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«Les Maliens ne vont pas résoudre le problème de la lutte anti-djihadiste avec la Russie»

La junte au pouvoir à Bamako a annoncé le 22 mai se retirer du G5 Sahel. Pour l’ancien ambassadeur de France au Mali Nicolas Normand, ce retrait est une mauvaise nouvelle pour la sécurité de la région qui voit la menace terroriste progresser.

Nicolas Normand a été ambassadeur de France au Mali de 2002 à 2006, au Congo, au Sénégal et en Gambie. Il est l’auteur du Grand Livre de l’Afrique, Ed. Eyrolles, 2018 édition mise à jour en juin 2022.

Nicolas NORMAND. – Le Mali devait, depuis février, selon une présidence tournante chaque année, succéder au Tchad comme président du G5 Sahel. Un pays qui n’a pas été mentionné, sans doute le Niger, se serait opposé à la présidence du Mali compte tenu de sa situation particulière sur le plan institutionnel et politique, de son alliance avec la Russie et de l’emploi de mercenaires Wagner.

C’est la raison officielle avancée par le Mali, mais la raison principale est sans doute politique. D’une part le Mali est en déphasage avec les autres pays du G5 Sahel, spécialement avec le Niger leur voisin. D’autre part, les Maliens renforcent leur alliance avec la Russie. Enfin, la troisième raison qui peut être invoquée est le fait que le G5 Sahel n’ait pas démontré son efficacité.

Quelles conséquences sur la sécurité du Sahel ?

Cette décision n’a pas de conséquences importantes car le G5 Sahel n’était pas opérationnel. J’ai toujours été réservé sur cette force.

De mon point de vue, l’idée était trop ambitieuse par rapport aux réalités. Il aurait été plus simple de commencer par renforcer les armées bilatérales et de faire des accords bilatéraux de poursuite entre les États. Un instrument multilatéral est bien pour se concerter, mais est compliqué à faire fonctionner. Pour autant, dès lors que le G5 Sahel a été créé, il fallait essayer de le faire fonctionner. Si on avait renforcé individuellement les cinq armées du G5 Sahel, et qu’on avait créé une structure qui fonctionne avec un financement pérenne, ce qui était possible dans le temps, le G5 Sahel aurait pu devenir un instrument d’appropriation par les pays du Sahel de la lutte contre les djihadistes, à la place de Barkhane.

Les États-Unis n’étaient pas non plus favorables au G5 Sahel. C’est une des raisons pour lesquelles les forces du G5 Sahel n’ont pas de mandat de la part des Nations unies au titre du chapitre 7 de la Charte. En théorie, le G5 Sahel n’a pas le droit d’employer la force, sauf en cas de légitime défense. On pouvait certes estimer que la force du G5 Sahel agissait dans le cadre d’une légitime défense collective. Cependant, symboliquement, c’est important de noter que les États-Unis se sont opposés au conseil de sécurité de l’ONU à ce que la force du G5 Sahel ait un mandat au titre du chapitre 7, c’est-à-dire permettant d’utiliser la contrainte.

Malgré toutes ces réserves, on pouvait faire fonctionner cette force. Le fait que le Mali s’en retire et s’allie à la Russie est mauvais pour la sécurité de la région. Il faut une concertation entre les pays car les terroristes ignorent les frontières. Ils sont beaucoup dans la région dites des trois frontières entre le Burkina-Faso, le Niger et le Mali, notamment l’EIGS: l’organisation état islamique au grand Sahel. C’était donc bien qu’il y ait au moins une structure, que j’aurais préféré garder informelle, de concertation.

Le Mali s’est déjà retiré de Barkhane, de la force Takuba européenne, maintenant il se retire du G5 Sahel. Prochainement, il va peut-être se retirer de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali), la dernière chose qui reste. EUTM, l’organisme européen de formation au Mali, a également cessé ses activités.

