Lettre à monsieur Emmanuel Macron, président de la république française
Monsieur le Président,
Élu de la nation malienne, l’honneur m’échoit, et j’y veux satisfaire, de vous adresser des larmes, non pas en pleurant, mais en vous conviant au banquet de l’humanisme pour lequel vous avez tout pour être un convive de marque.
Cette missive-ci n’est pas une lettre ouverte de celle qu’Émile Zola, dans l’affaire Dreyfus qui demeure une interpellation éternelle aux consciences, dût adresser au Président Félix Faure qui, il y a 124 ans, vous précéda aux hautes charges de premier des Français; elle n’aura donc aucune place dans le quotidien Aurore du 13 janvier 1898 et, en conséquence, le grand Clemenceau pour lui choisir un titre en coup de poing du genre «J’accuse ». Pourtant, regardez Monsieur le Président, le 13 janvier 1898, le Président Félix Faure était installé dans ses fonctions il n’y avait guère que trois ans comme vous l’êtes aujourd’hui il y a moins de trois ans. L’histoire, dit-on, se met souvent sur des vagues pour pouvoir refluer sur les rivages d’où elle est partie. Votre célèbre Immortel André Siegfried ne notait-il pas que : « Il y a, dans la psychologie des peuples, un fond de permanence qui se retrouve toujours…».
Monsieur le Président,
Qui, mieux que vous, peut-il aujourd’hui prétendre comprendre cette vérité ? Vous, président de la République auréolée de plus de deux siècles de révolution, la Révolution de 1789 qui a imprimé à la vie mondiale l’empreinte indélébile des droits et des libertés à respecter, tant individuels que collectifs ? L’histoire vous a mis de façon éclatante au sommet de cette France, patrie de la liberté, de la fraternité et de l’égalité. Cet honneur vous oblige!
Monsieur le Président,
Moi, élu malien, élu africain, je ne pleurniche pas sur le sort de mon pays, de mon continent. Mais je constate avec amertume, avec fâcherie, avec la hargne de vouloir changer le destin de chaos auquel la belle France du siècle des Lumières nous impose.
Comment une République des Lumières et de cultures éblouissantes consignées par des écrivains de si haut vol qu’on les croirait avoir participé aux délibérations du Seigneur Très Haut peut-elle en venir à la prédation d’autres peuples? Et sonne le mot de l’académicien Claude Lévi-Strauss, dans “Race et histoire” : « En vérité, il n’existe pas de peuples enfants; tous sont adultes, même ceux qui n’ont pas tenu le journal de leur enfance et de leur adolescence. »; qu’il prolonge avec une admirable limpidité en jugeant inacceptable qu’une civilisation, fût-elle la sienne, fût-elle la plus brillante de toutes, se permette d’écraser les autres sur son chemin en toute bonne conscience.
Monsieur le Président,
Je suis un Malien parmi quinze millions de citoyens courroucés, anxieux pour l’avenir de leur pays.
Que sont vos missions militaires Serval, Barkhane et autres sinon des opérations de bradage de notre territoire et de main mise éhontée sur nos immenses ressources du sous-sol? La puissance de feu dont dispose vos armées chez nous est-elle que, si tant est que votre volonté est de nous porter secours, aucun ennemi intérieur ou extérieur n’aurait eu l’audace de s’y aventurer. Mais, hélas, la réalité crève les yeux.
Monsieur le Président,
Avec vos associés, ce sont des armées d’occupation que vous avez positionnées sur notre sol; point de missions de paix et de stabilisation, mais des opérations de colonisation inavouables.
