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Les multiples facettes de la migration: Pierre Yossa, un ancien migrant devenu consultant

Chargé de communication et de Planification dans l’Association des refoulés d’Afrique centrale au Mali (Aracem), Pierre D. Yossa est un ancien candidat à la migration. Ex-administrateur de la Maison des migrants de Gao, il a abandonné son rêve de l’eldorado européen pour mettre ses expériences au service de ceux et celles qui ont pris le chemin de l’aventure. Au Mali où il vit depuis 2008, ce Camerounais participe à plusieurs campagnes d’information et de sensibilisation. Consultant sur les questions migratoires, il plaide pour une gestion rationnelle des ressources publiques.

Habillé en pantalon jean bleu et tee-shirt noir, Pierre D. Yossa a les yeux rivés sur son ordinateur portable dans son bureau au siège de l’Association des Refoulés d’Afrique Centrale au Mali (Aracem) à Niamakoro, un quartier populaire de la commune VI du district de Bamako.
Originaire de la région de l’ouest du Cameroun, Pierre D. Yossa est Bamiléké, une ethnie conservatrice et traditionnaliste. Ses ancêtres ont migré d’Israël vers le Cameroun en traversant l’Egypte et le Soudan. Du nord du Cameroun, ils se sont déplacés vers l’ouest appelé la région des montagnes de hautes herbes (grassfield), où les conditions de vie sont extrêmement difficiles.
Issu d’une famille polygame où le travail, l’entraide et la solidarité demeurent des valeurs cardinales, Pierre D. Yossa a une licence en lettres modernes. «J’ai fait plusieurs concours mais j’ai toujours échoué. C’est ainsi que j’ai décidé de partir en Libye», explique-t-il en secouant la tête. «Pour moi, partir, c’était pour revenir. Mon but était d’aller chercher des partenaires libyens pour une exploitation industrielle de bois car mon pays est très riche en ressources forestières», précise Pierre Yossa.
Le jeune diplômé qu’il était, opte pour la voie régulière. Il se rend alors à l’Ambassade de Libye pour obtenir un visa. «On m’a refusé le visa. C’est pourquoi j’ai pris la route», souligne-t-il. Il quitte, en 2000, le Cameroun, transite vers le Nigéria avant de fouler le sol nigérien. Sans grande difficulté, il arrive à atteindre la ville de Djanet en Algérie.
Des difficultés du désert au séjour libyen
Avec une centaine de migrants, il décide de rejoindre la Libye, le trajet le plus difficile. Le guide donne les derniers conseils avant le départ et insiste sur un détail : «Si quelqu’un tombe, il ne faut pas s’arrêter ». Après plus de 15 km, se souvient-il, «nous avons été attaqués par des bandits. Ils nous ont dépouillé de tous nos biens, nous laissant seulement les nourritures ».
Au troisième jour de la marche, la fatigue commence à gagner le groupe. Et au 5ème jour, nous avons perdu deux compagnons. Ils ont oublié le dernier conseil du guide et tenté de couvrir les corps de leurs compagnons. «Mais nous n’avions plus la force de creuser des tombes», lance Pierre Yossa en baissant la voix. «Sur le chemin, nous retrouvions des valises abandonnées, des squelettes d’êtres humains, des passeports et cartes d’identité brûlés par le soleil ».
A distance, le guide leur montre des lumières et leur ordonne de marcher tout droit pour entrer en Libye. Le groupe n’est pas au bout de sa peine. Les migrants marchent pendant la nuit sans atteindre le lieu indiqué par le guide qui semblait pourtant proche. Ils commencent alors à se disperser dans le désert en petits groupes à la recherche de points d’eau et d’arbres pour se reposer.
Après 18 heures de marche, Pierre D. Yossa, désespéré, se couche sous un arbre. Il multiplie les prières et implore ses ancêtres. Comme par miracle, il entend un appel à la prière. Il sursaute et cherche à localiser la direction de cette voix qui lui insuffle de nouvelles énergies. Très diminué par la faim et la soif, il se débrouille à faire des pas.
Après quelques minutes de marche, il tombe sur la ville libyenne de Gath et aperçoit une vieille dame en train d’arroser son jardin. Il bondit sur la vieille et tente de lui arracher le raccord. Elle refuse et, en arabe, lui dit de faire doucement. Mais tenaillé par la soif, le jeune homme n’entend plus rien. Imperturbable, la vieille dame lui donne de l’eau par gouttes, prenant le soin de mettre des minutes d’intervalle entre les gouttes d’eau.