Ce n’est pas une vraie aide, c’est du business. Les mercenaires russes coûtent 10 ou 12 millions d’euros chaque mois, alors que le Mali est en cessation de paiement

Nicolas Normand

Le Mali veut faire une lutte anti-djihadiste avec l’aide des Russes. Le problème est que l’aide russe est payante et que le Mali est un État pauvre. Les mercenaires coûtent 10 ou 12 millions d’euros chaque mois, alors que le Mali est en cessation de paiement du fait des sanctions. Il a déjà près de 200 milliards de FCFA de retard sur le paiement de sa dette. D’autre part, la Russie ne va pas investir véritablement pour aider le Mali puisqu’elle fait payer ces mercenaires, n’apporte pas d’aide au développement, et une aide en matière sécuritaire marginale. Elle vend son matériel de guerre, mais ne le donne pas: ce n’est pas une vraie aide, c’est du business.

Les Maliens ne vont donc pas résoudre le problème de la lutte anti-djihadiste avec la Russie. Cela fait partie des mauvaises nouvelles que nous apporte régulièrement le Mali.

Les pays du Sahel ont-ils nécessairement besoin d’une force étrangère ?

Oui, même le Mali le reconnaît puisqu’il fait appel aux Russes. Les pays du Sahel ont besoin d’une force étrangère. Le président du Niger l’a bien expliqué, il a fait de la pédagogie auprès de sa classe politique et de sa population, parce que les armées du Sahel sont très faibles. Elles sont très faibles parce que les États sont très faibles. Et si les États sont très faibles c’est parce que leur fiscalité est elle-même très faible. Le système économique est largement informel, le taux de prélèvement obligatoire dépasse rarement 10%, pour des pays qui n’ont pas beaucoup de ressources. Par ailleurs, depuis des décennies, les présidents des pays africains en général se méfient de leurs armées à cause de la fréquence des coups d’Etat militaires.

À ces deux raisons, les faibles ressources et la crainte d’une armée puissante, s’ajoutent le dysfonctionnement général de l’État et son système clientéliste. Par exemple, les militaires sont souvent payés en liquide par les officiers. Tout ceci facilite la corruption et le clientélisme, le recrutement des militaires ne se base pas forcément sur leurs compétences.

En 2012, l’armée du Mali comportait 16000 hommes. Aujourd’hui elle a doublé ces effectifs pour être autour de 30 000, mais comparée à l’armée algérienne qui comporte 500 000 hommes, la différence est considérable. Le budget est de quelques centaines de millions de dollars, alors que celui de l’Algérie est de l’ordre de 10 ou 15 milliards de dollars. Les armées sahéliennes sont peu entraînées, peu professionnelles, alors que les djihadistes ont des équipements importants et sont très motivés. Il faut des moyens aériens, des drones, des moyens de surveillance et d’actions militaires directes pour faire face à cette menace, qui n’a cessé de s’accentuer depuis 2012. La menace est croissante et déstabilise toute la région. Il y a besoin d’une aide internationale. La force de casque bleue est purement défensive, n’existe qu’au Mali, et n’a même pas dans son mandat de combattre les terroristes.

La solution adéquate serait que les armées nationales se renforcent avec une aide internationale. Mais il est important que cette aide internationale ne soit pas trop visible. Barkhane a souffert de sa trop forte visibilité sur une période prolongée et donc a été ressenti comme une armée d’occupation. C’est une réalité dont il faut tenir compte. Il faut une aide internationale peu visible, en arrière-plan et non en première ligne, qui soit une aide en conseil, en financement, en matériel, et en renseignement. Sans cette aide internationale, les armées sahéliennes ne tiennent pas le choc devant les forces djihadistes, que ce soit AQMI ou le EIGS, les deux nébuleuses actives au Sahel. On l’a vu en 2012 quand l’armée malienne a été facilement battue par les djihadistes. De nouveau en 2014, elle a subi une deuxième défaite contre les séparatistes à Kidal.

