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Les deux visages de Moussa Traoré

(Agence Ecofin) – Au Mali, le décès de l’ancien chef d’Etat Moussa Traoré suscite des sentiments contradictoires. Partagés entre le passé putschiste de l’ancien président et le statut de sage acquis ces dernières années, ils illustrent bien l’oxymore qu’est devenu, avec le temps, celui qui avait été condamné à mort puis finalement gracié, au moment où le Mali a plus que jamais besoin de tous ses fils.

 

Le 15 septembre, des véhicules de personnalités importantes se sont succédé à Djicoroni Para, dans la commune IV du District de Bamako. Ce ballet, qui se dirige vers le domicile de Moussa Traoré, a tout d’une procession funèbre. En effet, quelques minutes plus tôt, à 12h 05, l’ancien président malien est décédé chez lui, à l’âge de 83 ans. Si les 3 jours de deuil décrétés par les autorités prouvent le statut de sage acquis par le défunt, son histoire est bien plus complexe. En effet, pour une certaine génération de Maliens, Moussa Traoré est avant tout ce dictateur ayant participé aux évènements qui ont conduit à la mort de Modibo Keïta, le père de l’indépendance.

Fusil au poing

Le décès de Moussa Traoré a quelque chose d’irréel, non seulement parce que l’homme faisait partie des témoins de l’histoire malienne, de l’indépendance à nos jours, mais aussi parce que l’homme qui s’était dit « préparé à l’idée de ne pas mourir dans son lit » achève son histoire sur cette fin qu’il jugeait lui-même improbable.

En effet, pour une certaine génération de Maliens, Moussa Traoré est avant tout ce dictateur ayant participé aux évènements qui ont conduit à la mort de Modibo Keïta, le père de l’indépendance.

Effectivement, Moussa Traoré est presque né fusil au poing. Issu d’une famille malinké, où il nait le 25 septembre 1936 à Sébétou, il est le fils d’un ancien soldat de l’armée française. Il finit lui-même par s’y engager en 1954. Il étudie à l’école des enfants de troupe de Kati, devenue depuis un prytanée militaire, avant de rejoindre l’Ecole des officiers de Fréjus en France, en 1960. Après en être sorti major de sa promotion, il est nommé sous-lieutenant en 1961, puis lieutenant deux ans plus tard. Moussa Traoré part ensuite au Tanganyika, en tant qu’instructeur des combattants des mouvements de libération. A son retour, il est nommé instructeur à l’Ecole militaire interarmes de Kati. Il occupe ce poste jusqu’en 1968. Il sera promu colonel en 1971, puis général sept ans plus tard.

Les activités politiques sont interdites. Les opposants sont arrêtés et torturés.

En 1968, la population en veut énormément à Modibo Keïta, à cause de l’autoritarisme de son régime, mais également de la dévaluation du franc malien. Un groupe de jeunes officiers, dont faisait partie le lieutenant Moussa Traoré, décide alors de déposer le dirigeant, lors d’un coup d’Etat organisé le 19 novembre 1968.

Un groupe de jeunes officiers, dont faisait partie le lieutenant Moussa Traoré, décide alors de déposer le dirigeant, lors d’un coup d’Etat organisé le 19 novembre 1968.

Alors que le président est à l’intérieur du pays, Moussa Traoré et ses compagnons prennent Bamako. Le natif de Sébétou prend la tête du Comité militaire de libération nationale (CMLN), à la tête du pays, puis devient chef de l’Etat. En 1974, il fait adopter une nouvelle constitution imposant un parti unique, une Assemblée nationale et un président élu tous les 5 ans au suffrage universel.

Mais, à cette époque, le peuple commence déjà à grincer des dents. Depuis l’arrivée au pouvoir de Moussa Traoré, les activités politiques sont interdites. Les opposants sont arrêtés et torturés. En 1971, le président a même accusé son Premier ministre Yoro Diakité de tentative de coup d’Etat et le fait incarcérer à la prison de Taoudeni où il meurt deux ans plus tard. Quelques mois après ce tragique épisode, l’aide internationale envoyée pour lutter contre la sécheresse est détournée. En 1976, Moussa Traoré fonde l’Union démocratique du peuple malien (UDPM), le fameux parti unique auquel tout le monde est obligé d’adhérer. Le 16 mai, un évènement va augmenter la colère grandissante de la population contre son président. L’ancien président Modibo Keïta meurt de façon suspecte en détention, à l’âge de 62 ans.

Le 16 mai, un évènement va augmenter la colère grandissante de la population contre son président. L’ancien président Modibo Keïta meurt de façon suspecte en détention, à l’âge de 62 ans.

L’évènement entraine une forte mobilisation à laquelle le régime en place réagit violemment en procédant à des arrestations. Finalement, pour calmer le peuple, Moussa Traoré explique à Radio Mali que Modibo Keïta est décédé à la suite d’« un œdème aigu des poumons ».

Un dictateur contraint à la sagesse ?

