Le Sénégal s’engage dans une nouvelle ère de justice, marquée par des actions sans précédent visant à garantir la transparence et à combattre l’impunité dans la gestion des affaires publiques.
Dans une démarche décisive, la justice sénégalaise a interpellé plusieurs anciens ministres, directeurs généraux et hauts fonctionnaires. Des personnalités comme Ismaïla Madior Fall, Sophie Gladima, Moustapha Diop, Salimata Diop Dieng et Mansour Faye figurent parmi les personnes mises en examen. Des mandats de dépôt ont été émis pour certains, tandis que d’autres ont été placés sous bracelet électronique. Ces inculpations, prononcées par la Haute Cour de Justice, mettent en lumière les dérives financières de l’administration Macky Sall, notamment en ce qui concerne les fonds alloués à la lutte contre la pandémie de Covid-19.
Le pays est secoué par une affaire de corruption d’envergure impliquant d’anciens membres du gouvernement précédent. Six figures politiques ont été inculpées pour détournement de fonds publics destinés à la lutte contre la pandémie de Covid-19. Cette affaire, qui révèle des pratiques de gestion douteuses, intervient alors que le Sénégal cherche à consolider son processus démocratique à travers un dialogue national en cours au Centre International de Conférences Abdou Diouf (CICAD).
Cette série de poursuites engagées par le nouveau régime cible des figures de l’ancien pouvoir. Voici quelques détails sur les anciens ministres impliqués dans le scandale du Fonds Covid au Sénégal.
Ministres impliqués et accusations
Parmi les personnalités mises en cause figure Moustapha Diop, ancien ministre du Développement industriel, placé en détention pour détournement présumé. Il fait partie des cinq ex-ministres inculpés par la Haute Cour de Justice, accusé d’avoir détourné près de 4 millions de dollars. Aïssatou Sophie Gladima, ex-ministre des Mines, a été incarcérée pour des malversations présumées dans la gestion des fonds anti-Covid, soupçonnée d’avoir empoché plus de 193 millions de FCFA destinés aux mineurs affectés par la pandémie.
Ismaïla Madior Fall, ancien ministre de la Justice, est accusé de tentative de corruption et a été assigné à résidence sous bracelet électronique suite à des allégations de pots-de-vin. Salimata Diop, ex-ministre des Femmes, est poursuivie pour complicité de détournement. Son ministère aurait reçu 150 millions de FCFA, mais des irrégularités ont été relevées, notamment des justificatifs de dépenses identiques à d’autres opérations et des aides versées à des bénéficiaires fictifs. Elle a été libérée sous caution. Enfin, et non des moindres, Amadou Mansour Faye, beau-frère de Macky Sall et ancien ministre du Développement communautaire, est soupçonné d’avoir détourné environ 4,5 millions de dollars. Accusé de complicité de détournement de deniers publics, il aurait aussi surfacturé des achats de riz destinés aux populations vulnérables pendant la pandémie, pour un montant estimé à 2,7 milliards de FCFA. Un sixième ministre est également cité dans les enquêtes en cours, son identité exacte restant à confirmer.
Concernant Farba Ngom, ancien député et proche de Macky Sall, le Pool judiciaire financier l’a d’abord entendu avant de le faire comparaître devant le juge d’instruction. Il a été placé sous mandat de dépôt dans le cadre de l’affaire des 125 milliards de FCFA, où il est accusé d’avoir bénéficié de transactions suspectes impliquant des fonds publics. Son influence régionaliste dans le Fouta lui a permis de se forger une réputation proche de l’ancien pouvoir. Son rôle stratégique dans la mobilisation politique de cette région, souvent décrit comme un «sherpa officieux» de Macky Sall, lui aurait permis de s’enrichir de manière considérable. Avec un style politique distinct, Farba Ngom s’est imposé comme un homme de terrain, consolidant l’influence de l’APR, le parti du Président Macky Sall.
Contrairement à des personnalités comme Amadou Bâ, qui a exercé des fonctions ministérielles de premier plan, ou Samuel Sarr, qui a occupé des postes ministériels sous Abdoulaye Wade, Farba Ngom est aujourd’hui au centre des controverses pour cette affaire de blanchiment de capitaux. Son immunité parlementaire a d’ailleurs été levée. Son ascension politique, du statut de griot influent à celui de maire d’Agnam et député, a été fulgurante, mais il partage avec d’autres politiciens sénégalais une trajectoire marquée par des scandales financiers et fonciers, les ayant mis en difficulté avec la justice.
L’ancien Premier ministre Amadou Bâ, candidat à l’élection présidentielle de 2024, est lui aussi au cœur de débats politiques intenses. Accusé d’accaparement de deniers publics, il s’est vivement défendu : «Je tiens à préciser que depuis mon entrée au gouvernement en septembre 2013, aucun terrain ne m’a été attribué, aucun immeuble, aucun appartement, aucune villa de l’État ne m’a été cédé ou octroyé sous quelque forme que ce soit. Ces accusations me concernant sont injustifiées et relèvent de la pure calomnie et du dénigrement. Je n’ai jamais détourné les biens de l’État, ni failli à ma mission de service public», a justifié l’ancien Premier ministre, arrivé deuxième au premier tour de l’élection présidentielle de mars 2024.