L’aide au développement ne sert à rien si un minimum de sécurité n’est pas assuré sur ces territoires. C’est une priorité pour l’Europe que d’apporter une aide militaire importante à ces pays qui sont nos voisins. On ne peut pas négliger cette menace très importante sur notre flanc sud qui, si elle n’est pas traitée, va se traduire par des problèmes de terrorisme en Europe et des problèmes migratoires. Les pays du Sahel ont également besoin de cette aide internationale. Il y a donc un intérêt partagé à aider les armées sahéliennes. Il n’y a que le Mali qui fait bande à part avec la Russie et qui pose un problème. On ne peut pas forcer le Mali à accepter l’aide européenne puisqu’ils n’en veulent pas.

On observe une détérioration de la situation sécuritaire au Mali depuis deux ans.

Nicolas Normand

L’action du G5 Sahel permet-elle de lutter efficacement contre le terrorisme ?

La réponse est mitigée. Le G5 Sahel présente un avantage qui va disparaître avec le retrait du Mali, celui d’être la seule structure de concertation sur la lutte antiterroriste qui existait au niveau des cinq pays du Sahel central. C’est regrettable que cette structure de consultation et de coordination disparaisse. Sur le plan de l’efficacité, la force conjointe du G5 Sahel représente 5000 hommes, mais ce n’est pas une vraie force multilatérale sur le modèle, par exemple de la FSM qui agit contre Boko Haram au nord du Nigeria. C’est une force où les contingents restent chacun dans leur pays, et sont déployés des deux côtés de la frontière, avec un droit de poursuite de 250 kilomètres environ dans le pays voisin. En pratique, ce système, créé en 2014 sur le papier, a commencé à fonctionner à partir de 2017. Il est un peu compliqué et pas très opérationnel.

Il y a un double problème. Un problème de structure parce que les armées de chacun de ces pays sont des armées faibles, et les additionner ne les rend pas plus fortes. Le deuxième problème est que le financement n’était pas assuré. Le G5 Sahel a été créé avant la structure qui pourrait désormais le financer, c’est-à-dire la Facilité européenne pour la paix qui n’existait pas avant 2021. Un autre instrument européen existait, la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique, mais qui ne pouvait financer que l’Union africaine. Or, le G5 Sahel n’est pas une force de l’Union africaine. Désormais, la Facilité européenne pour la paix peut financer directement des actions extérieures sans passer par l’Union africaine. Au moment où le problème de financement est résolu, malheureusement le G5 Sahel disparaît.

Le Tchad en ce moment fait des démarches pour essayer de convaincre le Mali de revenir sur sa décision, car il veut pouvoir transmettre la présidence au Mali et donc convaincre le Niger et les autres pays que c’est possible, et deuxièmement le G5 Sahel ne peut pas survivre sans le Mali. Je ne pense pas que les démarches tchadiennes vont aboutir, mais il y a un petit espoir, faible, que le Tchad parvienne à convaincre le Mali.

Les groupes terroristes ont-ils gagné du terrain depuis le retrait de Barkhane et des troupes françaises au Mali ?

Oui, dans les statistiques on observe une augmentation du nombre des victimes. Il y a quand même un fait positif, c’est que l’armée malienne semble s’être plus appropriée la question du combat contre les djihadistes depuis le départ de Barkhane et l’arrivée de la junte militaire au pouvoir. Avant le régime était très passif, et ne communiquait pas. Avec la junte actuelle, il y a une meilleure appropriation des questions sécuritaires. Il y a également une meilleure communication, mais malheureusement faussée par la propagande, qui fait croire que la situation serait sous contrôle.

