce qu’ils ont des liens avec les preneurs d’otages », lâche un responsable français. Pour la chasse aux djihadistes aussi, ils sont utiles, du moins le croit-on. A ce sujet, Jean-Yves Le Drian reconnaît que les Français « se coordonnent » avec le groupe touareg dans la guerre contre Aqmi. En vérité, « entre le MNLA et la France, il y a un deal historique : parce que c’était une force laïque qui a pour ennemis les terroristes islamistes, la DGSE les aide depuis dix ans », admet un haut responsable français, confirmant ce que « le Nouvel Observateur » avait révélé il y a un an.
A Bamako, la mise sous protection française du MNLA agace. On reproche aux « libérateurs » de s’être alliés à ces rebelles considérés comme responsables de la crise. Une attitude jugée d’autant plus incohérente que, selon un officiel malien, « le MNLA a vendu à la France plus de beurre qu’il n’avait de lait ». De fait, au Quai-d’Orsay, on reconnaît qu’ils ont été moins utiles qu’on ne l’avait espéré », notamment pour préparer l’assaut dans l’Amettetaï.
700 djihadistes tués
C’est là, tout au nord du Mali, dans une vallée de 10 kilomètres sur 20, que débutent, en mars, les affrontements les plus violents. L’Amettetaï est la citadelle des djihadistes. « Depuis trois ans, nous avions repéré qu’ils s’y étaient sédentarisés », dit un responsable. Il y a là 400 personnes, des jardins potagers et un important stock d’armes prises à l’armée malienne en 2012 et « un peu en Libye ». « Ils avaient mis en place des canons, des lance-roquettes, mais ils ne savaient pas s’en servir », explique un officier.
L’Amettetaï a été leur péché d’orgueil. Ils ont affirmé que ce serait la mère de toutes les batailles et ils ont perdu. Selon le ministère de la Défense, 130 djihadistes ont été tués durant ces combats-là. Aqmi y a subi une très lourde défaite militaire et psychologique. « Il a perdu la face vis-à-vis des leaders d’Al-Qaida. Et pour les jeunes tentés par le djihad, le Sahel est désormais beaucoup moins attractif que la Syrie », affirme la même source. Mais la menace n’est pas totalement écartée pour autant. Depuis le début de l’opération Serval, 600 à 700 djihadistes sont morts. Il en reste donc plus de 1 000 dans la nature. Où ? « Une moitié s’est fondue dans la population et a renoncé (provisoirement ?) au combat ; l’autre s’est dispersée plus au nord ou dans les pays limitrophes », assure une source au ministère de la Défense.
Nos amis tchadiens
Dans ce combat inachevé, les alliés tchadiens ont été « très utiles », reconnaît-on à la Défense. C’est de N’Djamena que décollent les Mirages 2000 qui frappent les djihadistes dès le 11 janvier. Et 2 000 soldats tchadiens, seules troupes de la région aguerries au désert, sont employés au nettoyage de l’Adrar des Ifoghas, le bastion d’Aqmi. Ils vont payer le prix fort : au total, 38 morts contre 6 côté français. Ont-ils servi de chair à canon ? Nul ne l’admettra, bien sûr. A Paris, on voit dans ce nombre élevé de tués le résultat d’une « erreur tactique ». « Les Tchadiens ont voulu prendre imprudemment un piton et des tireurs les ont alignés. » A N’Djamena, on invoque « une culture de combat basée sur le risque et sur l’homme ». Quoi qu’il en soit, le Président tchadien saura tirer les dividendes de son alliance avec Paris. Alors qu’il accueillera en héros les 700 premiers soldats de retour au pays, il arrêtera des opposants sans que l’Elysée ne proteste bien fort.
Guéguerre à l’ONU
La France ne s’embarrasse pas de détails. Elle est pressée de partir et veut passer au plus vite le témoin à une force de l’ONU. Les Américains acceptent à une condition : que la France conserve sur place des troupes antiterroristes. « Pas plus de 300 hommes », dit Paris, qui veut que cette force dite « parallèle » soit commandée par un Français et que celui-ci ne prenne pas ses ordres à l’ONU. A New York, les fonctionnaires tiquent. Ils veulent plus de soldats français et un commandement onusien.
Un compromis est trouvé le 25 avril. Une résolution du Conseil de Sécurité crée une force de maintien de la paix de 12 600 hommes, la MINUSMA, et une force d’appui d’environ 1 000 soldats français. Sous commandement national, ces derniers interviendront « à la demande du Secrétaire Général des Nations unies », mais « notre feu vert ne sera pas automatique », précise-t-on à Paris. Comprenne qui pourra. Autre imbroglio toujours en suspens : le choix du commandant de la MINUSMA. Le Président tchadien réclame le poste pour son fils adoptif, qui vient de rentrer du Mali. A Paris, « on souhaite que ce soit un Africain… compétent ».