Samuel Sarr et Tahirou Sarr sont deux autres figures bien connues du paysage politique et économique sénégalais, impliquées dans des affaires judiciaires récentes. Samuel Sarr, ancien ministre de l’Énergie sous Abdoulaye Wade, a été inculpé pour abus de biens sociaux dans le cadre de l’affaire liée à la centrale électrique West African Energy (WAE), accusé d’avoir détourné 8 milliards de FCFA. Après une période de détention, il a récemment obtenu une libération provisoire sous bracelet électronique. Il a été impliqué dans plusieurs affaires financières par le passé.
Tahirou Sarr, quant à lui, est un homme d’affaires influent devenu milliardaire. Il a été placé sous mandat de dépôt après son audition par le Pool Judiciaire Financier (PJF). Son implication concerne également l’affaire des 125 milliards de FCFA, où il est soupçonné d’avoir participé à des transactions suspectes. Après plusieurs mois de procédures, le tribunal a accepté une caution pour sa mise en liberté provisoire.
Ces affaires illustrent la volonté des autorités sénégalaises de renforcer la lutte contre la corruption et d’assurer une meilleure transparence dans la gestion des fonds publics. La Haute Cour de Justice, récemment mise en place, a pris en charge ces dossiers, affirmant la détermination du président Bassirou Diomaye Faye à combattre la corruption. Cette démarche judiciaire est perçue comme une tentative de restaurer la confiance des citoyens dans les institutions et de garantir une gestion éthique des deniers publics.
Impact sur le dialogue national
Ces inculpations pourraient avoir des répercussions importantes sur le dialogue national en cours. Ce processus, censé favoriser la réconciliation et la refonte du système judiciaire, est désormais marqué par des tensions politiques exacerbées. Khalifa Sall, ancien maire de Dakar et figure de l’opposition, a dénoncé les arrestations politiques et plaidé pour un dialogue sincère et inclusif. Amadou Bâ, ancien Premier ministre, a souligné l’importance de ce dialogue dans un contexte de restrictions des libertés et d’arrestations massives. Derrière ces déclarations se cache une réalité sévère : malgré les milliards détournés, le pays souffre d’un manque criant d’infrastructures. Hôpitaux et écoles sont en mauvais état, les infrastructures routières insuffisantes, et les universités manquent de capacités. Cette situation crée un fossé entre les fortunes mal acquises et les conditions difficiles des citoyens, trahissant les principes républicains fondamentaux.
Vers une refonte du système judiciaire ?
L’affaire du Fonds Covid pourrait accélérer les réformes judiciaires tant attendues. La justice sénégalaise semble déterminée à poursuivre les responsables de détournements de fonds publics. Ce processus ne doit pas être perçu comme une simple coopération, mais comme le prélude à une refonte du cadre légal encadrant la gestion des finances publiques. La justice est décidée à mener cette démarche jusqu’à son terme pour consolider la confiance citoyenne. Certains observateurs appellent même à une criminalisation plus sévère du détournement de fonds, avec des sanctions exemplaires pour les coupables.
Alors que le dialogue national se poursuit, le Sénégal est à un tournant historique. La gestion de cette affaire judiciaire et du dialogue politique déterminera l’avenir du pays et sa capacité à instaurer une gouvernance transparente et équitable. Cette quête de reddition de comptes, longtemps attendue et réclamée par les Sénégalais, reçoit enfin une réponse à la hauteur des espérances. S’inspirant du « Kokadjè » malien, le Sénégal montre sa détermination à protéger les deniers publics, malgré les tentatives de certains de regagner leur liberté en versant de lourdes cautions. Les responsabilités situées demeurent des preuves irréfutables.
C’est pourquoi les électeurs ont voté massivement pour Ousmane Sonko, Premier ministre issu des urnes, et Bassirou Diomaye Diakhar Faye, 5ème Président de la République du Sénégal, qui a déclaré lors de l’ouverture du Dialogue national le 28 mai 2025 au CICAD : «Dialoguer en temps de paix, c’est faire preuve de maturité, c’est prévenir les crises plutôt que de les subir».
La refondation de la justice sénégalaise, telle qu’elle est en cours avec le scandale des fonds Covid après les Assises de la Justice, ne peut être un phénomène isolé. Pour un véritable renouveau, cette exigence de responsabilité, de transparence et de conscience doit impérativement s’étendre à d’autres secteurs clés. Le Sénégal a besoin d’une réforme systémique et holistique pour rompre définitivement avec les pratiques du passé et construire un avenir fondé sur la bonne gouvernance, la responsabilité collective et l’équité pour tous ses citoyens. C’est un défi immense, mais absolument nécessaire pour le développement et la stabilité du pays. Le Dialogue national sur le système politique est donc ouvert… pour bâtir, dans la cohésion, un Sénégal souverain, juste et prospère où la justice est un pilier de l’État de droit, renforçant la confiance populaire. Les institutions judiciaires se doivent de confirmer cette confiance.
Khaly-Moustapha LEYE
Source: L’Aube