Or, la situation n’est pas du tout sous contrôle, on observe une détérioration de la situation sécuritaire au Mali depuis deux ans. Il y a eu un premier coup d’Etat en 2020, et un deuxième en 2021. Depuis 2021, on observe une détérioration, en particulier dans la zone des trois frontières et dans la zone de Ménaka. La France a évacué quatre bases sur six de Barkhane, il en reste une à Gao et une à Ménaka. Barkhane n’a plus le droit de surveiller le territoire ni d’être actif dans la zone de Ménaka qui a subi une très grave détérioration. Il y a eu des dizaines de milliers d’habitants qui ont dû fuir et des centaines de personnes qui ont été massacrées. Les FAMA c’est-à-dire les forces armées maliennes, ne sont pas du tout intervenues. Barkhane n’est pas intervenu comme ils auraient dû le faire, on a observé une détérioration dans cette région et dans d’autres. Pour moi, il est clair que la situation au Mali prolonge cette détérioration qui est une tendance lourde, et ne date pas du départ de Barkhane. Malgré Barkhane la situation n’avait cessé de se détériorer de 2012 à 2020. Mais le départ de Barkhane, le départ du G5 Sahel, le départ de Takuba, et le retrait de EUTM accompagne et accentue cette détérioration.

Les zones qui avaient été libérées par Barkhane ont été réoccupées par les djihadistes parce que les territoires n’étaient pas administrés

Nicolas Normand

Quelles solutions pour assurer la sécurité de la région ?

Les solutions ne sont pas seulement militaires, mais il faut un volet militaire parce que les djihadistes attaquent, qu’il faut se défendre et les repousser. Donc, le volet militaire est absolument incontournable. Mais il ne suffira pas. Les djihadistes vont revenir si on ne traite pas les questions de fond qui sont l’absence de l’État dans le territoire rural, de gendarmerie, de service de justice et de police. Les fonctions régaliennes ne sont pas présentes dans les territoires ruraux. Les zones qui avaient été libérées par Barkhane ont été réoccupées par les djihadistes parce que les territoires n’étaient pas administrés. Les populations se rangent sous l’aile du plus fort et donc trouvent des compromis avec les djihadistes si l’État n’est pas présent. Il y a des territoires assez importants au Burkina et au Mali qui sont administrés de facto par les djihadistes.

Les solutions c’est d’administrer le territoire qui a été libéré par l’action militaire en remettant une présence de l’État, non seulement sécuritaire et judiciaire, mais aussi des services publics de base c’est-à-dire des centres de santé et des écoles. Dans les zones contrôlées par les djihadistes, les écoles sont transformées en école coranique, la langue française est interdite, et la charia est imposée.

Il faut que l’État soit présent dans ces zones. Il faut aussi traiter le problème de la jeunesse désœuvrée. À la base du djihadisme, il y a l’explosion démographique sahélienne qui est très importante. Des centaines de milliers de jeunes arrivent chaque année à l’âge où ils auraient dû trouver un emploi, mais il n’y en pas. Les djihadistes sont alors souvent le seul emploi parce qu’ils ont les moyens de recruter des jeunes. Il faut que l’État recrute des jeunes dans l’armée dans les zones fragiles à la place des djihadistes, pour les former et les encadrer.

En dehors des actions sécuritaires, il faudrait aussi créer des emplois. Le petit saupoudrage de l’aide au développement n’est pas une solution. L’État doit susciter des activités économiques dans ces régions. Il faut rouvrir des écoles car le système malien et sahélien d’éducation est complètement déliquescent. Actuellement, il y a au Sahel central, 55% des enfants qui ne vont pas à l’école du tout. Et ceux qui vont à l’école sont très mal formés, ils en sortent très tôt sans savoir ni lire ni écrire. Il y a un vrai problème de service public qui est absent au Sahel et qu’il faut traiter. Je considère que le djihadisme est un peu la conséquence de la négligence par les pays occidentaux en matière d’aide au développement dans ces régions. C’est un fait, l’éducation a été négligée, les services publics sont absents de ces régions. On a des populations abandonnées et désœuvrées qui sont prises sous contrôle, de gré ou de force, par les mouvements djihadistes. Il faut traiter ce problème de fond.

Source; lefigaro

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