Que signifie la prise de Faloujah par Al-Qaïda ?
Il faut être précis sur l’origine des événements. Au départ, il y a quelques semaines, l’exclusion politique d’un député sunnite de la ville de Fallouja a soulevé dans la population des manifestations pacifiques et notamment des sit-in dans les villes de la région. Le Premier ministre chiite Nouri Al-Maliki a chargé la police et l’armée d’arrêter ces sit-in. Lors de ces interventions, il y a eu des morts et, surtout, l’armée irakienne a vu un certain nombre de ses commandants sunnites faire défection car ils refusaient de tirer sur la population. En quelque sorte, c’est un printemps irakien du point de vue de la population. La province est donc sortie du pouvoir central.
Entrent alors en jeu les Sahwa, des milices tribales anti-Al Qaïda mises en place par le général américain Pétraeus pour bouter les islamistes hors des villes, et qui se sont retrouvées être les seules pour assurer la sécurité de la population. Ces milices, qui n’étaient plus payées par le gouvernement central depuis le départ des Américains, se sont retournées contre lui et ont pris le pouvoir. Or ces milices englobaient à l’origine des membres repentis d’Al-Qaïda. Ce sont ces membres qui ont repris les armes contre le gouvernement central et qui aujourd’hui contrôlent Fallouja et trois ou quatre quartiers de la grande ville de Ramadi, sous la houlette de l’État islamique d’Irak, c’est-à-dire la branche d’Al Qaïda en Irak. Le gouvernement central a donné un ultimatum : si vous ne voulez pas qu’on vous bombarde, demandez aux chefs de tribus de sortir Al-Qaïda de là.
La situation est donc beaucoup plus compliquée que ce que l’on dit.
Oui, ce n’est pas Al-Qaïda qui contrôle la ville : il y a les milices tribales, les milices Sahwa et les membres d’Al-Qaïda. Et ces gens ne ne s’entendent pas entre eux. La seule chose qui les unit est qu’ils sont contre le Premier ministre, accusé d’être un dictateur.
Y a-t-il des connexions entre les différentes branches d’Al-Qaïda dans le monde ? Pourraient-elles se fédérer ?
Là encore, le Printemps a tout changé en bien et en mal. Entre 2011 et 2013, il a tout changé en bien car les groupes islamiques armés, voyant que les groupes islamiques non-armés étaient arrivés au pouvoir sans les armes ont été questionnés par leur base sur l’utilité du djihad, de la lutte armée. Beaucoup de gens sont sortis des groupes armés pour rejoindre les partis islamistes.
Mais en juillet 2013, il y a eu un tournant lorsque le président islamiste Morsi a été déposé par l’armée en Égypte. Il y a eu comme une contre-révolution un peu partout, en Tunisie, en Lybie de la part des armées. Les djihadistes ont affirmé qu’il aurait fallu poursuivre la lutte armée comme ils le préconisaient.Les différentes branches d’Al-Qaïda se sont alors considérablement renforcées par les déçus des Printemps, notamment en Irak, au Mali, au Yémen et au Maghreb.
Pour l’instant les différentes branches d’Al-Qaïda ne se coordonnent pas entre elles, car elles se reconstruisent. Mais elles ont la même stratégie pour prendre le pouvoir. Pour l’heure, elles ont un agenda national mais aspirent à unifier leurs forces. Cette unification sera tout de tout de même compliqué car Al-Qaïda a beaucoup d’opposants et surtout ne parvient pas à conquérir les populations une fois au pouvoir en raison d’une applicaton stricte de la charia.