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Les intellectuels maliens et le pouvoir : Des mercenaires qui se vendent au détenteur du capital

La génération actuelle des intellectuels maliens est-elle à la hauteur des perspectives exceptionnelles que l’Histoire offre à notre pays en cette fin de millénaire ?

«Le pouvoir est comme de l’alcool. Après le premier verre, on est joyeux comme un agneau. Au second, c’est comme si on avait mangé du lion. On se sent si fort qu’on n’accepte plus d’être contesté. On veut tout imposer à tout le monde comme le lion dans la savane.

Au troisième verre, on est  comme le cochon, on ne peut  faire que des cochonneries… Le premier degré correspond à la période, où le chef est doux et gentil comme un agneau. Le second, c’est le moment où le chef se prenant pour un monarque absolu, devient redoutable. Mais alors il n’est que craint. Enfin, quand le chef atteint le troisième degré de son pouvoir, il est non seulement craint mais détesté par son peuple» (Ahmadou Hampaté Ba).

Un intellectuel ! Qu’est-ce qu’un intellectuel ?

Au sens premier du terme on peut dire qu’un intellectuel est un individu caractérisé par la prédominance de l’intelligence. Pour le Larousse, un intellectuel est une personne qui s’occupe par gout ou par profession, des choses de l’esprit. C’est un homme doué d’intelligence, capable de comprendre.

La psychologie, elle, oppose l’intelligence aux capacités instinctives ou apprises, plus ou moins automatisées. Pour elle, l’intelligence, c’est la capacité de résoudre des problèmes, de trouver une issue convenable à des situations nouvelles. Pour le philosophe, l’intelligence revêt des significations variées.

Généralement, elle désigne dans les fonctions mentales celles qui correspondent à une pensée abstraite et logique. Pour le sociologue, l’intellectuel, s’il est logicien confirmé et magicien de la pensée abstraite, il est un produit social. Il est pris dans un réseau de relations sociales complexes, de rapports sociaux qui permettent de l’appréhender comme élément d’une catégorie sociale elle-même présente dans un ensemble de classes sociales.

Une vision assez simpliste du monde des intellectuels en fait à tort  une seule et même classe sociale, de même que les paysans, les intellectuels ne forment pas une classe, scientifiquement parlant. C’est un monde assez diversifié, où il y a comme on dit souvent, à boire et à manger.

Les intellectuels forment sociologiquement et psychologiquement parlant, un monde ondoyant et divers. Ils constituent: une catégorie sociale ou couche sociale se répartissant globalement entre deux classes sociales: la grande et la petite bourgeoisie. On a souvent  confondu aussi la petite bourgeoisie et les intellectuels.

La petite bourgeoisie constitue une classe sociale qui, à l’instar de la grande bourgeoisie, comporte plusieurs catégories ou couches sociales. Ainsi, la petite bourgeoisie comporte entre autres des petits commerçants (boutiquiers ou étalagistes), des paysans, des artisans et dans sa couche intellectuelle des médecins, avocats, enseignants, étudiants, petits fonctionnaires et cadres intermédiaires de l’appareil politico-bureaucratique.

On trouve certaines de ces couches au niveau aussi de la grande bourgeoisie comme les commerçants qualifiés de bourgeoisie compradore, les gros propriétaires terriens ou bourgeoisie agraire, les grands fonctionnaires et cadres de l’appareil politique et de l’Etat ou grande bourgeoisie politico- bureaucratique. Ces quelques exemples montrent tout l’intérêt de l’analyse des classes sociales dans nos pays et leur complexité. C’est un thème qui pourrait faire l’objet d’une réflexion approfondie.

En règle générale, les intellectuels constituent une couche ou une catégorie sociale qui dispose du savoir scientifique et culturel acquis dans les écoles, universités et instituts locaux ou étrangers pendant de nombreuses années. Ce savoir acquis leur permettra ultérieurement d’acquérir un certain statut social.

A l’origine, l’intellectuel est un petit bourgeois. Son appartenance à cette classe intermédiaire, sans base économique réelle, le place dans une situation d’ambigüité, de choix permanent, d’instabilité chronique. De  même que l’ouvrier, pour subsister, est obligé de vendre sa force de travail, de même l’intellectuel vend son cerveau, sa matière grise.

L’intellectuel est un marchand de savoir et de savoir-faire. Dans les pays africains, la situation économique d’ensemble fait que le sort de l’intellectuel s’apparente à celui du mercenaire qui se vend au détenteur du capital. Ici le détenteur du capital c’est l’Etat qui concentre entre ses mains le pouvoir économique réel. Tel n’est pas le cas dans certains pays africains «avancés» ou dans les pays développés.

L’intellectuel petit-bourgeois aspire donc sans cesse à améliorer sa situation économique. De par sa situation de détenteur du savoir et sa position de détenteur du savoir et sa position d’intermédiaire sur l’échiquier social, il est à même d’observer, d’analyser objectivement, de comprendre scientifiquement les mécanismes de fonctionnement de sa société, d’en déceler les points névralgiques.

Le savoir de l’intellectuel lui permet ainsi de dévoiler le caractère injuste et oppressif du système en place dont bon nombre de citoyens sont victimes. D’où parfois sa tendance à l’indignation voire à la révolte. Mais l’aspiration fondamentale de l’intellectuel petit-bourgeois, c’est sa volonté de s’intégrer aux couches supérieures de la société, son appétit féroce d’embourgeoisement d’où aussi sa tendance à la coutisanerie, à s’aplatir devant les «puissants du jour» pour parvenir à ses fins, à devenir lui aussi un «grand bourgeois». D’où son mépris pour ses origines, pour les masses qu’il n’hésite pas à utiliser comme piédestal pour se lancer à la conquête d’une «place au soleil», pour «être  quelqu’un».