Lors des premières élections présidentielles de la seconde république, en 1979, Moussa Traoré est l’unique candidat. Dès l’année suivante, l’armée réprime violemment des manifestations estudiantines. Si à l’international, notamment sur le plan régional, le président se distingue par son savoir-faire politique et diplomatique, au Mali, les choses ne sont pas pareilles. Alors que Moussa Traoré dirige le Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (1980-1983), puis l’Organisation de l’unité africaine (OUA) entre 1988 et1989, au Mali, la population n’en peut plus. Le pays est tenu d’une main de fer et les opposants au président finissent régulièrement dans la mine de sel de Taoudeni où ils travaillent jusqu’à ce que leur verve s’éteigne, pour les plus chanceux.

Le pays est tenu d’une main de fer et les opposants au président finissent régulièrement dans la mine de sel de Taoudeni où ils travaillent jusqu’à ce que leur verve s’éteigne, pour les plus chanceux.

Le peuple fait profil bas jusqu’en 1990. Cette année-là, naissent le Congrès national d’initiative démocratique (CNID) et l’Alliance pour la démocratie au Mali (ADEMA). Les deux associations vont, en synergie avec l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) et l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH), lancer des manifestations contre le régime de Moussa Traoré et exiger le multipartisme. Bien mal leur en a pris. A plusieurs reprises, les militaires envoyés par le chef de l’Etat ouvrent le feu sur les manifestants et même sur des groupes de femmes marchant pour calmer les tensions.

Les militaires envoyés par le chef de l’Etat ouvrent le feu sur des groupes de femmes marchant pour calmer les tensions.

Les populations ne décolèrent plus. Une partie des militaires va alors se retourner contre Moussa Traoré qui sera renversé en mars 1991. Le 12 février 1993, l’ancien président est condamné à mort pour « crimes de sang ». « Quand on a embrassé une carrière militaire, on s’est préparé à l’idée de ne pas mourir dans son lit », déclare-t-il alors à l’auditoire présent. Le président Alpha Oumar Konaré (AOK), « hostile à la peine de mort » et désireux que « Moussa Traoré et ses amis vivent le plus longtemps possible pour qu’ils voient la démocratie fleurir au Mali », lui évite d’être exécuté. Sa peine est commuée en détention à perpétuité en décembre 1997.

Alpha Oumar Konaré, « hostile à la peine de mort » et désireux que « Moussa Traoré et ses amis vivent le plus longtemps possible pour qu’ils voient la démocratie fleurir au Mali », lui évite d’être exécuté.

Mais, une autre procédure, relative cette fois à des crimes économiques, lui vaut à nouveau d’être condamné à la peine capitale en 1999. Il est gracié en 2002, dans le cadre de la réconciliation nationale prônée par Alpha Oumar Konaré (AOK) et réhabilité au fil des années. Logé dans une maison de l’Etat, il bénéficie des avantages d’un ancien président du Mali, notamment une maison, des véhicules, du personnel de maison et une garde personnelle.

Sage au crépuscule de sa vie

Après avoir retrouvé la liberté, Moussa Traoré est pendant plusieurs mois scruté à la loupe. Les médias lui prêtent démence, dépression, entre autres fantaisies. Mais, au fil des années, l’image de Moussa Traoré change.

Il s’affiche de plus en plus en tant que religieux.

S’affichant de plus en plus en tant que religieux, il gagne le cœur du pays majoritairement musulman. Au début de la dernière crise politique au Mali, c’est chez lui que s’étaient retrouvés l’imam Mahmoud Dicko, figure de proue de l’opposition, le président déposé Ibrahim Boubacar Keïta, et le Premier ministre de l’époque, Boubou Cissé.

Même après le putsch du 18 août dernier, Assimi Goïta, le chef du Conseil national pour le salut du peuple (CNSP), est allé lui rendre visite. « Ces jeunes colonels sont des enfants. Je leur dis les erreurs commises et ce qu’il faut éviter et j’espère qu’ils ont compris », avait déclaré l’ancien président.

« Mon général, étant bébé, j’ai fait mes premiers mois dans la cour de la prison d’Ansogo, parce que ma mère y avait rejoint son mari détenu politique. Mais je te pardonne. »

Malgré tout, au Mali, beaucoup restent partagés entre le deuil et le mépris des agissements du défunt à une certaine période de l’histoire malienne.

« Ces jeunes colonels sont des enfants.»

Certains, comme Sory Ibrahima Traoré, fils de Ibrahima Traoré, détenu politique entre 1974 et 1978, ont réussi à pardonner. « Mon général, je te pardonne et je demande à toute ma famille de faire la même chose. A cause de toi, mon père a fait quatre ans de prison au camp-para [à Bamako, Ndlr] à Ansogo Taoudéni. Mon général, étant bébé, j’ai fait mes premiers mois dans la cour de la prison d’Ansogo, parce que ma mère y avait rejoint son mari détenu politique. Mais je te pardonne. »

Servan Ahougnon

Agence Ecofin

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