Chose qui s’est avérée salutaire pour lui. La dame lui donne aussi à manger. Il dort pendant plusieurs heures. Il y passe quelques semaines, exerçant de petits boulots. Puis, un jouir, il part pour Sabba où, tantôt il est aide-maçon, tantôt aide-électricien. Il retrouve plusieurs de ses compatriotes camerounais. Par la suite, il remonte à Tripoli où il travaille dans un cybercafé.
Ce boulot lui permet d’établir le contact avec sa famille. A l’époque, déclare-t-il, «nous ne rêvions pas d’aller en Italie.. En Libye, aucun migrant ne dormait à la belle étoile. Kadhafi avait construit des sites vides où l’eau et l’électricité étaient gratuits», affirme Pierre Yossa.
« Ma vie bascule à Gao »
Il échappe à une première tentative de refoulement vers son pays. Par la suite, il retourne au Cameroun. Mais pas pour longtemps. Il reprend le chemin de l’aventure. Cette fois-ci, il décide d’aller en Europe via l’Algérie. A Tinsaouatin, ville algérienne frontalière avec le Mali, il est refoulé. Il se débrouille pour rentrer à Kidal. De la capitale de la 8ème région administrative du Mali, il regagne Gao, carrefour des candidats à la migration. «A Gao, ma vie bascule», lance-t-il.
A la Gare de la compagnie de transport «Sonef» de cette ville située à 1. 200 km de Bamako, le jeune candidat recalé enchaîne les petits boulots. Dans un premier temps, il se contente de mettre l’eau dans les sachets pour le frigo. Ces sachets d’eau glacée étaient essentiellement destinés aux différents cars de la compagnie. Pour ce job, il recevait un salaire mensuel de 20. 000 FCFA. Quand il y a un poste vacant au sein du restaurant de la gare, il saute sur l’occasion. En un laps de temps, Pierre réussit à donner un autre visage au restaurant qui attire de plus en plus de monde grâce, en partie, à sa recette d’omelette. Sa rémunération monte à 40. 000 FCFA. «Je remercie ma tante Monique qui m’a appris à préparer quand j’étais encore étudiant», souligne-t-il.
‘’On peut faire sa vie n’importe où si l’on croit en ses capacités, travaille dur et rêve grand… ‘’
Le jeune candidat à la migration fait la connaissance du Père Anselme Mawehra de Caritas Gao, qui venait régulièrement acheter des billets pour les migrants refoulés. «Ils partaient solliciter l’aide de l’église», nous confie Pierre Yossa. Ce contact noué avec le prélat lui permet de rencontrer Aracem. Il se confie au père Anselme qui lui demande de renoncer à son projet.
C’est dans ce contexte que plusieurs organisations se mettent ensemble pour créer la Maison des migrants de Gao, et il en devient le premier administrateur. «La Maison des migrants, c’est comme mon fils», explique Pierre Yossa qui reste très proche des migrants. Il s’occupe de l’accueil, du suivi psychologique, de l’écoute et du suivi juridique de celles et ceux qui échouent à atteindre leur destination finale.
Quand la crise éclate en 2012 avec l’occupation des régions du nord du Mali par les forces obscurantistes, Pierre se replie sur Bamako. Il est désormais chargé de la communication et de la planification d’Aracem. En 2014, l’association décide de créer son propre centre d’accueil des migrants à Gao. Et Pierre y est envoyé comme Responsable régional.
L’expérience fait long feu, car le centre est vite fermé. Il retourne à Bamako pour reprendre son rôle de chargé de communication et de planification d’Aracem. Formateur des stagiaires, il est travailleur social de la Cooperazione Internazionale (COOPI) dans le cadre du Programme d’appui à la réintégration durable des migrants de retour par le biais du soutien psychosocial.
Le rêve d’eldorado de Pierre s’est envolé. Il effectue des missions un peu partout en Europe et retourne au Mali. Consultant en questions migratoires, il anime des conférences et participe à plusieurs campagnes de plaidoyer pour une meilleure défense des droits des migrants. «On peut faire sa vie n’importe où. Il suffit de croire en ses capacités, travailler dur et rêver grand», martèle-t-il.
Il appelle les dirigeants africains à créer des emplois, arrêter la corruption et le gaspillage et gérer de façon rationnelle les ressources publiques.

Chiaka Doumbia

Source: Le Challenger

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