L’histoire nous enseigne que seule une infime partie  des intellectuels réussit à s’opposer à cette tendance «naturelle», à l’arrivisme, à l’embourgeoisement.

Dans les pays africains, la faiblesse de la structure économique fait que l’intellectuel est très souvent utilisé comme agent du système politico- bureaucratique en place. A ce niveau, nous pouvons  distinguer deux (02) étapes qu’on appelle en termes sociologiques: petite bourgeoisie politico- bureaucratique et grande bourgeoisie politico- bureaucratique.

La petite bourgeoisie politico-bureaucratique est constituée par les fonctionnaires et cadres d’exécution de l’appareil d’Etat et du Parti (Secrétaires, Chefs de services locaux, sous-officiers et officiers) tandis que la grande bourgeoisie politico-bureaucratique est, elle, formée par les fonctionnaires et les cadres qui participent à la conception et à la prise des décisions au niveau des organes centraux du Parti et de l’Etat (Directeurs nationaux, membres de cabinets ministériels, députés, membres du gouvernement, responsables nationaux du Parti, Officiers supérieurs, etc.).

Si l’aspiration à l’embourgeoisement est la tendance naturelle de l’intellectuel, sa situation économique sociale en fait un individu intéressant à analyser du point de vue de sa mentalité. Le problème est d’actualité si l’on se réfère à certaines déclarations publiques sur la «mentalité» et le «comportement des cadres». Le fait aussi de revenir là-dessus à plusieurs reprises montre qu’il y a un problème quelque part. En quoi consiste-t-il ?

Notre préoccupation n’est pas d’y répondre à la place des autres mais simplement par l’analyse scientifique d’aider à cerner de manière lucide et sans complaisance du problème posé.

En quoi consiste cette mentalité des cadres ?

On parle de mentalité des cadres. En quoi consiste cette mentalité ? D’où vient-elle ? Que faire pour y remédier ? La situation en fait, tient en un mot: l’opportunisme ou absence d’idéal. Comment se traduit-il en termes concrets ? Une série d’exemples appropriés nous permettra de mieux cerner le problème. Nous avons dit plus haut qu’un intellectuel se reconnait par son aptitude à analyser, à comprendre, à trouver des réponses  correctes à des situations complexes. Mais que constate-t-on ?

Un cadre, à un poste élevé de l’administration a en charge l’analyse de certaines questions spécifiques devant lui permettre de donner un  avis technique au décideur éventuel. Cet avis peut lui paraitre contrariant  pour le chef. Par manque de courage et d’honnêteté intellectuelle, il se refuse à la donner préférant y substituer un avis flatteur pour le chef.

Ainsi, le problème réel est de plus en plus oblitéré et un beau jour, on finit par se trouver devant une situation explosive qui, à l’origine est un problème banal, facile à résoudre. Par peur du chef ou par esprit de courtisan, le système entier  finit par sombrer dans l’absurde, dans le clientélisme vil, dans la griotique la plus plate.

L’analyse scientifique cède le pas aux slogans, aux discours grandiloquents et vides dont tout le monde  est convaincu de l’inopérationnalité, à commencer par ceux qui le rédigent ou le lisent. Le chef est frénétiquement applaudi en public. On l’insulte et on le charge de tous les péchés en privé. Ses plus proches collaborateurs, ses «partisans zélés» en public deviennent en coulisse ses détracteurs les plus perfides.

On chante alors à qui veut l’entendre que le chef est mégalomane, qu’il n’écoute pas les avis de ses conseillers, qu’il est borné, imperméable à toute logique, ignare. Chacun tire la couverture sur soi en prévision de la catastrophe toute proche. Ceux des cadres lucides et intègres qui osent donner leurs avis critique, qui osent dénoncer cette duperie, sont classés «antipartis», «communistes».

Ainsi, la délation s’instaure et devient un système de gouvernement. Pour se faire bien voir, faire croire au chef qu’on est son partisan le plus fervent, on invente toutes sortes d’histoires, on fabrique toutes sortes d’opposants. La délation devient une source de promotion. Tout le monde a peur, peur d’autrui, peur de son ombre. L’intellectuel  lucide, le cadre honnête devient «le danger public», le fauteur de trouble. On le charge de tous les péchés.

L’Etat devient une «Affaire», l’Administration une «Association de malfaiteurs». La seule finalité, c’est de remplir les poches. On passe de la corruption quotidienne au détournement à grande échelle. Plus on s’enrichit, mieux cela vaut, car on est plus en mesure d’acheter le silence des autres en les compromettant.

Le gouvernement finit par devenir un système où on se tient les uns les autres. «Tu me dénonces, je te dénonce». Tout le monde se tait. Le peuple sait. Il n’ignore point la source de la fortune de telle ou telle  personne. Tout le monde le sait. On n’y peut rien pour l’instant. Gare à celui qui en parle. On le fera bientôt disparaitre. Le moindre problème devient une affaire d’Etat.

La répression devient systématique, aveugle, gratuite à souhait. On fabrique de plus en plus de mécontents. La peur s’installe au cœur du système. Tout est dit ou fait au nom d’un seul individu. Chacun se réclame de lui. Tout le monde lui attribue ses fautes, ses bassesses.

L’Administration publique est utilisée à des fins personnelles. On l’utilise en fonction de ses propres intérêts, des états d’âme, de ses humeurs, pour écarter un concurrent, briser ou écraser un adversaire. Le lieu de travail devient un lieu, où tout le monde est placé sous haute surveillance.

Issa N’DIAYE, Professeur de Philosophie

 Inter De Bamako

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