Des élections au forceps
La France devrait bientôt tourner la page de la guerre – du moins le croit-elle. La force onusienne doit se déployer le 1er juillet. Le but : sécuriser l’élection présidentielle prévue pour le 28 juillet. Bien qu’elle s’en défende, la France a imposé ce calendrier très serré. Hollande se dit « intraitable » sur le sujet. Quitte à ne pas entendre tous ceux qui jugent ce scrutin prématuré (qui va se dérouler en plein ramadan !). Le Secrétaire Général de l’ONU a émis de sérieux doutes quant à sa faisabilité et sa légitimité. « Il n’a pas une meilleure connaissance du Mali que nous », répond un diplomate français. »Seul un gouvernement légitime pourra mener la réconciliation », argumente un autre. « Et puis les Etats-Unis subordonnent la reprise de leur aide au Mali au retour d’un pouvoir démocratique à Bamako. Mais le sera-t-il ? Des négociations entre rebelles et pouvoir central ont enfin commencé. Le Président par intérim, Dioncounda Traoré, a promis à Paris qu’il ne reconquerrait pas Kidal [le sanctuaire des rebelles touaregs] par les armes ». Mais il a récemment changé de ton : »L’armée doit être à Kidal avant le premier tour », a-t-il dit, laissant ainsi planer le spectre d’une nouvelle guerre civile. Le pire des scénarios pour la France.
Qui a tué Abou Zeid ?
Comment ce commandant d’Aqmi au Sahel est-il mort ? Le 1ermars, le président tchadien annonce que son armée a tué Abou Zeid lors de violents combats près d’In Sensa dans le nord du Mali. « En réalité, il a succombé à un bombardement de l’un de nos Mirages dans la zone tenue par les Tchadiens », assure un officiel à Paris. Abou Zeid était-il visé ? « Non, ce n’était pas une opération homo [homicide]. Mais nous pensions qu’il était dans les parages puisque nous avions repéré son téléphone. » Au début, les Français ne sont pas sûrs que le corps déchiqueté soit bien le sien, « même si la photo de son visage pouvait le laisser penser ». « Nous avons envoyé des hommes sur place prendre sur le cadavre de quoi faire une analyse ADN. Le 20 mars, nous avons acquis la certitude qu’il s’agissait bien de lui. » Mais les militaires laissent à François Hollande le soin d’annoncer lui-même la nouvelle, trois jours plus tard.
Des détournements d’avion déjoués ?
Dans les lieux tenus par Aqmi, les militaires français ont découvert un grand nombre de documents, des centaines de pages écrites en arabe détaillant l’activité des groupes. « Comme les talibans, ils étaient très procéduriers, assure un responsable français. Sur des cahiers, ils tenaient une comptabilité détaillée des entrées et des sorties d’argent et de matériel. » Les Français ont trouvé un manuel pour gérer une ville, un autre sur l’organisation d’une administration. A Gao et à Tombouctou, ils ont également découvert des ateliers de fabrication d’engins explosifs improvisés, les fameux IED. Plus inquiétant, « à Gao, révèle un officiel français, on a trouvé les traces de repérage de vols entre l’Afrique et la France, et entre l’Afrique et l’Espagne ». En vue de détournements d’avion ? « On peut le craindre. »
Sarah Halifa-Legrand et
Vincent Jauvert (« Le Nouvel Observateur » du 6 juin.)
Notre commentaire
Les enseignements de cet article, c’est que le MNLA est le protégé des services secrets français (DGSE) depuis 10ans. Et le nouvel ambassadeur de France au Mali Gilles Huberson a été proposé par l’armée française et nommé pour sa proximité avec le MNLA. Mais les services français ont tout faux car le MNLA n’est pas l’organisation laïque et républicaine qu’ils décrivent. A l’épreuve des faits, entre 2012 et 2013, tout le monde a pu mesurer leur duplicité et leurs accointances avec les terroristes d’Ançardine et autres Aqmi… Ensemble, ils ont commis des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre à Ageul’hoc, à Tessailt, à Kidal, etc. Et à ce jour, les pseudo-combattants du Mnla présents à Kidal sont des jihadistes recyclés d’Ançardine et d’Aqmi. On comprend maintenant pourquoi l’armée française a assisté impassible à l’épuration ethnique opérée par le Mnla courant juin 2013. Hollande a intérêt à ouvrir les yeux si non il va perdre les bénéfices politiques de l’opération Serval qui est en passe de ressembler à l’opération turquoise de triste réputation au Rwanda.
Mamadou DABO