En témoignent, Monsieur le Président Macron, les propos malveillants tenus récemment par le Général français Jean Bernard Pinatel estimant qu’au Mali “la situation ne se stabilisera que si Bamako consent à faire évoluer le statut de l’Azawad, car les touaregs et les peuls refuseront toujours de se soumettre aux noirs du Sud”. Propos mensongers bien évidemment puisqu’il ne s’agit point d’opposition ethno-clanique, mais plutôt de volonté délibérée de la France d’instiller le venin de la haine raciale entre populations qui vivent bien ensemble depuis des millénaires. Bien sûr, l’ambassade de France à Bamako a vite fait de minimiser les paroles subversives du Général Pinatel en qualifiant l’intéressé de ” Général de plus de 80 ans déjà à la retraite dont les déclarations n’engagent que lui”; une sorte de recadrage maladroit auquel il faut opposer la vérité : depuis quand un Général français, fût-il plus âgé que Mathusalem, est à la retraite comme un simple petit commis civil? Non, le Général Pinatel demeure un officier de réserve chargé, comme des milliers de ses pairs, des réflexions stratégiques pour nourrir les intérêts de leur belle France. La timide réaction outrée du ministère malien des Affaires étrangères n’a de sens que relativement à cette réalité. Malheureusement, elle reste dans le chapitre des réactions de principe, de dépit même si vous me les permettez, Monsieur le Président Macron.
Monsieur le Président,
Savez-vous que vous êtes en train de commettre contre la civilisation un crime odieux ? Délit contre lequel il va falloir prévoir la sanction dans l’arsenal juridique international.
Le Mali est un pays historique, multi séculier, creuset de trois grands empires : le Ghana, le Mandé et le Songhaï.
Le Mali, c’est sans doute au monde le pays qui a été le premier à initier les télescopes d’observation des astres à travers la cosmogonie dogon, j’en passe.
Monsieur le Président,
La France et ses complices sont en train de démembrer mon pays, de le détruire, de le dépecer méthodiquement. Hélas, ils le font en l’ensanglantant, en l’endeuillant à longueur de semaines; un génocide planifié, un pogrom qui a déroulé irrésistiblement son rouleau compresseur, des massacres dignes de gangsters.
Les Maliens en sont aujourd’hui à se demander si ce n’est pas pour cela que vous aimez imposer à notre président de la République des cadres qui ne servent que vos seuls intérêts, avec une servilité incroyable, et qui ne reculent devant aucune abjection pour vous satisfaire. Au plan moral, cela doit cesser. La diplomatie que mènent les grandes puissances doit être dépouillée des intentions impérialo-colonialistes qui ne visent qu’à faire main basse sur les richesses des pays militairement faibles, en particulier ceux d’Afrique, dont le Mali.
Comment comprendre, Monsieur le Président, qu’un vieil État si fier comme le Mali, soit livré aux caprices d’une minorité de ses hommes qui, au lieu de servir leur patrie, sapent plutôt sa cohésion sociale et ses fondements? En vérité, n’eût été la complicité mortelle de la communauté internationale, avec en tête la France dont la langue est notre langue officielle, notre pays n’aurait jamais vécu avec IBK les moments funestes que vous connaissez. Patriote malien, IBK l’est jusqu’à la moelle de ses os. Dans des conditions autrement plus difficiles, il a su, alors qu’il n’était que Premier ministre, redresser le Mali en combattant avec force et détermination les ennemis intérieurs et extérieurs. C’est d’ailleurs au nom de ces combats pour le salut de la nation et en souvenir de l’esprit républicain qu’il incarna alors, que les Maliens l’ont élu en 2013 à la tête de l’État et l’ont réélu en 2018. S’il n’a pas les mains entravées, nul doute qu’il sortira le Mali de l’ornière ; il en a les capacités intellectuelles et les ressources morales auxquelles il faut ajouter l’expérience d’homme d’État.
Monsieur le Président,
Il me semble que votre intelligence et votre sens de l’honneur vous commandent maintenant de trouver au plus vite d’autres méthodes de partenariat avec le Mali meurtri. Les évènements récents ont fini de convaincre tous les hommes intelligents du monde que les Maliens tiennent à leur patrie plus qu’à la prunelle de leurs propres yeux; il n’y a pas de sacrifices qu’ils ne consentiraient pas pour leur pays.
Nul non plus ne pourra ôter aux Maliens leur fierté et leur orgueil. Un partenariat réfléchi sain permettra à nos deux pays de cheminer ensemble dans le bonheur. Toutes autres attitudes risquent de creuser sur la terre malienne le tombeau des menées subversives impérialistes dont l’Afrique est désormais la cible.
L’histoire le notera.
Honorable Moussa Diarra,
Député du Mali.