Frapper davantage encore les esprits par une action kamikaze de grande ampleur en plein cœur d’un centre commercial. Cinq semaines après les attaques qui ont semé la mort et l’effroi en France, l’organisation islamiste des chebab, branche d’al-Qaida en Somalie, a diffusé une vidéo dans laquelle elle appelle à conduire des attaques analogues à celle du Mall Westgate à Nairobi, au Kenya, qui avait fait 67 morts et plus de 175 blessés en septembre 2013. Dans une vidéo «fleuve» de 66 minutes, un supposé combattant au visage masqué et aux yeux floutés lance: «Et si une attaque se produisait au Mall of America au Minnesota? Ou dans le West Edmonton Mall au Canada? Ou à Londres sur Oxford Street? (…) ou dans n’importe lequel des centaines de magasins juifs Westfield?» Derrière lui défilent des images où apparaissent les noms du Forum des Halles, dans le Ier arrondissement de Paris, ainsi que Les Quatre Temps, à la Défense.
La menace est prise au sérieux même si les analystes s’accordent à dire que les chebab somaliens n’ont a priori ni la puissance de feu ni les relais idoines pour exporter leurs visées terroristes jusqu’à la France. «Jusqu’à maintenant, les chebab se cantonnaient à la guerre en Somalie et à des incursions sporadiques en Ouganda et au Kenya, rappelle Alain Rodier, spécialiste du terrorisme au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Hormis l’attaque de Nairobi, ils n’étaient jusqu’alors impliqués que dans la mort de Marie Dedieu, 66 ans, otage française handicapée enlevée au Kenya et détenue en Somalie depuis le 1er octobre 2011.Pour l’heure, ils ont accueilli un afflux de combattants anglophones venant de Grande-Bretagne, du Canada et des États-Unis. Ce n’est a priori pas pour les inviter dorénavant à faire le chemin retour.» «Les chebab somaliens forment le groupe terroriste le plus désargenté, le plus lointain, avec une hiérarchie affaiblie qui n’entretient aucun lien opérationnel avec les djihadistes européens qui prennent simplement la route vers la Syrie, l’Irak et l’Afrique du Nord, décrypte Antoine Basbous, spécialiste du terrorisme islamiste et directeur de l’Observatoire des pays arabes (OPA). Cette vidéo de menaces ciblant des centres commerciaux participe à une guerre médiatique globale. Elle appelle à la mobilisation des djihadistes installés en Europe, en leur offrant une inspiration et une direction d’action pour tous les Coulibaly-Kouachi en puissance.» Désormais, ces derniers pourraient faire des repérages dans des centres marchands et cogiter pour infliger le maximum de pertes humaines. À l’heure du djihadisme de masse et de la «réussite» d’un certain nombre d’attentats en Europe, chaque «filiale» d’al-Qaida central entend marquer l’histoire de son empreinte. En d’autres termes, fournir une méthode, faute de pouvoir porter en direct le fer dans la plaie. «Westgate est juste une goutte dans l’océan (…). Les attaques vont continuer», a d’ores et déjà prévenu Ali Mahmoud Ragi (aussi connu sous le nom d’Ali Dheere), porte-parole des chebab.
«Tuerie planifiée»
Alors que les centres commerciaux, sensibilisés depuis des mois à ce type de menaces, ont musclé leur surveillance, les forces de l’ordre se préparent à la riposte. Selon nos informations, une réflexion est amorcée au sein de la gendarmerie afin de redéfinir en profondeur la doctrine d’intervention des unités départementales et des pelotons susceptibles d’intervenir en première ligne face aux terroristes. «Pendant des années, la stratégie a été de “geler” la situation et de créer les conditions d’une négociation qui pouvait durer des heures, explique une source informée. Les récentes actions des commandos islamistes ont changé la donne: ils tuent d’emblée un maximum de victimes pour frapper l’opinion publique via les réseaux sociaux, se retranchent avec des otages avant de sortir les armes à la main pour mourir en martyrs face aux unités spéciales. Désormais, chaque seconde compte et il est impérieux de s’adapter.» Dans le cadre d’une théorie dite de la «tuerie planifiée» et de la «guerre du temps» échafaudée par les stratèges du GIGN, les «primo-intervenants» pourraient être appelés à durcir leur action pour mettre un terme immédiat à une situation de crise en neutralisant le ou les assaillants. L’intervention d’un gendarme en patrouille, qui avait blessé par balle un des frères Kouachi près de l’imprimerie à Damartin-en-Goële, est citée en exemple. Pour ce faire, cela nécessiterait que les patrouilles disposent d’un armement de type nouveau, notamment doté de visée laser, et d’équipements de protection renforcée. De leur côté, les patrouilles de Police secours et de la Brigade anticriminalité (BAC) bénéficient d’une formation les aidant à résoudre dans les meilleurs délais une situation très dégradée, quitte à faire usage de leurs armes dans le cadre de la légitime défense. Nom de code? «Amok», du mot malais qui qualifie la «rage incontrôlable» du tueur de masse.
Source: Le Figaro